mardi 29 août 2023

Le testament de l'abbé Meslier de l'abbé Meslier Partie III

 

Chapitre IV

 

Conformité des anciens & nouveaux miracles

 

Si nos Christicoles disent que plusieurs de leurs saints ont été miraculeusement conservés dans les flammes ardentes, sans y recevoir aucun dommage dans leurs corps ni dans leurs habits, les Païens disaient que les religieuses du temple de Diane marchaient sur les charbons ardents pieds nus, sans se brûler & sans se blesser les pieds, & que les prêtres de la déesse Féronie & de Hirpicus marchaient de même sur des charbons ardents, dans les feux de joie que l'on faisait à l'honneur d'Apollon.

Si les anges bâtirent une chapelle à St Clément au fond de la mer, la petite maison de Baucis & de Philémon fut miraculeusement changée en un superbe temple, en récompense de leur piété,

Si plusieurs de leurs saints, comme St Jacques, St Maurice, etc., ont plusieurs fois paru dans leurs armées, montés & équipés à l'avantage, combattre en leur faveur, Castor & Pollux ont paru plusieurs fois en bataille combattre pour les Romains contre leurs ennemis.

Si un bélier se trouva miraculeusement pour être offert en sacrifice à la place d'Isaac, lorsque son père Abraham le voulait sacrifier, la déesse Vesta envoya aussi une génisse pour lui être sacrifiée à la place de Métella, fille de Métellus ; la déesse Diane envoya de même une biche à la place d'Iphigénie, lorsqu'elle était sur le bûcher pour lui être immolée, & par ce moyen Iphigénie fut délivrée.

Si St Joseph fuit en Égypte sur l'avertissement de l'ange, Simonides, le poète, évita plusieurs dangers mortels sur un avertissement miraculeux qui lui en fut fait.

Si Moïse fit sortir une source d'eau vive d'un rocher en le frappant de son bâton, le cheval Pégase en fit autant, en frappant de son pied un rocher : il en sortit une fontaine.

Si St Vincent Ferrier ressuscita un mort haché en pièces, & dont le corps était déjà moitié cuit & moitié rôti, Pélops, fils de Tantale roi de Phrygie, ayant été mis en pièces par son père pour le faire manger aux dieux, ils en ramassèrent tous les membres, les réunirent, & lui rendirent la vie.

Si plusieurs crucifix & autres images ont miraculeusement parlé & rendu des réponses, les Païens disent que leurs oracles ont Divinement parlé & rendu des réponses à ceux qui les consultaient, & que la tête d'Orphée & celle de Polycrate rendaient des oracles après leur mort.

Si Dieu fit connaître par une voix du ciel que Jésus-Christ était son fils, comme le citent les Evangélistes, Vulcain fit voir, par l'apparition d'une flamme miraculeuse, que Coeculus était véritablement son fils.

Si Dieu a miraculeusement nourri quelques-uns de ses saints, les poètes Païens disent que Triptolème fut miraculeusement nourri d'un lait Divin par Cérès, qui lui donna aussi un char attelé de deux dragons ; & que Phénée, fils de Mars, étant sorti du ventre de sa mère déjà morte, fut néanmoins miraculeusement nourri de son lait.

Si plusieurs saints ont miraculeusement adouci la cruauté & la férocité des bêtes les plus cruelles, il est dit qu'Orphée attirait à lui, par la douceur de son chant & l'harmonie de ses instruments, les lions, les ours & les tigres, & adoucissait la férocité de leur nature ; qu'il attirait à lui les rochers, les arbres, & même que les rivières arrêtaient leur cours pour l'entendre chanter.

Enfin, pour abréger, car on en pourrait rapporter bien d'autres, si nos Christicoles disent que les murailles de la ville de Jéricho tombèrent par le son des trompettes, les Païens disent que les murailles de la ville de Thèbes furent bâties par le son des instruments de musique d'Amphion, les pierres, disent les poètes, s'étant agencées d'elles-mêmes par la douceur de son harmonie : ce qui serait encore bien plus miraculeux & plus admirable que de voir tomber des murailles par terre.

