jeudi 5 novembre 2020

Textes de Georges Sorel

Préface pour le livre de Fernand Pelloutier

 

« Pelloutier a eu le très grand mérite de comprendre qu’il était possible de constituer la Fédération des Bourses sur un plan tout différent, de réaliser un type d’organisation vraiment neuf et de rompre avec les imitations de la tradition bourgeoise. Il avait été peut-être conduit à la pratique qu’il a fait adopter, en partie par des préoccupations anarchistes, mais bien plutôt encore par le sens remarquable qu’il avait des conditions de la lutte de classe. Au lieu de chercher à constituer une nouvelle autorité, il voulait réduire le comité fédéral à nêtre qu’un bureau administratif, qui servirait à mettre les Bourses en relation entre elles, pour que chacune d’elles pût profiter des idées émises et des expériences tentées ailleurs. il ne sera pas facile de continuer cette œuvre dans le même esprit, parce que cette administration est fort contraire à tout ce que nous sommes habitués à voir faire autour de nous ; il faudra que le Comité fédéral reste fortement empreint de sentiments révolutionnaires [(Dans sa Lettre aux anarchistes, du 12 décembre 1899, Pelloutier écrivait : « Nous sommes des révoltés de toutes les heures, des hommes vraiment sans dieu, sans maître, sans patrie, les ennemis irréconciliables de tout despotisme, moral ou matériel, individuel ou collectif, c’est-à-dire des lois et des dictatures (y compris celle du prolétariat) et les amants passionnés de la culture de soi-même. » (Le congrès général du parti socialiste français, p. VII).]] pour que cela puisse durer. »

 

« L’organisation des Bourses du travail a pour base première l’existence des relations qui découlent entre les travailleurs, appartenant à diverses professions, de la vie dans un même lieu ; on n’attache pas toujours assez d’importance aux liens locaux ; sans doute parce qu’ils sont trop faciles à constater, les savants les laissent de côté. dans le plus grand nombre de cas, les ouvriers d’une même ville ont plus d’intérêts communs que les ouvriers d’une même profession habitant des villes éloignées. Sans doute, les mécaniciens des chemins de fer n’ont pas de profondes attaches locales, parce que les administrations dont ils dépendent sont centralisées à Paris, et qu’ils peuvent être appelés à faire leur service sur des points très divers d’un même réseau ; mais c’est là une situation exceptionnelle. Les ouvriers d’une même ville provinciale ont beaucoup de parents et d’amis communs, ils ont été à l’école ensemble ; leur manière de vivre et leurs conditions générales d’existence sont très semblables ; ils sont mélangés dans de nombreuses associations (de coopération, de secours mutuels, d’enseignement ou d’amusement) ; ils forment un peuple ayant une véritable unité ; on peut dire que, dans toute localité où le socialisme a pris de l’extension, il existe une commune ouvrière en voie d’organisation. »

 

« L’expérience a montré que l’éducation artistique, scientifique et littéraire du peuple pourrait très utilement être dirigées par les Bourses ; dans une solide étude sur les Universités populaires, Ch. Guieyesse estime qu’elles ne peuvent réussir que si les conférenciers ne cherchent pas à s’ériger en maîtres ; il faut qu’ils se mettent à la disposition de leur auditoire pour traiter les sujets dont celui-ci éprouve le besoin : « Les U.P. [39] fondées par des Bourses du travail, des syndicats, que l’autoritarisme politique n’a pas atteints, sont les meilleures. » Cet enseignement n’a qu’un rapport si lointain avec les intérêts de parti que l’on peut trouver partout des hommes de bonne volonté pour le donner d’une manière très satisfaisante ; mais l’Université et l’Église rivalisent pour transformer les questions historiques et philosophiques en matières de propagande ; aussi beaucoup de socialistes ont-ils vu avec quelque crainte les professeurs de l’État se mêler de vouloir enseigner le peuple. Au congrès des Bourses tenu en 1900 à Paris, on a même émis l’opinion qu’il y aurait lieu de créer un enseignement primaire pour les enfants des syndiqués, de manière à les soustraire à l’influence des manuels civiques officiels [40]. »

Aucun commentaire: