Chapitre VI
Première section de l'Ancien Testament
Nos Christicoles mettent encore au rang des motifs de
crédibilité, & des preuves certaines de la vérité de leur Religion, les
prophéties, qui sont, prétendent-ils, des témoignages assurés de la vérité des
révélations ou inspirations de Dieu, n'y ayant que Dieu seul qui puisse
certainement prédire les choses futures si longtemps avant qu'elles soient
arrivées, comme sont celles qui ont été prédites par les Prophètes.
Voyons donc ce que c'est que ces prétendus Prophètes, &
si l'on en doit faire tant d'état que nos Christicoles le prétendent.
Ces hommes n'étaient que des visionnaires & des
fanatiques, qui agissaient & parlaient suivant les impulsions ou les
transports de leurs passions dominantes, & qui s'imaginaient cependant que
c'était par l'esprit de Dieu qu'ils agissaient & qu'ils parlaient ; ou bien
c'était des imposteurs qui contrefaisaient les Prophètes, & qui, pour
tromper plus facilement les ignorants & les simples, se vantaient d'agir
& de parler par l'esprit de Dieu.
Je voudrais bien savoir comment serait reçu un Ézéchiel qui
dit, chap. III & IV, que Dieu lui a fait manger à son déjeuner un livre de
parchemin ; lui a ordonné de se faire lier comme un fou ; lui a prescrit de se
coucher trois cent quatre-vingt-dix jours sur le côté droit, & quarante sur
le gauche ; lui a commandé de manger de la merde sur son pain, & ensuite,
par accommodement, de la fiente de boeuf ? Je demande comment un pareil
extravagant serait reçu chez les plus imbéciles même de tous nos provinciaux ?
Quelle plus grande preuve encore de la fausseté de ces
prétendues prédictions que les reproches violents que ces Prophètes se
faisaient les uns aux autres, de ce qu'ils parlaient faussement au nom de Dieu
; reproches même qu'ils se faisaient, disaient-ils, de la part de Dieu ? Voyez
Ézéch., XIII, 3 ; Sophon., III, 4 ; & Jérem., II, 8.
Ils disent tous : Gardez-vous des faux Prophètes, comme les
vendeurs de Mithridate disent : Gardez-vous des pilules contrefaites.
Ces malheureux font parler Dieu d'une manière dont un crocheteur
n'oserait parler. Dieu dit, au vingt-troisième chap. d'Ézéchiel, que la jeune
Oolla n'aime que ceux qui ont membre d'âne & sperme de cheval. Comment ces
fourbes insensés auraient-ils connu l'avenir ? Nulle prédiction en faveur de
leur nation juive n'a été accomplie.
Le nombre des prophéties qui prédisent la félicité & la
grandeur de Jérusalem est presque innombrable ; aussi, dira-t-on, il est très
naturel qu'un peuple vaincu & captif se console dans ses maux réels par des
espérances imaginaires ; comme il ne s'est pas passé une année depuis la
destitution du roi Jacques, que les Irlandais de son parti n'aient forgé
plusieurs prophéties en sa faveur.
Mais si ces promesses faites aux Juifs se fussent
effectivement trouvées véritables, il y aurait déjà longtemps que la nation
juive aurait été & serait encore le peuple le plus nombreux, le plus
puissant, le plus heureux & le plus triomphant.
Deuxième section de l'Ancien Testament
Il faut maintenant examiner les prétendues prophéties
contenues dans les Evangiles.
Premièrement. Un ange s'étant apparu en songe à un nommé
Joseph, père au moins putatif de Jésus fils de Marie, lui dit « Joseph, fils de
David, ne craignez point de prendre chez vous Marie votre épouse : car ce qui
est dans elle est l'ouvrage du Saint-Esprit 6. Elle vous enfantera un fils que
vous appellerez Jésus, parce que ce sera lui qui délivrera son peuple de ses
péchés. » Cet ange dit aussi à Marie : « Ne craignez point, parce que vous avez
trouvé grâce devant Dieu. Je vous déclare que vous concevrez dans votre sein
& que vous enfanterez un fils que vous nommerez Jésus. Il sera grand, sera
appelé le fils du Très Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son
père ; il régnera à jamais dans la maison de Jacob, & son règne n'aura
point de fin. » (Matth., I, 20, & Luc., I, 30.) Jésus commença à prêcher
& à dire « Faites pénitence, car le royaume du ciel approche. (Matth., IV,
17.) Ne vous mettez pas en peine, & ne dites pas : Que mangerons-nous ou boirons-nous
? ou de quoi serons-nous vêtus ? car votre père céleste sait que toutes ces
choses vous sont nécessaires. Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu
& sa justice, & toutes ces choses vous seront données pour surcroît. »
(Matth.,VI, 31,32,33.)
