Ce mot vient du latin lingua, qui a fait aussi
langage, mais dont le radical signifie lécher, comme dans lingere. En anatomie,
la langue est un organe qui sert à la fois à la dégustation, à la déglutition,
et à l'articulation de la voix. C'est cette dernière fonction de la langue qui
a fait donner ce nom et celui de langage à la parole. Littré distingue ainsi
les deux mots : « La langue est la collection des moyens d'exprimer la pensée
par la bouche ; le langage est l'emploi de ces moyens ». Les langues sont « les
formes immédiates de la pensée, les instruments créés par elle pour la
traduire. Elles sont autant de miroirs où viennent se réfléchir les habitudes
d'esprit et la psychologie des peuples » (Darmesteter). C'est par le
développement de la pensée que les langues se transforment. Si la pensée
s'enrichit, les langues s'enrichissent avec elle ; si elle régresse, elles
régressent avec elle. Elles se modifient suivant les variations de la
prononciation (altérations phonétiques), celles de la grammaire (changements
analogiques), celles du lexique (mots qui disparaissent ou mots nouveaux,
néologismes) qui sont créatrices ou destructrices. C'est par la culture de la
pensée que les langues conservent leurs formes dans leur pureté ; mais il y a
péril pour elles à s'immobiliser dans des formes comme il y a péril pour les
peuples à s'immobiliser dans leur pensée. La condition de la langue comme de la
pensée est dans la vie en développement incessant. La cristallisation est
mortelle pour la pensée ; elle ne l'est pas moins pour ses organes. Les moyens
d'exprimer la pensée par la parole varient, comme les groupes d'individus,
suivant le temps, les lieux, les mœurs, les événements politiques et sociaux,
le degré de civilisation. On appelle généralement langue « l'expression de la
pensée d'après les principes communs à toutes les grammaires » (Littré). Les
langues partagent le destin de ceux qui les parlent. Certaines ont disparu avec
les peuples qui les parlaient. D'autres ont laissé des traces mais ne sont plus
parlées par des peuples ; ce sont des langues mortes. Les découvertes de
l'archéologie étendent tous les jours la possibilité d'étude de ces langues,
limitée pendant longtemps au grec et au latin. Les langues vivantes sont celles
actuellement en usage. On en compte de 900 à 1500 suivant qu'on s'en tient aux
langues proprement dites ou qu'on y ajoute leurs variétés. Celles-ci sont,
selon les cas, des idiomes, des dialectes ou des patois. L'idiome est une
langue d'un usage peu répandu, celle d'un petit peuple. Il est aussi la langue
considérée dans ses particularités propres à chaque nation. Le dialecte est une
variété d'une langue mère ou langue principale, qui est particulière à une
région, surtout par la prononciation. Le patois est généralement la langue des paysans
; son caractère est ethnique, spécial à un territoire restreint. Il est le
dialecte qui a végété dans une petite région ; il est un produit de la terre et
à l'origine des langues. Le conglomérat des patois parlés par les petits
groupes humains a formé les dialectes, puis les idiomes et les langues,
parallèlement à la formation plus ou moins artificielle des provinces et des
nations. Lorsque celles-ci perdent leurs langues en se transformant, le patois
demeure le langage du terroir. Il est le fonds de la langue et reste
immuablement attaché à la terre comme sa faune et sa flore. Ainsi, les
différents patois parlés localement sur le territoire de la France ont formé,
avec le mélange des éléments envahisseurs, deux langues qui étaient au moyen
âge les dialectes d'oïl et d'oc. Les événements politiques ayant fait
prédominer les provinces du Nord sur celles du Midi, les dialectes d'oïl
formèrent la langue de la France tout entière et ceux d'oc furent réduits à la
multiplicité de leurs idiomes locaux ou patois. En Alsace, la véritable langue du
pays est le patois auquel la population est d'autant plus attachée que,
périodiquement, la langue officielle change pour devenir française ou allemande
selon les caprices de la guerre. Il est donc inexact de ne voir dans les patois
que des survivances plus ou moins informes de langues disparues. A côté des
langues proprement dites, et en marge d'elles, il y a l'argot qui ne se
distingue pas d'abord du jargon. Les deux sont, dans leur sens général, le
langage spécial d'une profession. Il y a l'argot des soldats, des marins, du
théâtre, comme il y a celui des maçons, des charpentiers, des forgerons. Il est
probable qu'il a toujours existé comme langage de métier, autant pour se
reconnaître et se comprendre entre gens de même travail que pour cacher le sens
de leurs conversations aux étrangers qui voulaient se mêler à la corporation.
