mardi 29 août 2023

Le testament de l'abbé Meslier de l'abbé Meslier Partie V

 

Chapitre VII

 

Ve Preuve tirée des erreurs de la doctrine & de la morale

 

La Religion Chrétienne, apostolique & romaine, enseigne & oblige de croire qu'il n'y a qu'un seul Dieu, & en même temps qu'il y a trois personnes Divines, chacune desquelles est véritablement Dieu : ce qui est manifestement absurde, car s'il y en a trois qui soient véritablement Dieu, ce sont véritablement trois Dieux. Il est faux de dire qu'il n'y ait qu'un seul Dieu, ou, s'il est vrai de le dire, il est faux de dire qu'il y en ait véritablement trois qui soient Dieu, puisqu'un & trois ne se peut véritablement dire d'une seule & même chose.

Il est aussi dit que la première de ces prétendues personnes Divines, qu'on appelle le Père, a engendré la seconde personne, qu'on appelle le Fils, & que ces deux premières personnes ensemble ont produit la troisième, que l'on appelle Saint-Esprit, & néanmoins que ces trois prétendues Divines personnes ne dépendent point l'une de l'autre, & ne sont pas même plus anciennes l'une que l'autre. Cela est encore manifestement absurde, puisqu'une chose ne peut recevoir son être d'une autre sans quelque dépendance de cette autre, & qu'il faut nécessairement qu'une chose soit pour qu'elle puisse donner l'être à une autre. Si donc la seconde & la troisième personne Divine ont reçu leur être de la première, il faut nécessairement qu'elles dépendent, dans leur être, de cette première personne, qui leur aurait donné l'être, ou qui les aurait engendrées ; & il faut nécessairement aussi que cette première, qui aurait donné l'être aux deux autres, ait été avant, puisque ce qui n'est point ne peut donner l'être à rien. D'ailleurs, il répugne & est absurde de dire qu'une chose qui aurait été engendrée ou produite n'aurait point eu de commencement. Or, selon nos Christicoles, la seconde & la troisième personne ont été engendrées ou produites : donc elles ont eu un commencement ; & si elles ont en un commencement, & que la première personne n'en ait point eu, comme n'ayant point été engendrée, ni produite d'aucune autre, il s'ensuit de nécessité que l'une ait été avant l'autre.

Nos Christicoles, qui sentent ces absurdités & qui ne peuvent s'en parer par aucune bonne raison, n'ont point d'autre ressource que de dire qu'il faut pieusement fermer les yeux de la raison humaine, & humblement adorer de si hauts mystères sans vouloir les comprendre ; mais comme ce qu'ils appellent foi est ci-devant solidement réfuté, lorsqu'ils nous disent qu'il faut se soumettre, c'est comme s'ils disaient qu'il faut aveuglément croire ce qu'on ne croit pas.

Nos Déichristicoles condamnent ouvertement l'aveuglement des anciens Païens qui adoraient plusieurs dieux. Ils se raillent de la généalogie de leurs dieux, de leur naissance, de leurs mariages, & de la génération de leurs enfants, & ils ne prennent pas garde qu'ils disent des choses beaucoup plus ridicules & plus absurdes.

Si les Païens ont cru qu'il y avait des déesses aussi bien que des dieux, que ces dieux & ces déesses se mariaient, & qu'ils engendraient des enfants, ils ne pensaient en cela rien que de naturel : car ils ne s'imaginaient pas encore que les dieux fussent sans corps ni sentiments ; ils croyaient qu'ils en avaient aussi bien que les hommes. Pourquoi n'y en aurait-il point eu de mâle & de femelle ? On ne voit point qu'il y ait plus de raison de nier ou de reconnaître plutôt l'un que l'autre ; et, en supposant des dieux & des déesses, pourquoi n'engendreraient-ils pas en la manière ordinaire ? Il n'y aurait certainement rien de ridicule ni d'absurde dans cette doctrine, s'il était vrai que leurs dieux existassent.

Mais, dans la doctrine de nos Christicoles, il y a quelque chose de bien plus ridicule & de plus absurde : car, outre ce qu'ils disent d'un Dieu qui en fait trois, & de trois qui n'en font qu'un, ils disent que ce dieu triple & unique n'a ni corps, ni forme, ni figure ; que la première personne de ce dieu triple & unique, qu'ils appellent le Père, a engendré toute seule une seconde personne, qu'ils appellent le Fils, & qui est tout semblable à son père, étant comme lui sans corps, sans forme, & sans figure. Si cela est, qu'est-ce qui fait que la première s'appelle le père plutôt que la mère, & que la seconde se nomme plutôt le fils que la fille ? Car si la première est véritablement plutôt père que mère, & si la seconde est plutôt fils que fille, il faut nécessairement qu'il y ait quelque chose dans l'une & dans l'autre de ces deux personnes qui fasse que l'un soit père plutôt que mère, & l'autre plutôt fils que fille. Or qui pourrait faire cela si ce n'est qu'ils seraient tous deux mâles & non femelles ? Mais comment seront-elles plutôt mâles que femelles, puisqu'elles n'ont ni corps, ni forme, ni figure ? Cela n'est pas imaginable, & se détruit de soi-même. N'importe, ils disent toujours que ces deux personnes sans corps, forme, ni figure, & par conséquent sans différence de sexe, sont néanmoins père & fils, & qu'ils ont produit par leur mutuel amour une troisième personne, qu'ils appellent le Saint-Esprit, laquelle personne n'a, non plus que les deux autres, ni corps, ni forme, ni figure. Quel abominable galimatias !

Puisque nos Christicoles bornent la puissance de Dieu le père à n'engendrer qu'un fils, pourquoi ne veulent-ils pas que cette seconde personne, aussi bien que la troisième, aient, comme la première, la puissance d'engendrer un fils qui soit semblable à elle ? si cette puissance d'engendrer un fils est une perfection dans la première personne, c'est donc une perfection & une puissance qui n'est point dans la seconde ni dans la troisième personne. Ainsi ces deux personnes manquant d'une perfection & d'une puissance qui se trouvent dans la première, elles ne seraient certainement pas égales entre elles ; si au contraire ils disent que cette puissance d'engendrer un fils n'est pas une perfection, ils ne devraient donc pas l'attribuer à la première personne non plus qu'aux deux autres, parce qu'il ne faut attribuer que des perfections à un Être qui serait souverainement parfait.

D'ailleurs ils n'oseraient dire que la puissance d'engendrer une Divine personne ne soit pas une perfection ; & s'ils disent que cette première personne aurait bien pu engendrer plusieurs fils & plusieurs filles, mais qu'elle n'aurait voulu engendrer que ce seul fils, & que les deux autres personnes pareillement n'en auraient point voulu engendrer d'autres, on pourrait : 1° leur demander d'où ils savent que cela est ainsi, car on ne voit point, dans leurs prétendues Écritures saintes, qu'aucune de ces Divines personnes se soit positivement déclarée là-dessus. Comment donc nos Christicoles peuvent-ils savoir ce qui en est ? Ils n'en parlent donc que suivant leurs idées & leurs imaginations creuses ; 2° on pourrait dire que si ces prétendues Divines personnes avaient la puissance d'engendrer plusieurs enfants, & qu'elles n'en voulussent cependant rien faire, il s'ensuivrait que cette Divine puissance demeurerait en elles sans effet. Elle serait tout à fait sans effet dans la troisième personne, qui n'en engendrerait & n'en produirait aucune, & elle serait presque sans effet dans les deux autres, puisqu'elles voudraient la borner à si peu. Ainsi cette puissance qu'elles auraient d'engendrer & de produire quantité d'enfants demeurerait en elles comme oisive & inutile, ce qu'il ne serait nullement convenable de dire de Divines personnes.

Nos Christicoles blâment & condamnent les Païens de ce qu'ils attribuaient la Divinité à des hommes mortels, & de ce qu'ils les adoraient comme des dieux après leur mort : ils ont raison en cela ; mais ces Païens ne faisaient que ce que font encore nos Christicoles, qui attribuent la Divinité à leur Christ, en sorte qu'ils devraient eux-mêmes se condamner aussi, puisqu'ils sont dans la même erreur que ces Païens, & qu ‘ils adorent un homme qui était mortel, & si bien mortel qu'il mourut honteusement sur une croix.

Il ne servirait de rien à nos Christicoles de dire qu'il y aurait une grande différence entre leur Jésus-Christ & les dieux des Païens, sous prétexte que leur Christ serait, comme ils disent, vrai Dieu & vrai homme tout ensemble, attendu que la Divinité se serait véritablement incarnée en lui ; au moyen de quoi la nature Divine se trouvant jointe & unie hypostatiquement, comme ils disent, avec la nature humaine, ces deux natures auraient fait dans Jésus-Christ un vrai Dieu & un vrai homme : ce qui ne s'était jamais fait, à ce qu'ils prétendent, dans les dieux des Païens.