Voilà certainement une grande conformité de miracles de part & d'autre. Comme ce serait une grande sottise d'ajouter foi à ces prétendus miracles du paganisme, ce n'en est pas moins une d'en ajouter à ceux du Christianisme, puisqu'ils ne viennent tous que d'un même principe d'erreur. C'était pour cela aussi que les manichéens & les ariens, qui étaient vers le commencement du Christianisme, se moquaient de ces prétendus miracles, faits par l'invocation des saints, & blâmaient ceux qui les invoquaient après leur mort, & qui honoraient leurs reliques.

Revenons à présent à la principale fin que Dieu se serait proposée en envoyant son Fils au monde, qui se serait fait homme : ç'aurait été, comme il est dit, d'ôter les péchés du monde, & de détruire entièrement les oeuvres du prétendu démon, etc. ; c'est ce que nos Christicoles soutiennent, comme aussi que Jésus-Christ aurait bien voulu mourir pour l'amour d'eux, suivant l'intention de Dieu son père, ce qui est clairement marqué dans tous les prétendus saints livres.

 

 

Chapitre V

 

IIIe Preuve de la fausseté de la Religion, tirée des prétendues Visions & Révélations Divines.

 

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Venons aux prétendues visions & révélations Divines, sur lesquelles nos Christicoles fondent & établissent la vérité & la certitude de leur Religion.

Pour en donner une juste idée, je ne crois pas qu'on puisse mieux faire que de dire en général qu'elles sont telles que si quelqu'un osait maintenant se vanter d'en avoir de semblables, & qu'il voulût s'en prévaloir, on le regarderait infailliblement comme un fou, un fanatique.

Voici quelles furent ces prétendues visions & révélations Divines.

Dieu, disent les prétendus saints livres, s'étant pour la première fois apparu à Abraham, lui dit : "Sortez de votre pays (il était alors en Chaldée), quittez la maison de votre père, & allez- vous-en au pays que je vous montrerai." Cet Abraham y étant allé, Dieu, dit l'histoire, Gen. XII, 7, s'apparut une seconde fois à lui, & lui dit : "Je donnerai tout ce pays-ci où vous êtes à votre postérité." En reconnaissance de cette gracieuse promesse, Abraham lui dressa un autel.

Après la mort d'Isaac, son fils Jacob allant un jour en Mésopotamie pour chercher une femme qui lui fût convenable, ayant marché tout le jour, se sentant fatigué du chemin, il voulut se reposer sur le soir ; couché par terre, sa tête appuyée sur quelques pierres pour s'y reposer,

il s'endormit, & pendant son sommeil il vit en songe une échelle dressée de la terre à l'extrémité du ciel, & il lui semblait voir les anges monter & descendre par cette échelle, & qu'il voyait Dieu lui-même s'appuyer sur le plus haut bout, lui disant : « Je suis le Seigneur, le Dieu d'Abraham & le Dieu d'Isaac votre père ; je vous donnerai, à vous & à votre postérité, tout le pays où vous dormez ; elle sera aussi nombreuse que la poussière de la terre ; elle s'étendra depuis l'orient jusqu'à l'occident, & depuis le midi jusqu'au septentrion ; je serai votre protecteur partout où vous irez ; je vous ramènerai sain & sauf de cette terre, & je ne vous abandonnerai point que je n'aie accompli tout ce que je vous ai promis. » Jacob, s'étant éveillé dans ce songe, fut saisi de crainte & dit : « Quoi ! Dieu est vraiment ici, & je n'en savais rien ! Ah, que ce lieu-ci est terrible, puisque ce n'est autre chose que la maison de Dieu & la porte du ciel ! » Puis, s'étant levé, il dressa une pierre, sur laquelle il répandit de l'huile en mémoire de ce qui venait de lui arriver, & fit en même temps voeu à Dieu que s'il revenait sain & sauf il lui offrirait la dîme de tout ce qu'il aurait.

