Jean-Paul Curnier est mort en 2017.
Ah...
Mais qui est-il?
AH?...
Un vrai?
C'est-à-dire, quelqu'un en capacité de penser le monde de réfléchir le monde de réfléchir le vivre ensemble sans aller en Afghanistan ou en Irak sucé le sang des cadavres?
Un homme qui ne jouit pas à chaque fois qu'il s'écoute parler?
Ou alors un qui retourne sa veste à chaque fois qu'il parle? Ce dit libertaire alors qu'il goûte avec les puissants du monde une cuvée de plusieurs années tout en y allant en jet tout en revendiquant une vie modeste et simple?
un libertaire qui tape sans arrêt à gauche pour aller s'accoquiner avec un malade mental du nom de Z?
Bref...Il ne vivait pas dans son tonneau par plaisir, mais lorsque la vérité dite gêne aux entournures, le tonneau, ce sont les autres qui nous le construit.
Voilà ce qu'en disent les journalistes littéraires de "le matricule des anges".
"TROIS LIVRES EN DEUX MOIS : JEAN-PAUL CURNIER A TROUVÉ UN MODÈLE DE PUBLICATION EN RAFALE QUI CONVIENT À SON ÉCRITURE. UNE ARME POINTÉE, ENTRE GROS CALIBRE ET BALLES À BLANC….
DES LIVRES
Aggravation (1989-2001)
de Jean-Paul Curnier
Editions Farrago/Léo Scheer
Le Désordre des tranquilles
de Jean-Paul Curnier
Editions Farrago/Léo Scheer
Peine perdue
de Jean-Paul Curnier
Editions Léo Scheer
Des trois livres de Jean-Paul Curnier qui ont paru au printemps dernier, seul Peine perdue est une nouveauté. Mais comme ce dernier est à lui seul un triptyque, l’effet de tir groupé reste tangible.
Publié en 1997 par les éditions Fourbis devenues Farrago, Aggravation est un livre à la fois vivifiant et nécessaire. Il regroupe bon nombre de textes parus dans la revue Lignes dirigée par Michel Surya. Et si cela doit encore être illustré, qu’on prenne alors la première phrase d’Aggravation :« « Aggravation » , parce que tel est le double projet de ce livre : celui de rendre mieux visible l’état de dégradation continuée des conditions faites à l’existence commune ; celui également d’en perturber le cours en rendant plus incertain et plus contrarié l’assentiment aveugle qui partout le permet. »
Première constatation dès le premier texte du philosophe et écrivain : les démocraties n’envisagent plus de monde meilleur. Elles se donnent pour être l’« horizon indépassable de l’humanité » auquel notre civilisation est arrivée. Dès lors, il n’y a plus rien à espérer. Ce que peut faire la démocratie, c’est seulement pointer du doigt ce qui pourrait la menacer afin de permettre « l’assentiment » de chacun à vouloir la défendre. Nous vivons, nous dit-il plus loin avec « cette idée effrayante qu’il n’est plus rien à espérer de mieux que ce que nous avons déjà ». On voit dès lors que la pensée de Curnier ne se repose sur aucun dogme (l’illusion de lendemains qui chanteraient à condition qu’on les fasse advenir). Il ne s’agit donc pas d’appeler à l’émergence d’une nouvelle ère, d’un nouveau règne mais plus sûrement de saper les moyens qui nous sont donnés de nous duper. En treize textes, l’entreprise de dessillage va surtout s’attacher à combattre « le prodigieux affaissement de la pensée qu’exige en retour le consensus contemporain ». Jean-Paul Curnier dénonce les nouveaux modes de la domination, de l’avènement de l’événement (dernier avatar de la société marchande), à la transparence, en passant par la domestication de l’art ou l’abolition du mal par le théâtre. Toute représentation du monde paraît ainsi gouvernée par les intérêts de la domination et l’on pense au mot de sensure inventé par Bernard Noël (sensure pour privation du sens là où, avant, la censure comme privation de la parole avait le défaut d’être voyante). Aggravation multiplie les phrases choc, les coups de feu. Sur la montée de l’extrême droite (« elle est ce qui reste du sol politique quand la pensée l’a déserté »), sur les œuvres d’art censées choquer (« car en elles, plus qu’ailleurs encore, le souci de moraliser s’y répand sans vergogne »), sur l’abandon de l’être au profit du paraître (« c’est la disparition de soi (…) qui s’échange contre la visibilité de l’existence »).
Il y a là une véritable esthétique de la pensée : comme dans les horloges sous cloche, on voit agir le mécanisme des phrases avec une jouissance fascinée. Styliste, Jean-Paul Curnier l’est d’autant plus que cette exposition de la réflexion la légitime. Il ne s’agit pas d’asséner mais de démontrer et l’on sait, comme en mathématiques, que le chemin de la démonstration importe. La rhétorique, souvent mariée à la logique, se met au service d’une rigoureuse et implacable radicalité.
On est alors déçu par les deux autres livres. Le Désordre des tranquilles, paru initialement chez Via Valeriano, arpente les gares et les trains pour en ramener de courts récits, morceaux de réel ou fictions qui illustrent (avec douceur souvent) ces moments où l’ordre des vies est perturbé, déplacé. Lecture agréable, certes, mais d’une pâle nécessité comparée à celle d’Aggravation. Quant aux proses coupées de Peine perdue, présentées comme des poèmes mais qui n’en sont pas, elles se donnent comme le terrain des jeux de pensées, comme il y a des jeux de mots. Petits contes et petites réflexions, ces textes courts semblent ne pouvoir que nous divertir. L’humour, l’ironie venant ainsi désamorcer l’angoisse à quoi conduit la pensée lucide. Dommage : en littérature aussi Curnier possède les moyens de nous faire frémir. À condition, peut-être, d’écrire pour déplaire…"
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