Mais il est facile de faire voir la faiblesse de cette réponse : car, d'un côté, n'aurait-il pas été aussi facile aux Païens qu'aux Chrétiens de dire que la Divinité se serait incarnée dans les hommes qu'ils adoraient comme dieux ? D'un autre côté, si la Divinité avait voulu s'incarner & s'unir hypostatiquement à la nature humaine dans leur Jésus-Christ, que savent-ils si cette même Divinité n'aurait pas bien voulu aussi s'incarner & s'unir hypostatiquement à la nature humaine dans ces grands hommes, & dans ces admirables femmes qui, par leur vertu, par leurs belles qualités, ou par leurs belles actions, ont excellé sur le commun des hommes, & se sont fait ainsi adorer comme dieux & déesses ? & si nos Christicoles ne veulent pas croire que la Divinité se soit jamais incarnée dans ces grands personnages, pourquoi veulent-ils nous persuader qu'elle se soit incarnée dans leur Jésus ? Où en est la preuve ? leur foi & leur créance, qui étaient dans les Païens comme dans eux. Ce qui fait voir qu'ils sont également dans l'erreur les uns comme les autres.

Mais ce qu'il y a en cela de plus ridicule dans le Christianisme que dans le paganisme, c'est que les Païens n'ont ordinairement attribué la Divinité qu'à de grands hommes, auteurs des arts & des sciences, & qui avaient excellé dans des vertus utiles à leur patrie ; mais nos Déichristicoles, à qui attribuent-ils la Divinité ? A un homme de néant, vil & méprisable, qui n'avait ni talent, ni science, ni adresse, né de pauvres parents, & qui, depuis qu'il a voulu paraître dans le monde & faire parler de lui, n'a passé que pour un insensé & pour un séducteur, qui a été méprisé, moqué, persécuté, fouetté, & enfin qui a été pendu comme la plupart de ceux qui ont voulu jouer le même rôle, quand ils ont été sans courage & sans habileté.

De son temps il y eut encore plusieurs autres semblables imposteurs qui se disaient être le vrai messie promis par la Loi ; entre autres un certain Judas Galiléen, un Théodore, un Barchon, & autres, qui, sous un vain prétexte, abusaient les peuples, & tâchaient de les faire soulever pour les attirer à eux, mais qui sont tous péris.

Passons à ses discours & à quelques-unes de ses actions, qui sont des plus remarquables & des plus singulières dans leur espèce. « Faites pénitence, disait-il aux peuples, car le royaume du ciel est proche ; croyez cette bonne nouvelle. » & il allait courir toute la Galilée, prêchant ainsi la prétendue venue prochaine du royaume du ciel. Comme personne n'a encore vu aucune apparence de la venue de ce royaume, c'est une preuve parlante qu'il n'était qu'imaginaire.

Mais voyons dans ses autres prédications l'éloge & la description de ce beau royaume. Voici comme il parlait aux peuples : « Le royaume des cieux est semblable à un homme qui a semé du bon grain dans son champ ; mais pendant que les hommes dormaient, son ennemi est venu qui a semé la zizanie parmi le bon grain. Il est semblable à un trésor caché dans un champ ; un homme ayant trouvé le trésor, le cache de nouveau, & il a eu tant de joie de l'avoir trouvé qu'il a vendu tout son bien, & il a acheté ce champ. Il est semblable à un marchand qui cherche de belles perles, & qui, en ayant trouvé une d'un grand prix, va vendre tout ce qu'il a & achète cette perle. Il est semblable à un filet qui a été jeté dans la mer, & qui renferme toutes sortes de poissons : étant plein, les pêcheurs l'ont retiré, & ont mis les bons poissons ensemble dans des vaisseaux, & jeté dehors les mauvais. Il est semblable à un grain de moutarde qu'un homme a semé dans son champ, il n'y a point de grain si petit que celui-là, néanmoins quand il est crû il est plus grand que tous les légumes, etc. » Ne voila-t-il pas des discours dignes d'un Dieu ?

On fera encore le même jugement de lui, si l'on examine de près ses actions. Car 1° courir toute une province, prêchant la venue prochaine d'un prétendu royaume ; 2° avoir été transporté par le Diable sur une haute montagne ; d'où il aurait cru voir tous les royaumes du monde, cela ne peut convenir qu'à un visionnaire, car il est certain qu'il n'y a point de montagne sur la terre d'où l'on puisse voir seulement un royaume entier, Si ce n'est le petit royaume d'Yvetot, qui est en France : ce ne fut donc que par imagination qu'il vit tous ces royaumes, & qu'il fut transporté sur cette montagne, aussi bien que sur le pinacle du temple ; 3° lorsqu'il guérit le sourd & le muet, dont il est parlé dans St Marc, il est dit qu'il le tira en particulier, qu'il lui mit ses doigts dans les oreilles, & qu'ayant craché, il lui tira la langue ; puis jetant les yeux au ciel, il poussa un grand soupir & lui dit Epheta. Enfin qu'on lise tout ce qu'on rapporte de lui, & qu'on juge s'il y a rien au monde de si ridicule.

