A propos de..."Lettre à
personne"
« Lettre à personne »
Roger Laporte est donc seul…En
conséquence, il décide de ne plus écrire…il décide de ne plus écrire car il
aurait tout dit, il aurait dit ce qu’il avait à dire de la façon dont il
voulait le dire.
Il ne dit pas que ce qu’il a ajouté à
tout ce qui a été déjà dit précédemment était nouveau inédit, non, il dit qu’il
ne veut plus écrire car il a tout dit tout livré ce qu’il avait en lui.
Il dit je mets fin à ma carrière
littéraire car je sais que je ne vais plus rien ressentir qui mériterait une
écriture. Je ne vais plus rien ressentir d’inédit que j’aurais envie de
partager.
En creux, il dit aussi que, même si
l’acte est solitaire agréablement solitaire, il faut être entouré pour être lu.
Il faut autour que la vie soit proche qu’il faut forcément une écoute
…Alors, seul, peut-on avoir l’intérêt et
l'envie d’écrire ?
En acte solitaire, il n’écrira plus mais
il lira. Il deviendra le solitaire qui lit ce que les autres pensent utile
d’écrire pour les autres, même ceux qui sont seuls qui ne veulent plus écrire.
Et pour lui donc, même si il est seul.
Mais il garde en lui la douleur d’avoir
envie d’écrire. Donc écrire ce n’est pas simplement avoir envie de dire quelque
chose, on peut ressentir le désir violent d’écrire au point d’écrire des
banalités pour satisfaire ce désir. Mais alors, plaçons nous le désir personnel
(égoïste ?) au-dessus de ce que nous clamons être notre passion, l’exigence que
nous devrions en avoir?
Ecrire est donc la drogue de celui qui
vit au milieu des autres mais de façon solitaire, comme un îlot qui se déplace
au milieu des autres. Je suis au milieu des autres sans aucune accroche et je
ne me reconnais qu’en très peu de personnes.
Georges Bataille, en postface à cet
ouvrage, écrit (et je la cite souvent car elle est emblématique) :
« Cet auteur donc devrait être heureux
ou du moins « satisfait » au sens que Hegel donne à ce terme. Or cela n’est
pas. Il ne peut plus écrire (il n’a plus rien à dire), mais il s’aperçoit, avec
horreur, avec terreur, que le désir d’écrire persiste en lui. Le désir
d’écrire, désir personnel, et l’exigence d’écriture, postulation impersonnelle,
ne coïncident pas. Réfléchissons sur ce problème. Il est peut-être insoluble,
parce qu’il ne devrait pas se poser. »
Un passage tiré du livre :
« Pour moi, écrire était vivre (même si
écrire c’était, d’une certaine manière, aller à contre-vie) : à partir du
moment où je n’écris plus, où je suis sans avenir, où vivre serait survivre
(alors que vivre n’est pas survivre), à quoi bon continuer cette vie qui est
pour moi n’en est pas une ? A l’époque où j’écrivais, où je traversais des
épreuves inhumaines, on pouvait m’aider et l’on m’a effectivement aidé. Les
lettres de quelques-uns, celle de […], et de bien d’autres, m’ont beaucoup
apporté, dans la mesure où elles me disaient, pour parler trivialement, que mon
travail en valait la peine. L’attente de la suite, le désir de mes amis que
j’écrive, la présence constante de J…, tout cela m’a encouragé, ou à tout le
moins accompagné. A présent, je suis seul, tout à fait seul ; autrement dit, on
ne peut rien faire pour moi, ou du moins je ne sais pas ce que l’on pourrait
faire pour moi. (Et l’on peut me faire du mal, en tout cas me faire souffrir en
ne comprenant pas, en mésinterprétant ce qui m’arrive.)
Oui, j’avais raison ; perdre l’écriture,
c’est bien perdre la vie, mais pourquoi le désir d’écrire survit-il à ma raison
de vivre ? – Parce que mon identisation à « Roger Laporte » a été si forte
qu’elle subsiste ou persiste en creux, une fois la « chose » retirée (avec mon
consentement !) dans son lointain. Comme je le craignais – je l’ai écrit dès la
première page de ce « Carnet » -, je tombe dans un « triste bavardage
autobiographique » dont je ne veux pas. »
M.A. 12/08/23
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