En France, il serait né au XVème siècle, chez les merciers du Poitou qui
exerçaient leur profession dans les foires. Certains de ces merciers, ayant
fait de mauvaises affaires, se mêlèrent aux gueux et leur apprirent leur
jargon. Il se répandit alors rapidement dans toute la « gueuserie » qui pullula
à la suite de la guerre de Cent ans et des misères qu'elle engendra se
recrutant parmi les « criminels de tout ordre échappés à la justice, les
laboureurs ruinés et expropriés, les ouvriers paresseux ou sans ouvrage, les
soldats maraudeurs ou déserteurs, les marchands ruinés ou fripons, les gens de
métiers aventureux, charlatans, diseurs de bonne aventure, crieurs
d'indulgences, ménétriers, baladins, histrions, jongleurs et faiseurs de tours,
les déclassés, fils de famille prodigues on déshérités, les écoliers et les
clercs rejetés de l'Université et de l'Eglise, etc... » (Auguste Vitu). C'est
parmi ces derniers, déclassés écoliers et clercs, que Villon apprit l'argot et
qu'il l'introduisit dans la littérature. Il était alors le langage spécial de
la Cour des Miracles et allait être de plus en plus particulier au monde de la
Gueuserie dont il serait l'unique langage. Le jargon ou argot des merciers ou
mercelots a été recueilli d'abord dans un petit livre du temps intitulé : La
vie généreuse des Mercelots, puis dans un autre plus important et plus répandu,
qui montre son usage en dehors de la corporation des merciers : Le jargon ou le
langage de l'argot réformé comme il est à présent en usage parmi les bons
pauvres. Les auteurs de ces livres seraient Pachon de Ruby et son continuateur
Ollivier Chereau. Divers auteurs ont employé l'argot et des spécialistes l'ont
étudié : Francisque Michel (Dictionnaire d'argot 1856), Lorédan Larchey
(Dictionnaire historique, étymologique et anecdotique de l'argot parisien
1860), Georges Delesalle (Dictionnaire argot-français et français-argot 1896).
Auguste Vitu s'est particulièrement occupé du jargon du XVème siècle (1884).
Balzac et Eugène Sue ont fait à l'argot une assez grande place dans leurs
œuvres et Victor Hugo lui a consacré toute une étude dans Les Misérables. Il a
montré remarquablement son véritable caractère et son rôle social. Il a dit : «
Tous les métiers, toutes les professions, on pourrait presque ajouter tous les
accidents de la hiérarchie sociale et toutes les formes de l'intelligence, ont
leur argot », et il a cité de nombreux exemples. Mais le véritable argot c'est
« la langue de la misère qui se révolte et qui se décide à entrer en lutte
contre l'ensemble des faits heureux et des droits régnants... C'est la langue
qu'a parlé, en France par exemple depuis plus de quatre siècles, non seulement
une misère, mais la misère, toute la misère humaine possible ». Et Victor Hugo
dit fort justement, avec ce sens profond de l'humain qui était en lui : « Si la
langue qu'a parlé une nation ou une province est digne d'intérêt, il est une
chose plus digne encore d'attention et d'étude, c'est la langue qu'a parlé une
misère... Epouvantable langue crapaude qui va, vient, sautille, rampe, bave, et
se meut monstrueusement dans cette immense brume grise faite de pluie, de nuit,
de faim, de vice, de mensonge, d'injustice, de nudité, d'asphyxie et d'hiver,
plein midi des misérables ». L'état social a fait la misère ; la misère a fait
son langage : l'argot. Il est, en bas de l'échelle sociale, ce qu'est, en haut,
le jargon précieux, affecté, noble, académique, des privilégiés à qui il
répugne mais qui profitent de la misère dont il est l'expression cynique et
désespérée. Le jargon est une corruption de la langue par quelqu'un qui la
parle mal. Le langage français « petit nègre » qui s'est implanté depuis la
guerre est du jargon, comme le « bich la mar » que parlent les indigènes dans
les colonies du Pacifique. Il est aussi le langage particulier adopté dans
certains milieux. Dans cette application il convient mieux que le mot argot
qu'il y a lieu de laisser dans son farouche emploi de langue de la misère. Il y
a les jargons des gens de justice, d'affaires, de sciences, de lettres, les
jargons mondains, politiciens, administratifs, sportifs et, en général, de tous
les milieux où la malfaisance sociale, ne portant pas la tare de la misère,
fait figure d'honnêteté. Enfin, à côté des langues qui sont les moyens
d'expression naturels des hommes et se sont formées suivant leurs conditions
d'existence, il y a des langues artificielles, ou plutôt des essais plus ou
moins réussis de langues artificielles. On a eu le projet de langue bleue,
créée de toutes pièces, de Léon Bollack, et le volapük, de l'abbé Schleyer,
dont le vocabulaire était germanique. L'esperanto, l'ido, l'universel, et
d'autres sont de ces langues qui connaîtront peut-être un meilleur destin,
grâce à l'idée qui s répand dans l'Internationale Ouvrière de la nécessité
d'une langue universelle permettant à tous les peuples de s'entendre entre eux.
