Chapitre IV
Conformité des anciens & nouveaux miracles
Si nos Christicoles disent que plusieurs de leurs saints ont
été miraculeusement conservés dans les flammes ardentes, sans y recevoir aucun
dommage dans leurs corps ni dans leurs habits, les Païens disaient que les
religieuses du temple de Diane marchaient sur les charbons ardents pieds nus,
sans se brûler & sans se blesser les pieds, & que les prêtres de la
déesse Féronie & de Hirpicus marchaient de même sur des charbons ardents,
dans les feux de joie que l'on faisait à l'honneur d'Apollon.
Si les anges bâtirent une chapelle à St Clément au fond de
la mer, la petite maison de Baucis & de Philémon fut miraculeusement
changée en un superbe temple, en récompense de leur piété,
Si plusieurs de leurs saints, comme St Jacques, St Maurice,
etc., ont plusieurs fois paru dans leurs armées, montés & équipés à
l'avantage, combattre en leur faveur, Castor & Pollux ont paru plusieurs
fois en bataille combattre pour les Romains contre leurs ennemis.
Si un bélier se trouva miraculeusement pour être offert en
sacrifice à la place d'Isaac, lorsque son père Abraham le voulait sacrifier, la
déesse Vesta envoya aussi une génisse pour lui être sacrifiée à la place de
Métella, fille de Métellus ; la déesse Diane envoya de même une biche à la
place d'Iphigénie, lorsqu'elle était sur le bûcher pour lui être immolée, &
par ce moyen Iphigénie fut délivrée.
Si St Joseph fuit en Égypte sur l'avertissement de l'ange,
Simonides, le poète, évita plusieurs dangers mortels sur un avertissement
miraculeux qui lui en fut fait.
Si Moïse fit sortir une source d'eau vive d'un rocher en le
frappant de son bâton, le cheval Pégase en fit autant, en frappant de son pied
un rocher : il en sortit une fontaine.
Si St Vincent Ferrier ressuscita un mort haché en pièces,
& dont le corps était déjà moitié cuit & moitié rôti, Pélops, fils de
Tantale roi de Phrygie, ayant été mis en pièces par son père pour le faire
manger aux dieux, ils en ramassèrent tous les membres, les réunirent, & lui
rendirent la vie.
Si plusieurs crucifix & autres images ont
miraculeusement parlé & rendu des réponses, les Païens disent que leurs
oracles ont Divinement parlé & rendu des réponses à ceux qui les
consultaient, & que la tête d'Orphée & celle de Polycrate rendaient des
oracles après leur mort.
Si Dieu fit connaître par une voix du ciel que Jésus-Christ
était son fils, comme le citent les Evangélistes, Vulcain fit voir, par
l'apparition d'une flamme miraculeuse, que Coeculus était véritablement son
fils.
Si Dieu a miraculeusement nourri quelques-uns de ses saints,
les poètes Païens disent que Triptolème fut miraculeusement nourri d'un lait
Divin par Cérès, qui lui donna aussi un char attelé de deux dragons ; & que
Phénée, fils de Mars, étant sorti du ventre de sa mère déjà morte, fut
néanmoins miraculeusement nourri de son lait.
Si plusieurs saints ont miraculeusement adouci la cruauté
& la férocité des bêtes les plus cruelles, il est dit qu'Orphée attirait à
lui, par la douceur de son chant & l'harmonie de ses instruments, les
lions, les ours & les tigres, & adoucissait la férocité de leur nature
; qu'il attirait à lui les rochers, les arbres, & même que les rivières
arrêtaient leur cours pour l'entendre chanter.
Enfin, pour abréger, car on en pourrait rapporter bien
d'autres, si nos Christicoles disent que les murailles de la ville de Jéricho
tombèrent par le son des trompettes, les Païens disent que les murailles de la
ville de Thèbes furent bâties par le son des instruments de musique d'Amphion,
les pierres, disent les poètes, s'étant agencées d'elles-mêmes par la douceur
de son harmonie : ce qui serait encore bien plus miraculeux & plus
admirable que de voir tomber des murailles par terre.
