dimanche 20 août 2023

PATRIE : n.f. (du latin pater, père) encyclopedie anarchiste de Sébastien Faure


Le mot patrie, chez les anciens, signifiait la terre des pères : terra patria. Etymologiquement, il désigne le pays où on est né. Comment, de ce sens si restreint le mot patrie est-il arrivé à désigner les vastes nations d’aujourd’hui? Par quel processus, dépassant même ce stade, arrive-t-il à désigner la terre entière, la patrie humaine, rejoignant l'internationale? En voici succintement l'explication, donnée par A. Hamon :

« L'idée de patrie présuppose la solidarité l'union, l'association entre individus. L'idée de patrie implique l'idée de collectivité; en effet, nous ne pouvons concevoir et nous ne pensons pas que quelqu'un puisse concevoir la patrie réduite à un individu. La patrie est donc un ensemble d'êtres, une résultante dont les composantes sont des individus. Pour que ces individus se composent entre eux et donnent naissance à la résultante patrie, il faut des caractères communs, une relation de nature quelconque unissant associant ces individus entre eux. Nous ne pouvons concevoir des êtres sans communs caractères s'agrégeant entre eux, se composant pour engendrer une association, une collectivité, une résultante patrie. Ces premiers caractères communs furent certainement le lieu de naissance ou plutôt le groupement au milieu duquel l'être naissait et se développait. La première patrie fut la horde, la tribu, le clan. La vie en commun développe une communauté -accrue encore par les liens du sang- de mœurs, de coutumes, de langue, de sensations, de sentiments qui rend solidaires les humains les uns des autres. Ils sont les membres d'un même corps, agrégat d'individus. Aussi, dans la horde, la tribu, le clan ils se sentent solidaires les uns des autres. Relativement aux tribus voisines. Ils se sentent différents, presque de nature autre, vivant éloignés, n'ayant de contact que pour la dispute, la guerre. Mœurs, coutumes, langues, sentiments et sensations sont dissemblables. Elles sont l'étranger, l'ennemi. La patrie est la horde, la tribu, le clan seul.

Peu à peu, avec le temps, l'homme passant de l'état de chasseur à l'état de pasteur et de celui-ci à, l'état d'agriculteur, la cité se forma. Alors la patrie fut cette cité. L'étranger, l'ennemi, fut celui qui n'était pas de la cité. Le nombre de gens participant de caractères communs s'est accru ; la solidarité s'étend sur une aire plus grande, mais son intensité a diminué, car des classes et des castes se sont séparées dans la cité. La patrie existe plus grande, plus ample, mais le sentiment patriotique est moins puissant, car on a moins besoin d'être solidaire. De la civilisation naissent sans cesse de nouveaux besoins ; aussi, le commerce se développe ; et, par suite, se multiplient les contacts entre cités voisines. On se connaît mieux, en se hait moins, même on s'aime. Les différenciations de mœurs s'atténuent ; les langues se pénètrent mutuellement ; les intérêts se solidarisent en quelques occasions ; l'alliance, puis l'union se fait.

Le petit Etat est né ; une nouvelle patrie en résulte, plus grande de territoire, plus nombreuse d’hommes. Dans cet Etat, les mœurs, les coutumes, les langues, les sentiments tendent à s'unifier, à devenir semblables du Nord comme au Sud, à l'Est comme à l'Ouest. La solidarité diminue d'intensité. De l'extension des connaissances humaines, du commerce, de l’industrie naissent de nouveaux besoins qui entrainent des voyages, à des rapports fréquents avec l'étranger. Des guerres résultent des contacts entre peuples ennemis, des chevauchées en des régions étrangères. Les peuples se pénètrent mutuellement, tendent à se différencier de moins en moins. Des alliances et des unions se font. Par elles, l'agrégation des petits Etats en de grands s'accomplit, et aussi par conquêtes.

Une nouvelle patrie est née. Elle est plus grande superficiellement que toutes les précédentes ; elle contient plus d'individus que toutes les précédentes. La solidarité embrasse un plus grand nombre d'êtres, mais elle est moins intense. Tous les hommes de cette patrie n'ayant pas de rapports quotidiens entre eux, ne vivant pas en un même lieu, ne se connaissent point, ne se sentent point exactement semblables entre eux, bien que les différenciations se soient considérablement atténuées. Le lien de solidarité existe, mais, embrassant plus d'êtres, il est plus lâche.

Nous en sommes actuellement à ce stade de l'évolution et déjà se dessine vigoureusement le processus qui conduira l'humanité à l'internationalité ou union des nations et ensuite vers un état tendant sans cesse à l'uniformité entre tous les humains. Actuellement, en nos grandes patries, tout tend à l'internationalité, c'est-àdire à la solidarité entre les nations, à l'amour des hommes, quels que soient leur lieu de naissance, leurs mœurs »

Un seul complément à ces lignes : à l'heure présente, le soi-disant lien de solidarité sociale n'existe pas entre tous les hommes d'une même « patrie ». Le prolétaire conscient nie les patries. Il ne se sent solidaire que de ses frères de misère, sur le plan international. Nous verrons cela plus loin. 

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