Ce qu'on appelle langue verte est un langage qui tient à la fois du parler
populaire et de l'argot. C'est, dans le français, un choix d'expressions
pittoresques du vieux langage parlé avant la réforme académique de la langue.
Les Anglais ont leur argot qui est le cant et leur langue verte, qui est le
slang. Lachâtre a composé un Dictionnaire de la langue verte. Les langues
liturgiques sont celles employées par l'Eglise pour ses cérémonies et ses
prières. Le latin est la langue liturgique des catholiques romains. * * *
Quelle est l'origine des langues? La question est la même que celle de
l'origine du langage. Elle est intimement liée à celle de l'origine de l'homme.
Avant toute étude linguistique, les imposteurs avaient beau jeu pour prétendre
qu'il y eut une seule langue, créée avec le premier homme et parlée
spontanément par lui. De même ils racontèrent chez chaque peuple que sa langue
était à l'origine du langage humain. Hérodote a rapporté l'histoire bouffonne
de Psamméti parce que deux enfants auraient prononcé le mot beccos (pain) en
venant au monde. Les commentateurs de la Bible présentent de leur côté l'hébreu
comme la langue originelle, celle qu'Adam aurait parlée dans le paradis
terrestre. Comme il n'est pas 1e religion antique qui n'ait à son origine
l'histoire de ce paradis, celle de la Bible n'étant qu'un plagiat d'autres plus
anciennes, il s'ensuit que chaque peuple religieux avait la prétention
d'habiter le pays du paradis terrestre, de descendre du premier homme et de
parler la langue qui fut la première. La recherche scientifique met peu à peu à
leur place toutes ces sornettes, mais, n'existerait-elle pas que le simple bon
sens dirait avec Voltaire : « Il n'y a pas eu plus de langue primitive, et
d'alphabet primitif, que de chêne primitif et que d'herbe primitive ». Cette
recherche établit de plus en plus que l'homme apparut sur la Terre en des
points différents et à des époques qui ne peuvent être précisées, mais qui
varièrent selon que les milieux furent plus ou moins favorables à sa formation.
Et cela concorde avec l'absence de véritables rapports entre certaines familles
de langues pour démontrer qu'elles n'ont pu avoir une origine commune, Leibniz
commença l'étude comparée des langues qui devait conduire aux connaissances
actuelles. La découverte du sanscrit, langue morte qui serait bien supérieure
au latin et même au grec comme « plus flexible, plus composée et plus complète
». (Le Brocquys), fit modifier l'ancienne méthode, appelée ethnographique, de
classement de langues, et adopter celle de la morphologie et de la généalogie.
Par elle, on est arrivé à présumer qu'il y a cinq ou six sources des langues et
des peuples qui se sont répandus et mêlés sur la Terre entière. Le sanscrit,
par exemple, serait la langue-mère de celles de l'Inde, de la Perse et de
toutes les grandes branches du langage européen. On divise aujourd'hui les
langues parlées sur la Terre en trois grandes classes : 1 ° Les langues
monosyllabiques ou isolantes, dont les racines sont employées comme des mots
indépendants (Asie Orientale et Amérique Centrale). 2° Les langues
agglutinantes, où plusieurs racines s'agglutinent pour former un mot dans
lequel l'une d'elles conserve son indépendance radicale. Elles comprennent
trois groupes appelés atomique, touranien, holophrastique ou polysynthétique et
sont dispersées dans le monde, sauf en Europe. 3° Les langues à flexion où les
racines fondues entre elles n'ont plus d'indépendance. Ce sont les langues
indo-européennes et sémitiques. Ces divisions seront-elles les bases solides
des travaux linguistiques de l'avenir ou devront-elles être modifiées? On ne
peut le dire. La linguistique est une science bien jeune. Parmi les sciences
biologiques, elle est une de celles qui ont encore le plus de choses à
découvrir. Nous ne ferons pas ici une étude des différentes langues, mais nous
nous occuperons plus particulièrement du français.
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