Voilà certainement une grande conformité de miracles de part
& d'autre. Comme ce serait une grande sottise d'ajouter foi à ces prétendus
miracles du paganisme, ce n'en est pas moins une d'en ajouter à ceux du
Christianisme, puisqu'ils ne viennent tous que d'un même principe d'erreur.
C'était pour cela aussi que les manichéens & les ariens, qui étaient vers
le commencement du Christianisme, se moquaient de ces prétendus miracles, faits
par l'invocation des saints, & blâmaient ceux qui les invoquaient après
leur mort, & qui honoraient leurs reliques.
Revenons à présent à la principale fin que Dieu se serait
proposée en envoyant son Fils au monde, qui se serait fait homme : ç'aurait
été, comme il est dit, d'ôter les péchés du monde, & de détruire
entièrement les oeuvres du prétendu démon, etc. ; c'est ce que nos Christicoles
soutiennent, comme aussi que Jésus-Christ aurait bien voulu mourir pour l'amour
d'eux, suivant l'intention de Dieu son père, ce qui est clairement marqué dans
tous les prétendus saints livres.
Chapitre V
IIIe Preuve de la fausseté de la Religion, tirée des
prétendues Visions & Révélations Divines.
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Venons aux prétendues visions & révélations Divines, sur
lesquelles nos Christicoles fondent & établissent la vérité & la
certitude de leur Religion.
Pour en donner une juste idée, je ne crois pas qu'on puisse
mieux faire que de dire en général qu'elles sont telles que si quelqu'un osait
maintenant se vanter d'en avoir de semblables, & qu'il voulût s'en
prévaloir, on le regarderait infailliblement comme un fou, un fanatique.
Voici quelles furent ces prétendues visions & révélations
Divines.
Dieu, disent les prétendus saints livres, s'étant pour la
première fois apparu à Abraham, lui dit : "Sortez de votre pays (il était
alors en Chaldée), quittez la maison de votre père, & allez- vous-en au
pays que je vous montrerai." Cet Abraham y étant allé, Dieu, dit
l'histoire, Gen. XII, 7, s'apparut une seconde fois à lui, & lui dit :
"Je donnerai tout ce pays-ci où vous êtes à votre postérité." En
reconnaissance de cette gracieuse promesse, Abraham lui dressa un autel.
Après la mort d'Isaac, son fils Jacob allant un jour en
Mésopotamie pour chercher une femme qui lui fût convenable, ayant marché tout
le jour, se sentant fatigué du chemin, il voulut se reposer sur le soir ;
couché par terre, sa tête appuyée sur quelques pierres pour s'y reposer,
il s'endormit, & pendant son sommeil il vit en songe une
échelle dressée de la terre à l'extrémité du ciel, & il lui semblait voir
les anges monter & descendre par cette échelle, & qu'il voyait Dieu
lui-même s'appuyer sur le plus haut bout, lui disant : « Je suis le Seigneur,
le Dieu d'Abraham & le Dieu d'Isaac votre père ; je vous donnerai, à vous
& à votre postérité, tout le pays où vous dormez ; elle sera aussi
nombreuse que la poussière de la terre ; elle s'étendra depuis l'orient jusqu'à
l'occident, & depuis le midi jusqu'au septentrion ; je serai votre
protecteur partout où vous irez ; je vous ramènerai sain & sauf de cette
terre, & je ne vous abandonnerai point que je n'aie accompli tout ce que je
vous ai promis. » Jacob, s'étant éveillé dans ce songe, fut saisi de crainte
& dit : « Quoi ! Dieu est vraiment ici, & je n'en savais rien ! Ah, que
ce lieu-ci est terrible, puisque ce n'est autre chose que la maison de Dieu
& la porte du ciel ! » Puis, s'étant levé, il dressa une pierre, sur laquelle
il répandit de l'huile en mémoire de ce qui venait de lui arriver, & fit en
même temps voeu à Dieu que s'il revenait sain & sauf il lui offrirait la
dîme de tout ce qu'il aurait.