Or, maintenant que tout homme qui n'a pas perdu le sens
commun examine un peu si ce Jésus a été jamais roi, si ses disciples ont eu
toutes choses en abondance.
Ce Jésus promet souvent qu'il délivrera le monde du péché. Y
a-t-il une prophétie plus fausse, & notre siècle n'en est-il pas une preuve
parlante ?
Il est dit que Jésus est venu sauver son peuple. Quelle façon
de le sauver ! C'est la plus grande partie qui donne la dénomination à une
chose : une douzaine ou deux, par exemple, d'Espagnols ou de Français, ne sont
pas le peuple français ou le peuple espagnol ; & si une armée de cent vingt
mille hommes était faite prisonnière de guerre par une plus forte armée
d'ennemis, & si le chef de cette armée rachetait seulement quelques hommes,
comme dix à douze soldats ou officiers, en payant leur rançon, on ne dirait pas
pour cela qu'il aurait délivré ou racheté son armée. Qu'est-ce donc qu'un dieu
qui vient se faire crucifier & mourir pour sauver tout le monde, & qui
laisse tant de nations damnées ? Quelle pitié & quelle horreur !
Jésus-Christ dit qu'il n'y a qu'à demander & qu'on
recevra, qu'à chercher & qu'on trouvera. Il assure que tout ce qu'on
demandera à Dieu en son nom on l'obtiendra ; & que si l'on avait seulement
la grosseur d'un grain de moutarde de foi, l'on ferait, par une seule parole,
transporter des montagnes d'un endroit à un autre. Si cette promesse est
véritable, rien ne paraîtrait impossible à nos Christicoles qui ont la foi à
leur Christ. Cependant tout le contraire arrive.
Si Mahomet eût fait de semblables promesses à ses sectateurs
que le Christ en a fait aux siens sans aucun succès, que ne dirait-on pas ? On
crierait : Ah, le fourbe ! Ah, l'imposteur ! Ah, les fous de croire un tel
imposteur ! Les voilà ces Christicoles eux-mêmes dans le cas : il y a longtemps
qu'ils y sont sans revenir de leur aveuglement ; au contraire, ils sont si
ingénieux à se tromper qu'ils prétendent que ces promesses ont eu leur
accomplissement dès le commencement du Christianisme étant pour lors,
disent-ils, nécessaire qu'il y eût des miracles afin de convaincre les
incrédules de la vérité de la Religion ; mais que, cette Religion étant
suffisamment établie, les miracles n'ont plus été nécessaires : où est donc la
certitude de cette proposition ?
D'ailleurs celui qui a fait ces promesses ne les a pas
restreintes seulement pour un certain temps, ni pour certains lieux, ni pour
certaines personnes en particulier, mais il les a faites généralement a tout le
monde. « La foi de ceux qui croiront, dit-il, sera suivie de ces miracles : ils
chasseront les démons en mon nom ; ils parleront diverses langues ; ils
toucheront les serpents, etc. »
À l'égard du transport des montagnes, il dit positivement que
quiconque dira à une montagne : Ôte-toi de là, & te jette dans la mer,
pourvu qu'il n'hésite pas en son coeur, mais qu'il croie, tout ce qu'il
commandera sera fait. Ne sont-ce pas des promesses qui sont tout à fait
générales, sans restriction de temps, de lieu, ni de personnes ?
Il est dit que toutes les sectes d'erreurs & d'impostures
prendront honteusement fin. Mais si Jésus-Christ entend seulement dire qu'il a
fondé & établi une société de sectateurs qui ne tomberaient point dans le
vice ni dans l'erreur, ces paroles sont absolument fausses, puisqu'il n'y a dans
le Christianisme aucune secte, ni société & Église, qui ne soit pleine
d'erreurs & de vices, principalement la secte ou société de l'Église
romaine, quoiqu'elle se dise la plus pure & la plus sainte de toutes. Il y
a longtemps qu'elle est tombée dans l'erreur ; elle y est née ; pour mieux
dire, elle y a été engendrée & formée ; & maintenant elle est même dans
des erreurs qui sont contre l'intention, les sentiments & la doctrine de
son fondateur, puisqu'elle a, contre son dessein, aboli les lois des Juifs
qu'il approuvait, & qu'il était venu lui-même, disait-il, pour les
accomplir & non pour les détruire, & qu'elle est tombée dans les
erreurs & l'idolâtrie du paganisme, comme il se voit par le culte
idolâtrique qu'elle rend à son Dieu de pâte, à ses saints, à leurs images,
& à leurs reliques.
