Préface pour le livre de Fernand Pelloutier
« Pelloutier a eu le très grand mérite de comprendre
qu’il était possible de constituer la Fédération des Bourses sur un plan tout
différent, de réaliser un type d’organisation vraiment neuf et de rompre avec
les imitations de la tradition bourgeoise. Il avait été peut-être conduit à la
pratique qu’il a fait adopter, en partie par des préoccupations anarchistes,
mais bien plutôt encore par le sens remarquable qu’il avait des conditions de
la lutte de classe. Au lieu de chercher à constituer une nouvelle autorité, il
voulait réduire le comité fédéral à nêtre qu’un bureau administratif, qui servirait
à mettre les Bourses en relation entre elles, pour que chacune d’elles pût
profiter des idées émises et des expériences tentées ailleurs. il ne sera pas
facile de continuer cette œuvre dans le même esprit, parce que cette
administration est fort contraire à tout ce que nous sommes habitués à voir
faire autour de nous ; il faudra que le Comité fédéral reste fortement empreint
de sentiments révolutionnaires [(Dans sa Lettre aux anarchistes, du 12 décembre
1899, Pelloutier écrivait : « Nous sommes des révoltés de toutes les heures,
des hommes vraiment sans dieu, sans maître, sans patrie, les ennemis
irréconciliables de tout despotisme, moral ou matériel, individuel ou
collectif, c’est-à-dire des lois et des dictatures (y compris celle du
prolétariat) et les amants passionnés de la culture de soi-même. » (Le congrès
général du parti socialiste français, p. VII).]] pour que cela puisse durer. »
« L’organisation des Bourses du travail a pour base
première l’existence des relations qui découlent entre les travailleurs,
appartenant à diverses professions, de la vie dans un même lieu ; on n’attache
pas toujours assez d’importance aux liens locaux ; sans doute parce qu’ils sont
trop faciles à constater, les savants les laissent de côté. dans le plus grand
nombre de cas, les ouvriers d’une même ville ont plus d’intérêts communs que
les ouvriers d’une même profession habitant des villes éloignées. Sans doute,
les mécaniciens des chemins de fer n’ont pas de profondes attaches locales,
parce que les administrations dont ils dépendent sont centralisées à Paris, et
qu’ils peuvent être appelés à faire leur service sur des points très divers
d’un même réseau ; mais c’est là une situation exceptionnelle. Les ouvriers
d’une même ville provinciale ont beaucoup de parents et d’amis communs, ils ont
été à l’école ensemble ; leur manière de vivre et leurs conditions générales
d’existence sont très semblables ; ils sont mélangés dans de nombreuses
associations (de coopération, de secours mutuels, d’enseignement ou
d’amusement) ; ils forment un peuple ayant une véritable unité ; on peut dire
que, dans toute localité où le socialisme a pris de l’extension, il existe une
commune ouvrière en voie d’organisation. »
« L’expérience a montré que l’éducation artistique,
scientifique et littéraire du peuple pourrait très utilement être dirigées par
les Bourses ; dans une solide étude sur les Universités populaires, Ch.
Guieyesse estime qu’elles ne peuvent réussir que si les conférenciers ne
cherchent pas à s’ériger en maîtres ; il faut qu’ils se mettent à la
disposition de leur auditoire pour traiter les sujets dont celui-ci éprouve le
besoin : « Les U.P. [39] fondées par des Bourses du travail, des syndicats, que
l’autoritarisme politique n’a pas atteints, sont les meilleures. » Cet
enseignement n’a qu’un rapport si lointain avec les intérêts de parti que l’on
peut trouver partout des hommes de bonne volonté pour le donner d’une manière
très satisfaisante ; mais l’Université et l’Église rivalisent pour transformer
les questions historiques et philosophiques en matières de propagande ; aussi
beaucoup de socialistes ont-ils vu avec quelque crainte les professeurs de
l’État se mêler de vouloir enseigner le peuple. Au congrès des Bourses tenu en
1900 à Paris, on a même émis l’opinion qu’il y aurait lieu de créer un
enseignement primaire pour les enfants des syndiqués, de manière à les
soustraire à l’influence des manuels civiques officiels [40]. »
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