Voici encore une autre vision. Gardant les troupeaux de son beaupère Laban, qui lui avait promis que tous les agneaux de diverses couleurs que les brebis produiraient seraient sa récompense, il songea une nuit qu'il voyait les mâles sauter sur les femelles, & qu'elles lui produisaient toutes des agneaux de diverses couleurs. Dans ce beau songe, Dieu lui apparut, & lui dit : 5 « Regardez & voyez comme les mâles montent sur les femelles, & comme ils sont de diverses couleurs ; car j'ai vu la tromperie & l'injustice que vous fait Laban votre beau-père levez-vous donc maintenant ; sortez de ce pays-ci, & retournez dans le votre. » Comme il s'en retournait avec toute sa famille, & avec ce qu'il avait gagné chez son beau-père, il eut, dit l'histoire, en rencontre, pendant la nuit, un homme inconnu, contre lequel il lui fallut combattre toute la nuit jusqu'au point du jour ; & cet homme ne l'ayant pu vaincre, il lui demanda qui il était ; Jacob lui dit son nom. « Vous ne serez plus appelé Jacob, mais Israël : car puisque vous avez été fort en combattant contre Dieu, à plus forte raison serez-vous fort en combattant contre les hommes. » (Gen. XXXII, 25, 28.)

Voilà quelles furent en partie les premières de ces prétendues visions & révélations Divines. Il ne faut pas juger autrement des autres que de celles-ci. Or, quelle apparence de Divinité y a-t-il dans des songes si grossiers & dans des illusions si vaines ? Si quelques personnes venaient maintenant nous conter de pareilles sornettes, & les crussent pour de véritables révélations Divines ; comme, par exemple, si quelques étrangers, quelques Allemands venus dans notre France, & qui auraient vu toutes les plus belles provinces du royaume, venaient à dire que Dieu leur serait apparu dans leur pays, qu'il leur aurait dit de venir en France, & qu'il leur donnerait à eux & à tous leurs descendants toutes les belles terres, seigneuries & provinces de ce royaume, qui sont depuis les fleuves du Rhin & du Rhône jusqu'à la mer Océane ; qu'il ferait une éternelle alliance avec eux, qu'il multiplierait leur race, qu'il rendrait leur postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel & que les grains de sable de la mer, etc. ; qui ne rirait de telles sottises, & qui ne regarderait ces étrangers comme des fous ? Il n'y a certainement personne qui ne les regardât comme tels, & qui ne se moquât de toutes ces belles visions & révélations Divines.

Or il n'y a aucune raison de juger ni de penser autrement de tout ce qu'on fait dire à ces grands prétendus saints patriarches, Abraham, Isaac & Jacob, sur les prétendues révélations Divines qu'ils disaient avoir eues.

À l'égard de l'institution des sacrifices sanglants, les livres sacrés l'attribuent manifestement à Dieu. Comme il serait trop ennuyeux de faire les détails dégoûtants de ces sortes de sacrifices, je renvoie le lecteur à l'Exode, chapitre XXV, 1 ; XXVII, 1 & 21 ; XXVIII, 3 ; XXIX ; ibid., v, 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.

Mais les hommes n'étaient-ils pas bien fous & bien aveuglés de croire faire honneur à Dieu de déchirer, tuer & brûler ses propres créatures, sous prétexte de lui en faire des sacrifices ? & maintenant encore, comment est-ce que nos Christicoles sont si extravagants que de croire faire un plaisir extrême à leur Dieu le Père, de lui offrir éternellement en sacrifice son Divin Fils, en mémoire de ce qu'il aurait été honteusement & misérablement pendu à une croix où il serait expiré ? Certainement cela ne peut venir que d'un opiniâtre aveuglement d'esprit.

À l'égard du détail des sacrifices d'animaux, il ne consiste qu'en des vêtements de couleurs, en sang, fressures, foies, jabots, rognons, ongles, peaux, fiente, fumée, gâteaux, certaines mesures d'huile & de vin : le tout offert & infecté de cérémonies sales & aussi pitoyables que des opérations de magie les plus extravagantes.

Ce qu'il y a de plus horrible, c'est que la Loi de ce détestable peuple Juif ordonnait aussi que l'on sacrifiât des hommes. Les barbares (tels qu'ils soient) qui avaient rédigé cette Loi affreuse ordonnaient, Levit., chap. XXVII, que l'on fit mourir, sans miséricorde, tout homme qui avait été voué au Dieu des Juifs, qu'ils nommaient Adonaï ; & c'est selon ce précepte exécrable que Jephté immola sa fille, que Saül voulut immoler son fils.