Je sais bien que nos Christicoles regardent comme une
grossièreté d'esprit de vouloir prendre au pied de la lettre les promesses
& prophéties comme elles sont exprimées ; ils abandonnent le sens littéral
& naturel des paroles, pour leur donner un sens qu'ils appellent mystique
& spirituel, & qu'ils nomment allégorique & tropologique, disant,
par exemple, que par le peuple d'Israël & de Juda, à qui ces promesses ont
été faites, il faut entendre, non les Israélites selon la chair, mais les
Israélites selon l'esprit, c'est-à-dire les Chrétiens, qui sont l'Israël de
Dieu, le vrai peuple choisi. Que par la promesse faite à ce peuple esclave de
le délivrer de la captivité, il faut entendre non une délivrance corporelle
d'un seul peuple captif, mais la délivrance spirituelle de tous les hommes de
la servitude du démon, qui se devait faire par leur Divin Sauveur. Que par
l'abondance des richesses & toutes les félicités temporelles promises à ce
peuple, il faut entendre l'abondance des grâces spirituelles ; & qu'enfin,
par la ville de Jérusalem, il faut entendre non la Jérusalem terrestre, mais la
Jérusalem spirituelle, qui est l'Église Chrétienne.
Mais il est facile de voir que ces sens spirituels &
allégoriques n'étant qu'un sens étranger, imaginaire, un subterfuge des
interprètes, il ne peut nullement servir à faire voir la vérité ni la fausseté
d'une proposition, ni d'une promesse quelconque. Il est ridicule de forger
ainsi des sens allégoriques, puisque ce n'est que par rapport au sens naturel
& véritable que l'on peut juger de la vérité ou de la fausseté. Une
proposition par exemple, une promesse qui se trouve véritable dans le sens
propre & naturel des termes dans lesquels elle est conçue, ne deviendra pas
fausse en elle-même, sous prétexte qu'on voudrait lui donner un sens étranger
qu'elle n'aurait pas ; de même que celles qui se trouvent manifestement fausses
dans leur sens propre & naturel ne deviendront pas véritables en
elles-mêmes sous prétexte qu'on voudrait leur donner un sens étranger qu'elles
n'auraient pas.
On peut dire que les prophéties de l'Ancien Testament,
ajoutées au Nouveau, sont des choses bien absurdes & bien puériles. Par
exemple, Abraham avait deux femmes, dont l'une, qui n'était que servante,
figurait la synagogue, & l'autre, qui était épouse, figurait l'Église
Chrétienne ; & sous prétexte encore que cet Abraham avait eu deux fils, dont
l'un, qui était de la servante, figurait le Vieux Testament, & l'autre, qui
était de son épouse, figurait le Nouveau Testament. Qui ne rirait d'une si
ridicule doctrine ?7
N'est-il pas encore plaisant qu'un morceau de drap rouge
exposé par une putain pour servir de signal à des espions, dans l'Ancien
Testament, soit la figure du sang de Jésus-Christ répandu dans le Nouveau ?
Si, suivant cette manière d'interpréter allégoriquement tout
ce qui s'est dit, fait & pratiqué dans cette ancienne Loi des Juifs, on
voulait interpréter de même allégoriquement tous les discours, toutes les
actions, & toutes les aventures du fameux don Quichotte de la Manche, on y
trouverait certainement autant de mystères & de figures.
C'est néanmoins sur ce ridicule fondement que toute la
Religion Chrétienne subsiste. C'est pourquoi il n'est presque rien dans cette
ancienne Loi que les docteurs Christicoles ne tâchent d'expliquer mystiquement.
La prophétie la plus fausse & la plus ridicule qu'on ait
jamais faite est celle de Jésus dans Luc, chap. XXI. Il est prédit qu'il y aura
des signes dans le soleil & dans la lune, & que le Fils de l'homme
viendra dans une nuée juger les hommes ; & il prédit cela pour la
génération présente. Cela est-il arrivé ? Le Fils de l'homme est-il venu dans
une nuée ?
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