« Quel magnifique progrès depuis 1864, depuis 1871, date de la dernière guerre en Europe occidentale ! A cette époque, une guerre entre deux nations capitalistes avait été la cause de la consolidation d’un peuple qui voulait devenir un Etat. Petit début de ce qui allait devenir l’Allemagne. Et alors, en conséquence, seuls quelques ouvriers s’y opposèrent individuellement. Maintenant, il s’agit d’un heurt mondial des peuples unis et compacts de tous les pays, exceptée l’Amérique, pour la domination du monde, afin que le capital s’engage dans sa dernière marche triomphale sur la terre et en faveur de la consolidation du capital mondial. Et face à ces puissantes forces, des millions et des millions d’ouvriers unis auraient dû se défendre contre le capital qui les avait opprimés pour son propre compte avec des charges infinies et qui maintenant tentait de se servir d’eux comme chair à canons ; contre le capital qui, au moyen d’un armement dément et sauvage et avec une guerre aveugle et aux conséquences incommensurables, les exposaient maintenant à de nouvelles armes, à de nouvelles guerres et les menaçait donc de ruine. Qu’y a-t-il de plus simples, de plus claires qu’une protestation et qu’une action unifiée ne reculant devant aucun moyen de la part des ouvriers contre le danger de tous les Etats ? De tous et de chacun. Quelle chose aurait été plus simple ? Quelle action aurait été plus naturelle, quel acte aurait été plus splendide dans ses conséquences pour la propagande, l’organisation et la révolution, quelle action aurait pu davantage illuminer les masses jusque dans les coins les plus obscurs et les plus éloignés qu’une lutte unique dans tous les pays, menée de la même façon par tous les membres de l’Internationale contre cette guerre ? Comme il aurait été clair, important et attirant pour tous les ouvriers et même pour une partie de la petite-bourgeoisie et de la classe moyenne qu’il se fût tenu dans tous les parlements le même langage et que dans tous les pays se fussent accomplies les mêmes actions Et encore une fois : Quoi de plus simple, de plus clair et de plus en cohérence avec la réalité des faits et des conditions matérielles ? Le travail du monde entier pour la première fois face au capital mondial. C’est ce qui aurait dû se passer pensait-on. Mais le cours des événements fut tout autre. Au lieu de la lutte contre le capital, on eut la soumission au capital et la coopération avec le capital ; au lieu de l’unité des ouvriers, on eut la division des ouvriers en autant de parties qu’il y a de nations ; au lieu de l’internationalisme ce fut le nationalisme et le chauvinisme. Seuls les socialistes serbes votèrent au parlement contre la guerre, les socialistes russes s’abstinrent de voter en quittant l’assemblée [A la Douma, il s’agit de la forme la plus violente de protestation ; plus encore que de voter contre les crédits de guerre.]. En Allemagne, les socialistes ont accordé des milliards au gouvernement, en AutricheHongrie ils ont approuvé la guerre. En France et en Belgique, ils sont entrés dans les ministères bourgeois pour faire la guerre. En Angleterre, le parti ouvrier a conseillé de s’engager dans l’armée. En Suède, en Norvège, au Danemark, en Suisse et aux Pays-Bas, les socialistes ont accordé des crédits de guerre pour la mobilisation, pour le maintien de la neutralité, c’est-à-dire des crédits pour la guerre, pour la guerre impérialiste [En Italie, la chambre n’a pas été convoquée. Les socialistes italiens s’opposèrent magnifiquement à la guerre.]. Dans presque tous les pays, donc, au contraire d’une lutte contre la bourgeoisie, ce ne fut que coopération avec la bourgeoisie. Un bon connaisseur de la social-démocratie internationale aurait cependant pu prévoir tout ceci depuis longtemps. Le congrès de Stuttgart fut le dernier où l’on prit sérieusement position contre l’impérialisme. A Copenhague, on commença à fléchir et à Bâle ce fut la débandade. Il apparaissait que la social-démocratie devenait d’autant plus peureuse que l’impérialisme se renforçait, que le danger de guerre se faisait grand et proche. A Bâle, on fit encore jouer la fanfare ; mais dans les phrases vides de Jaurès, dans les vaines menaces de Keir Hardie, dans les vils sanglots de Victor Adler sur la ruine de la culture, dans les paroles molles et insignifiantes de Haase, dans les vaines fanfaronnades du congrès lui-même on percevait déjà l’impuissance et la répugnance, l’aversion envers toute action. Pire encore : déjà alors on affirmait l’intention de marcher avec la bourgeoisie [Greulich déclara en effet au congrès que les Suisses marcheraient certainement à la frontière en cas de guerre. Renner déclara la même chose peu après au Reichsrat. Troelstra l’avait déjà promis de nombreuses fois aux Pays-Bas et après le congrès il réaffirma encore cette concession.]. La bourgeoisie, qui, exercée par sa propre putréfaction, a un odorat très développé pour sentir la pourriture morale, a immédiatement senti l’odeur de pourriture qui émanait de ce congrès et de l’Internationale. Elle comprit que d’un tel congrès il n’y avait rien à craindre. Elle mit la cathédrale de Bâle à notre disposition. Et quel lieu aurait été plus adapté à l’hypocrisie de la social-démocratie et à un congrès qui disait une chose et en pensait une autre qu’une église, dans laquelle depuis des siècles et des siècles était proclamée, jour après jour, l’hypocrisie chrétienne.»
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