Ce mot, qui implique l’idée,
de prendre parti, d'avoir part, est d'un usage très fréquent. Entre ses
multiples applications, nous en retiendrons trois : participation aux
mouvements d'avant-garde, participation au gouvernement, participation aux
bénéfices.
Certes, il ne peut escompter
que malveillance et persécutions, celui qui lutte contre les autorités
gouvernementales, religieuses, militaires, etc., celui qui se dresse contre la
féodalité d'argent et les tout-puissants rois de l'or. Et, parmi ceux dont il
voudrait briser les chaînes, beaucoup ne le comprendront pas. Ingratitude
calomnies voilà le salaire dont on le payera fréquemment. Ne soyons pas surpris
que les arrivistes s'éloignent rapidement vers les gras pâturages de la
politique. Pourtant il en est d'autres, dont la vie toute entière est une
magnifique leçon. Je songe à Sébastien Faure; et certaines de ses phrases
jamais ne sortiront de ma mémoire: « En ai-Je rencontré et semé sur ma route de
ces gens qui ont marché sur leur conscience et leur cœur: les uns, pour
satisfaire leur cupidité; les autres pour assouvir leurs ambitions leur vanité,
leur arrivisme! Je ne les envie pas. Et me voici l'homme le plus heureux du
monde. Je ne souffre que de la douleur qui m'avoisine et des injustices et
inégalités qui me révoltent. Mais je pactise avec cette souffrance, par la
conscience que j'ai de faire tout ce que je puis faire pour supprimer
injustices, inégalités, servitudes et misères ». Ce langage, mon cher Sébastien
Faure, comme je le comprends! Quand j'ai senti la mort me frôler de son aile
glaciale, ce fut pour moi une joie intense de songer à ce que j'avais fait de
ma vie, d'une vie que beaucoup repousseraient avec terreur pourtant. Si tous
ceux qui ont entrevu la lumière, si tous ceux que la servitude révolte
contribuaient à l'œuvre de rédemption humaine que nous poursuivons, notre terre
deviendrait vite un éden bien supérieur à celui où, d'après la Bible, Dieu
plaça nos premiers parents. Mais ils sont légions les cœurs lâches, les
volontés sans énergie; très peu osent manifester des opinions qui leur
vaudraient la haine des puissants. Plusieurs ne méritent pas ces reproches ;
ils témoignent, à l'occasion, d'un attachement sincère pour leurs idées ; s'ils
se taisent, c'est qu'ils répugnent à faire œuvre de propagandistes. Ne les
condamnons point; faisons-leur remarquer, toutefois, qu'ils se doivent de
soutenir, dans la mesure de leurs moyens, ceux qui répandent une doctrine dont
la diffusion s'avère utile. Pour que nos conceptions ne restent pas ignorées du
public, il faut que des orateurs, des journalistes, des écrivains acceptent de
les exposer. La presse, qui ouvre largement ses colonnes aux politiciens de
tout acabit, n'est pas accueillante pour nous ; les éditeurs nous éconduisent
systématiquement. Des critiques et des journalistes m'ont avoué qu'ils avaient
reçu des semonces en règle pour avoir parlé de mon œuvre avec bienveillance.
Aucune école et aucune tribune ne nous acceptent sans arrièrepensée. C'est
l'étouffement méthodique qui fait croire à beaucoup que le mouvement libertaire
est mort ou du moins en voie de disparition. Quand nous déciderons-nous à leur
prouver le contraire ? Chose facile, si chacun acceptait de faire quelque
sacrifice en faveur de ses idées. Les socialistes sont très actifs, mais
délaissant toute éducation populaire, ils versent dans le pire électoralisme et
s'embourbent dans les marais nauséabonds de la politique.
Participation au
gouvernement.
Le problème de la
participation au gouvernement qui agite si fort les S.F.I.O., démontre avec
évidence que les temps héroïques du socialisme sont révolus, qu'il n'est plus
qu'un parti bien sage, aux ordres de ces suprêmes représentants du capitalisme
que sont les présidents de République ou les rois. S'il était fidèle à sa
doctrine et à ses traditions, le socialisme ne devrait constituer, en régime
capitaliste, que des équipes parlementaires d'opposition violente et continue.
