dimanche 27 août 2023

Le matérialisme article de Georges Bataille paru dans la revue "Documents"

 La plupart des matérialistes, bien qu'ils aient voulu éliminer toute entité spirituelle, sont arrivés à décrire un ordre de choses que des rapports hiérarchiques caractérisent comme spécifiquement idéaliste. Ils ont situé la matière morte au sommet d'une hiérarchie conventionnelle des faits d'ordre divers, sans s'apercevoir qu'ils cédaient ainsi à l'obsession d'une forme "idéale" de la matière, d'une forme qui se rapprocherait plus qu'aucune autre de ce que la matière "devrait être". La matière morte, l'idée pure et Dieu répondent, en effet, de la même façon, c'est-à-dire parfaitement, aussi platement que l'élève docile en classe, à une question qui ne peut être posée que par des philosophes idéalistes, à la question de l'essence des choses, exactement de "l'idée" par laquelle les choses deviendraient intelligibles. les matérialistes classiques n'ont même pas vraiment substitué la cause au "devoir être" ( le "quare" au "quanobrem"), c'est-à-dire le déterminisme au destin, le passé au futur). Dans le rôle fonctionnel qu'ils ont inconsciemment donné à l'idée de science, leur besoin d'autorité extérieure a placé en effet, le devoir être de toute apparence. Si le principe des choses qu'ils ont défini est précisément l'élément stable qui a permis à la science de se constituer une position paraissant inébranlable, une véritable éternité divine, le choix ne peut en être attribué au hasard. La conformité de la matière morte à l'idée de science se substitue chez la plupart des matérialistes aux rapports religieux établis précédemment entre la divinité et ses créatures, l'une étant "l'idée" des autres.

le matérialisme sera regardé comme un idéalisme gâteux dans la mesure où il ne sera pas fondé immédiatement sur les faits psychologiques ou sociaux et non sur des abstractions telles que les phénomènes physiques artificiellement isolés. Ainsi c'est à Freud, entre autres, -plutôt qu'à des physiciens depuis longtemps décédés et dont les conceptions sont aujourd'hui hors de cause - qu'il faut emprunter une représentation de la matière. il importe peu que la crainte des complications psychologiques ( crainte qui témoigne uniquement de la débilité intellectuelle) engage des esprits timides à découvrir dans cette attitude un faux-fuyant ou un retour à des valeurs spiritualistes. Il est temps, lorsque le mot "matérialisme" est employé, de désigner l'interprétation directe, "excluant tout idéalisme", des phénomènes bruts et non un système fondé sur les éléments fragmentaires d'une analyse idéologique élaborée sous le signe des rapports religieux.

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