samedi 12 août 2023

A propos de..."Lettre à personne" de Roger Laporte

A propos de..."Lettre à personne"

 

« Lettre à personne »

 

Roger Laporte est donc seul…En conséquence, il décide de ne plus écrire…il décide de ne plus écrire car il aurait tout dit, il aurait dit ce qu’il avait à dire de la façon dont il voulait le dire.

 

Il ne dit pas que ce qu’il a ajouté à tout ce qui a été déjà dit précédemment était nouveau inédit, non, il dit qu’il ne veut plus écrire car il a tout dit tout livré ce qu’il avait en lui.

 

Il dit je mets fin à ma carrière littéraire car je sais que je ne vais plus rien ressentir qui mériterait une écriture. Je ne vais plus rien ressentir d’inédit que j’aurais envie de partager.

 

En creux, il dit aussi que, même si l’acte est solitaire agréablement solitaire, il faut être entouré pour être lu. Il faut autour que la vie soit proche qu’il faut forcément une écoute

 

…Alors, seul, peut-on avoir l’intérêt et l'envie d’écrire ?

 

En acte solitaire, il n’écrira plus mais il lira. Il deviendra le solitaire qui lit ce que les autres pensent utile d’écrire pour les autres, même ceux qui sont seuls qui ne veulent plus écrire. Et pour lui donc, même si il est seul.

 

Mais il garde en lui la douleur d’avoir envie d’écrire. Donc écrire ce n’est pas simplement avoir envie de dire quelque chose, on peut ressentir le désir violent d’écrire au point d’écrire des banalités pour satisfaire ce désir. Mais alors, plaçons nous le désir personnel (égoïste ?) au-dessus de ce que nous clamons être notre passion, l’exigence que nous devrions en avoir?

 

Ecrire est donc la drogue de celui qui vit au milieu des autres mais de façon solitaire, comme un îlot qui se déplace au milieu des autres. Je suis au milieu des autres sans aucune accroche et je ne me reconnais qu’en très peu de personnes.

 

Georges Bataille, en postface à cet ouvrage, écrit (et je la cite souvent car elle est emblématique) :

« Cet auteur donc devrait être heureux ou du moins « satisfait » au sens que Hegel donne à ce terme. Or cela n’est pas. Il ne peut plus écrire (il n’a plus rien à dire), mais il s’aperçoit, avec horreur, avec terreur, que le désir d’écrire persiste en lui. Le désir d’écrire, désir personnel, et l’exigence d’écriture, postulation impersonnelle, ne coïncident pas. Réfléchissons sur ce problème. Il est peut-être insoluble, parce qu’il ne devrait pas se poser. »

 

Un passage tiré du livre :

 

« Pour moi, écrire était vivre (même si écrire c’était, d’une certaine manière, aller à contre-vie) : à partir du moment où je n’écris plus, où je suis sans avenir, où vivre serait survivre (alors que vivre n’est pas survivre), à quoi bon continuer cette vie qui est pour moi n’en est pas une ? A l’époque où j’écrivais, où je traversais des épreuves inhumaines, on pouvait m’aider et l’on m’a effectivement aidé. Les lettres de quelques-uns, celle de […], et de bien d’autres, m’ont beaucoup apporté, dans la mesure où elles me disaient, pour parler trivialement, que mon travail en valait la peine. L’attente de la suite, le désir de mes amis que j’écrive, la présence constante de J…, tout cela m’a encouragé, ou à tout le moins accompagné. A présent, je suis seul, tout à fait seul ; autrement dit, on ne peut rien faire pour moi, ou du moins je ne sais pas ce que l’on pourrait faire pour moi. (Et l’on peut me faire du mal, en tout cas me faire souffrir en ne comprenant pas, en mésinterprétant ce qui m’arrive.)

Oui, j’avais raison ; perdre l’écriture, c’est bien perdre la vie, mais pourquoi le désir d’écrire survit-il à ma raison de vivre ? – Parce que mon identisation à « Roger Laporte » a été si forte qu’elle subsiste ou persiste en creux, une fois la « chose » retirée (avec mon consentement !) dans son lointain. Comme je le craignais – je l’ai écrit dès la première page de ce « Carnet » -, je tombe dans un « triste bavardage autobiographique » dont je ne veux pas. »

 

M.A. 12/08/23


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