Ayant mis sous les yeux une partie des pauvretés attribuées à Dieu par les Christicoles, continuons à dire quelques mots de leurs mystères. Ils adorent un Dieu en trois personnes, ou trois personnes en un seul Dieu, & ils s'attribuent la puissance de faire des dieux de pâte & de farine, & même d'en faire tant qu'ils veulent : car, suivant leurs principes, ils n'ont qu'à dire seulement quatre paroles sur telle quantité de verres de vin, ou de ces petites images de pâte, ils en feront autant de dieux, y en eût-il des millions. Quelle folie ! avec toute la prétendue puissance de leur Christ, ils ne sauraient faire la moindre mouche, & ils croient pouvoir faire des dieux à milliers. Il faut être frappé d'un étrange aveuglement pour soutenir des choses si pitoyables, & cela sur un si vain fondement que celui des paroles équivoques d'un fanatique.

Ne voient-ils pas, ces docteurs aveuglés, que c'est ouvrir une porte spacieuse à toutes sortes d'idolâtries que de vouloir faire adorer ainsi des images de pâte, sous prétexte que des prêtres auraient le pouvoir de les consacrer & de les faire changer en dieux ? Tous les prêtres des idoles n'auraient-ils pu & ne pourraient-ils pas maintenant se vanter d'avoir un pareil caractère ?

Ne voient-ils pas aussi que les mêmes raisons qui démontrent la vanité des dieux ou des idoles de bois, de pierre, etc., que les Païens adoraient, démontrent pareillement la vanité des dieux & des idoles de pâte & de farine que nos Déichristicoles adorent ? Par quel endroit se moquent-ils de la fausseté des Dieux des Païens ? N'est-ce point parce que ce ne sont que des ouvrages de la main des hommes, des images muettes & insensibles ? & que sont donc nos dieux, que nous tenons enfermés dans des boîtes de peur des souris ?

Quelles seront donc les vaines ressources des Christicoles ? Leur morale ? elle est la même au fond que dans toutes les Religions ; mais des dogmes cruels en sont nés, & ont enseigné la persécution & le trouble. Leurs miracles ? mais quel peuple n'a pas les siens, & quels sages ne méprisent pas ces fables ? Leurs prophéties ? N'en a-t-on pas démontré la fausseté ? Leurs moeurs ? ne sont-elles pas souvent infâmes ? L'établissement de leur Religion ? mais le fanatisme n'a-t-il pas commencé, l'intrigue n'a-t-elle pas élevé, la force n'a-t-elle pas soutenu visiblement cet édifice ? La doctrine ? mais n'est-elle pas le comble de l'absurdité ?

Je crois, mes chers amis, vous avoir donné un préservatif suffisant contre tant de folies. Votre raison fera plus encore que mes discours : & plût à Dieu que nous n'eussions à nous plaindre que d'être trompés ! Mais le sang humain coule depuis le temps de Constantin pour l'établissement de ces horribles impostures. L'Église romaine, la grecque, la protestante, tant de disputes vaines, & tant d'ambitieux hypocrites, ont ravagé l'Europe, l'Afrique & l'Asie. Joignez, mes amis, aux hommes que ces querelles ont fait égorger, ces multitudes de moines & de nonnes devenus stériles par leur état. Voyez combien de créatures sont perdues, & vous verrez que la Religion Chrétienne a fait périr la moitié du genre humain.

Je finirai par supplier Dieu, si outragé par cette secte, de daigner nous rappeler à la Religion naturelle, dont le Christianisme est l'ennemi déclaré ; à cette Religion sainte que Dieu a mise dans le coeur de tous les hommes, qui nous apprend à ne rien faire à autrui que ce que nous voudrions être fait à nous-mêmes. Alors l'univers serait composé de bons citoyens, de pères justes, d'enfants soumis, d'amis tendres. Dieu nous a donné cette Religion en nous donnant la raison. Puisse le fanatisme ne la plus pervertir ! Je vais mourir plus rempli de ces désirs que d'espérances. Voilà le précis exact du Testament in-folio de Jean Meslier. Qu’on juge de quel poids est le témoignage d’un Prêtre mourant qui demande pardon à Dieu.

Ce 15e Mars 1742.

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