Mais voici encore une preuve de la fausseté de ces révélations dont nous avons parlé. C'est le défaut d'accomplissement des grandes & magnifiques promesses qui les accompagnaient : car il est constant que ces promesses n'ont jamais été accomplies. 

La preuve de cela consiste en trois choses principales : 1° à rendre leur postérité plus nombreuse que tous les autres peuples de la terre, etc. ; 2° à rendre le peuple qui viendrait de leur race le plus heureux, le plus saint & le plus triomphant de tous les peuples de la terre, etc. ; 3° & aussi à rendre son alliance éternelle, & qu'ils posséderaient à jamais le pays qu'il leur donnerait. Or il est constant que ces promesses n'ont jamais été accomplies.

Premièrement, il est certain que le peuple Juif, ou le peuple d'Israël, qui est le seul qu'on puisse regarder comme descendant des patriarches Abraham, Isaac & Jacob, & le seul dans lequel ces promesses auraient dû s'accomplir, n'a jamais été si nombreux pour qu'il puisse être comparable en nombre aux autres peuples de la terre, beaucoup moins, par conséquent, aux grains de sable, etc. ; car l'on voit que dans le temps même qu'il a été le plus nombreux & le plus florissant il n'a jamais occupé que les petites provinces stériles de la Palestine & des environs, qui ne sont presque rien en comparaison de la vaste étendue d'une multitude de royaumes florissants qui sont de tous côtés sur la terre.

Secondement, elles n'ont jamais été accomplies touchant les grandes bénédictions dont ils auraient dû être favorisés : car quoiqu'ils aient remporté quelques petites victoires sur de pauvres peuples qu'ils ont pillés, cela n'a pas empêché qu'ils n'aient été le plus souvent vaincus & réduits en servitude, leur royaume détruit, aussi bien que leur nation, par l'armée des Romains ; & maintenant encore nous voyons que le reste de cette malheureuse nation n'est regardé que comme le peuple le plus vil & le plus méprisable de toute la terre, n'ayant en aucun endroit ni domination ni supériorité.

Troisièmement. Enfin ces promesses n'ont point été non plus accomplies à l'égard de cette alliance éternelle que Dieu aurait dû faire avec eux, puisque l'on ne voit maintenant, & que l'on n'a même jamais vu aucune marque de cette alliance ; & qu'au contraire ils sont, depuis plusieurs siècles, exclus de la possession du petit pays qu'ils prétendent leur avoir été promis de la part de Dieu pour en jouir à tout jamais. Ainsi toutes ces prétendues promesses n'ayant pas en leur effet, c'est une marque assurée de leur fausseté : ce qui prouve manifestement encore que ces prétendus saints & sacrés livres qui les contiennent n'ont pas été faits par l'inspiration de Dieu. Donc c'est en vain que nos Christicoles prétendent s'en servir comme d'un témoignage infaillible pour prouver la vérité de leur Religion.

Quoi ! un Dieu tout-puissant, & qui aurait voulu se faire homme mortel pour l'amour d'eux, & répandre jusqu'à la dernière goutte de son sang pour les sauver tous, aurait voulu borner sa puissance à guérir seulement quelques maladies & quelques infirmités du corps, dans quelques infirmes qu'on lui aurait présentés, & il n'aurait pas voulu employer sa bonté Divine à guérir toutes les infirmités de nos âmes, c'est-à-dire à guérir tous les hommes de leurs vices & de leurs dérèglements, qui sont pires que les maladies du corps ! Cela n'est pas croyable. Quoi ! un Dieu si bon aurait voulu miraculeusement préserver des corps morts de pourriture & de corruption, & il n'aurait pas voulu de même préserver de la contagion & de la corruption du vice & du péché les âmes d'une infinité de personnes qu'il serait venu racheter au prix de son sang, & qu'il devait sanctifier par sa grâce ! Quelle pitoyable contradiction ! 

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