C'est sur un bouleversement social, sur une révolution que comptaient les
anciens marxistes qui préconisaient la lutte des classes ; ils avaient horreur
des améliorations partielles, des réformes de détail qui retardaient la
victoire du prolétariat; ils voulaient l'expropriation brutale des
capitalistes, détenteurs des instruments de production. Puis, leurs successeurs
se laissèrent hypnotiser par l'action électorale et crurent que la l'évolution
sociale s'accomplirait d'elle-même, sans recours à la violence, dès qu'ils
détiendraient les portefeuilles ministériels et la majorité dans les assemblées
parlementaires. Et l'on aboutit aux louches combinaisons, aux intrigues
personnelles qui rabaissent aujourd'hui le socialisme au niveau des partis
bourgeois, Des socialistes sont devenus ministres, en Allemagne, en Angleterre,
dans bien d'autres pays ; l'un d'eux fut même président de la République
allemande. Mais, nulle part, la prise du pouvoir par les socialistes ne fut
suivie de la conquête de la propriété par le prolétariat. La défection de Mac
Donald, en Angleterre, n'a été que la consécration en droit d'une situation de
fait qui existait depuis longtemps. Jamais les ministres travaillistes ne
songèrent à déposséder les gros propriétaires ; protéger le peuple contre
certains excès des capitalistes, tel fut le maximum de leur action en faveur
des ouvriers. En Allemagne, les sociaux-démocrates pratiquent la politique de
soutien ; ils se pendent aux basques d'Hindenburg et de Brüning, dont les décrets
frappent durement la classe laborieuse. Cette politique de soutien fut de même
pratiquée chez nous, en 1924, à l'époque du Cartel. Mais ceux qui, tel Paul se
sentaient nés pour les grands rôles et voulaient devenir ministres, bon gré mal
gré, ont réclamé davantage; d'accord avec leurs alliés, les radicaux, ils
voulaient la participation des socialistes au gouvernement, comme pendant la
guerre, à l'époque bénie de l'union sacrée. Renaudel, Déat, Compère-Morel,
Buisson, Marquet, Montagnon, Auriol, Bedouce, etc., sont les défenseurs
attitrés, de cette tendance. Jusqu'à présent les congrès socialistes ont refusé
de les suivre ; mais on la laissé entendre que des circonstances
exceptionnelles pourraient conduire à modifier cette décision. Circonstances
que l'on s'est abstenu de préciser, comme de juste, afin que les portes restent
grandes ouvertes aux fructueuses combinaisons. Les chefs savaient, bien avant
son départ, que le patriote Paul-Boncour n'était plus socialiste ; il leur
répugnait toutefois que la rupture devînt publique et définitive ; aucune
concession ne leur semblait excessive pour sauvegarder l'unité apparente du parti.
D'ailleurs, les défenseurs d'un socialisme édulcoré, d'une politique d'entente
avec les radicaux, sont très nombreux parmi les parlementaires S.F.I.O. «
J'estime, écrivait Léon Blum, en 1930, quand les radicaux songeaient à
reprendre le pouvoir, que nous devons assurer dès à présent le futur
gouvernement de concentration radicale, non pas, certes, du soutien
quasi-contractuel de 1924, non pas même de cet appui discret que nous avions
donné à Chautemps et qui avait suffi à le compromettre, mais de notre bonne
volonté, de notre sympathie, de notre préjugé favorable, de notre désir de le
voir vivre et durer ». Avec ou sans collaboration gouvernementale, le
socialisme français suit l'exemple de la social-démocratie allemande et du
travaillisme anglais.
Participation aux bénéfices.
A l'époque où le socialisme,
non encore émasculé, faisait trembler le patronat, ce dernier préconisa des
réformes qui donnaient, un semblant de satisfaction à l'ouvrier, sans amoindrir
la toute puissance du capitalisme. La participation aux bénéfices fut du
nombre; mais, pratiquement, elle fonctionna dans très peu d'entreprises. En
théorie donc, on demandait qu'aucun salarié ne fût occupé dans une maison sans
être assuré d'avoir part aux bénéfices. Dans ces conditions, l'ouvrier devenait
un collaborateur intéressé à la bonne marche de l'établissement ; il était un
associé, pour le patron, non plus un adversaire. Comme il s'agissait uniquement
d'illusionner la classe laborieuse, on distribuait, en fait, des sommes
dérisoires, et à ceux-là seulement dont on avait longuement éprouvé le
servilisme foncier. Même ainsi comprise, la participation n’obtint pas
l'assentiment de tous les défenseurs du capital. « Où y a-t-il des bénéfices?
écrivait l'académicien Faguet. La plupart des entreprises industrielles n'en
font pas. Elles font vivre leurs ouvriers et leur patron, celui-ci un peu mieux
que ceux-là ; et voilà tout. Elles joignent les deux bouts. Voilà l'état normal
de la plupart des entreprises, je parle de celles, qui ne font pas faillite. »
Les bénéfices étant nuls, les malheureux patrons n'avaient rien il distribuer à
leurs employés, cela va sans dire. La manière forte plaisait beaucoup mieux à
l'ensemble des capitalistes ; c'était un crime à leurs yeux de faire la moindre
concession aux salariés. « Pactiser avec eux, dira ce charlatan de Gustave Le
Bon, comme le font quelques riches bourgeois dans l'espoir d'attendrir ceux
qu'ils considèrent comme leurs futurs vainqueurs; est d'une pauvre psychologie.
Toutes ces lâches et très honteuses faiblesses ne font qu'accroître l'audace
des assaillants. De telles luttes ne comportent d'autre alternative que vaincre
ou périr. Pactiser n'éviterait pas la défaite et engendrerait, outre la ruine,
la honte dans le présent et le mépris de nos fils dans l'avenir. Rien ne
servirait donc de continuer à masquer sa peur sous d'hypocrites discours
philanthropiques auxquels ne croient plus, ni ceux qui les débitent, ni ceux
qui les entendent ». On s'empressa d'oublier la comédie de la participation aux
bénéfices, qui ne peut être qu'un trompe-l'œil en régime capitaliste. Le
parasitisme, qui consiste à vivre du travail d'autrui, se rencontre déjà chez
les animaux : le frelon pille le miel des abeilles, le coucou pond ses œufs
dans le nid des autres oiseaux, etc. Mais, dans l'espèce humaine, il acquiert
une puissance et un développement extraordinaires : une multitude d'individus
vivent du labeur des autres, sans rien leur donner en échange. C'est le cas de
rentiers, de propriétaires d'usines ou de fermes, de commerçants innombrables :
tous gens qui se classent fièrement dans l'élite de la société et que les
autorités protègent. Dans le système coopératif seulement, la participation aux
bénéfices cesse d'être un leurre pour devenir une réalité : elle requiert la
disparition du parasitisme comme condition essentielle.
L. BARBEDETTE.
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