Voici encore une autre vision. Gardant les troupeaux de son
beaupère Laban, qui lui avait promis que tous les agneaux de diverses couleurs
que les brebis produiraient seraient sa récompense, il songea une nuit qu'il
voyait les mâles sauter sur les femelles, & qu'elles lui produisaient
toutes des agneaux de diverses couleurs. Dans ce beau songe, Dieu lui apparut,
& lui dit : 5 « Regardez & voyez comme les mâles montent sur les
femelles, & comme ils sont de diverses couleurs ; car j'ai vu la tromperie
& l'injustice que vous fait Laban votre beau-père levez-vous donc maintenant
; sortez de ce pays-ci, & retournez dans le votre. » Comme il s'en
retournait avec toute sa famille, & avec ce qu'il avait gagné chez son
beau-père, il eut, dit l'histoire, en rencontre, pendant la nuit, un homme
inconnu, contre lequel il lui fallut combattre toute la nuit jusqu'au point du
jour ; & cet homme ne l'ayant pu vaincre, il lui demanda qui il était ;
Jacob lui dit son nom. « Vous ne serez plus appelé Jacob, mais Israël : car
puisque vous avez été fort en combattant contre Dieu, à plus forte raison
serez-vous fort en combattant contre les hommes. » (Gen. XXXII, 25, 28.)
Voilà quelles furent en partie les premières de ces
prétendues visions & révélations Divines. Il ne faut pas juger autrement
des autres que de celles-ci. Or, quelle apparence de Divinité y a-t-il dans des
songes si grossiers & dans des illusions si vaines ? Si quelques personnes
venaient maintenant nous conter de pareilles sornettes, & les crussent pour
de véritables révélations Divines ; comme, par exemple, si quelques étrangers,
quelques Allemands venus dans notre France, & qui auraient vu toutes les
plus belles provinces du royaume, venaient à dire que Dieu leur serait apparu
dans leur pays, qu'il leur aurait dit de venir en France, & qu'il leur
donnerait à eux & à tous leurs descendants toutes les belles terres,
seigneuries & provinces de ce royaume, qui sont depuis les fleuves du Rhin
& du Rhône jusqu'à la mer Océane ; qu'il ferait une éternelle alliance avec
eux, qu'il multiplierait leur race, qu'il rendrait leur postérité aussi nombreuse
que les étoiles du ciel & que les grains de sable de la mer, etc. ; qui ne
rirait de telles sottises, & qui ne regarderait ces étrangers comme des
fous ? Il n'y a certainement personne qui ne les regardât comme tels, & qui
ne se moquât de toutes ces belles visions & révélations Divines.
Or il n'y a aucune raison de juger ni de penser autrement de
tout ce qu'on fait dire à ces grands prétendus saints patriarches, Abraham,
Isaac & Jacob, sur les prétendues révélations Divines qu'ils disaient avoir
eues.
À l'égard de l'institution des sacrifices sanglants, les
livres sacrés l'attribuent manifestement à Dieu. Comme il serait trop ennuyeux
de faire les détails dégoûtants de ces sortes de sacrifices, je renvoie le
lecteur à l'Exode, chapitre XXV, 1 ; XXVII, 1 & 21 ; XXVIII, 3 ; XXIX ;
ibid., v, 2, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11.
Mais les hommes n'étaient-ils pas bien fous & bien
aveuglés de croire faire honneur à Dieu de déchirer, tuer & brûler ses
propres créatures, sous prétexte de lui en faire des sacrifices ? & maintenant
encore, comment est-ce que nos Christicoles sont si extravagants que de croire
faire un plaisir extrême à leur Dieu le Père, de lui offrir éternellement en
sacrifice son Divin Fils, en mémoire de ce qu'il aurait été honteusement &
misérablement pendu à une croix où il serait expiré ? Certainement cela ne peut
venir que d'un opiniâtre aveuglement d'esprit.
À l'égard du détail des sacrifices d'animaux, il ne consiste
qu'en des vêtements de couleurs, en sang, fressures, foies, jabots, rognons,
ongles, peaux, fiente, fumée, gâteaux, certaines mesures d'huile & de vin :
le tout offert & infecté de cérémonies sales & aussi pitoyables que des
opérations de magie les plus extravagantes.
Ce qu'il y a de plus horrible, c'est que la Loi de ce
détestable peuple Juif ordonnait aussi que l'on sacrifiât des hommes. Les
barbares (tels qu'ils soient) qui avaient rédigé cette Loi affreuse
ordonnaient, Levit., chap. XXVII, que l'on fit mourir, sans miséricorde, tout
homme qui avait été voué au Dieu des Juifs, qu'ils nommaient Adonaï ; &
c'est selon ce précepte exécrable que Jephté immola sa fille, que Saül voulut
immoler son fils.
Mais voici encore une preuve de la fausseté de ces
révélations dont nous avons parlé. C'est le défaut d'accomplissement des
grandes & magnifiques promesses qui les accompagnaient : car il est
constant que ces promesses n'ont jamais été accomplies.
La preuve de cela consiste en trois choses principales : 1° à
rendre leur postérité plus nombreuse que tous les autres peuples de la terre,
etc. ; 2° à rendre le peuple qui viendrait de leur race le plus heureux, le
plus saint & le plus triomphant de tous les peuples de la terre, etc. ; 3°
& aussi à rendre son alliance éternelle, & qu'ils posséderaient à
jamais le pays qu'il leur donnerait. Or il est constant que ces promesses n'ont
jamais été accomplies.
Premièrement, il est certain que le peuple Juif, ou le peuple
d'Israël, qui est le seul qu'on puisse regarder comme descendant des
patriarches Abraham, Isaac & Jacob, & le seul dans lequel ces promesses
auraient dû s'accomplir, n'a jamais été si nombreux pour qu'il puisse être
comparable en nombre aux autres peuples de la terre, beaucoup moins, par
conséquent, aux grains de sable, etc. ; car l'on voit que dans le temps même
qu'il a été le plus nombreux & le plus florissant il n'a jamais occupé que
les petites provinces stériles de la Palestine & des environs, qui ne sont
presque rien en comparaison de la vaste étendue d'une multitude de royaumes
florissants qui sont de tous côtés sur la terre.
Secondement, elles n'ont jamais été accomplies touchant les
grandes bénédictions dont ils auraient dû être favorisés : car quoiqu'ils aient
remporté quelques petites victoires sur de pauvres peuples qu'ils ont pillés,
cela n'a pas empêché qu'ils n'aient été le plus souvent vaincus & réduits
en servitude, leur royaume détruit, aussi bien que leur nation, par l'armée des
Romains ; & maintenant encore nous voyons que le reste de cette malheureuse
nation n'est regardé que comme le peuple le plus vil & le plus méprisable
de toute la terre, n'ayant en aucun endroit ni domination ni supériorité.
Troisièmement. Enfin ces promesses n'ont point été non plus
accomplies à l'égard de cette alliance éternelle que Dieu aurait dû faire avec
eux, puisque l'on ne voit maintenant, & que l'on n'a même jamais vu aucune
marque de cette alliance ; & qu'au contraire ils sont, depuis plusieurs
siècles, exclus de la possession du petit pays qu'ils prétendent leur avoir été
promis de la part de Dieu pour en jouir à tout jamais. Ainsi toutes ces
prétendues promesses n'ayant pas en leur effet, c'est une marque assurée de
leur fausseté : ce qui prouve manifestement encore que ces prétendus saints
& sacrés livres qui les contiennent n'ont pas été faits par l'inspiration
de Dieu. Donc c'est en vain que nos Christicoles prétendent s'en servir comme
d'un témoignage infaillible pour prouver la vérité de leur Religion.
Quoi ! un
Dieu tout-puissant, & qui aurait voulu se faire homme mortel pour l'amour
d'eux, & répandre jusqu'à la dernière goutte de son sang pour les sauver
tous, aurait voulu borner sa puissance à guérir seulement quelques maladies
& quelques infirmités du corps, dans quelques infirmes qu'on lui aurait
présentés, & il n'aurait pas voulu employer sa bonté Divine à guérir toutes
les infirmités de nos âmes, c'est-à-dire à guérir tous les hommes de leurs vices
& de leurs dérèglements, qui sont pires que les maladies du corps ! Cela
n'est pas croyable. Quoi ! un Dieu si bon aurait voulu miraculeusement
préserver des corps morts de pourriture & de corruption, & il n'aurait
pas voulu de même préserver de la contagion & de la corruption du vice
& du péché les âmes d'une infinité de personnes qu'il serait venu racheter
au prix de son sang, & qu'il devait sanctifier par sa grâce ! Quelle
pitoyable contradiction !
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