« Les
hommes de cette ville font le moins de pas possible, observe beffroi. Ils
semblent avoir peur de s’éloigner trop. « Ils battent la semelle »,
ils la battent. On dirait qu’ils cherchent désespérément à s’enraciner sur un
lopin de trottoir. Ils s’enferment dans leur maison, croyant s’y enfoncer. En
vain. Ils grattent le pavé dans l’espoir d’y trouver de la terre, un bon, un délicieux
humus. Autour d’eux, ils tracent des cercles dont ils se proposent de ne point
sortir. Quand ils en sortent, c’est chassé par la faim ou par un accident
terrible qui vient de se produire un peu plus loin. Ou alors par les nécessités
du métier, du coït. Ainsi donc tous ces gens qui vont, qui viennent, qui
donnent à la ville son apparence de creuset tourbillonnant, de marmite
d’agités, n’avancent guère. Ils font des ronds, des bulles dans l’espace étroit
et sans chaleur qui leur est dévolu. Ils sont déracinés sans être nomades. Le
mouvement leur est interdit. Ils vivent dans un brouillard d’échafaudages, de
tubulures molles qui au moment où le citadin veut fuir se redressent et se
pointent vers lui en baïonnettes strictes. Ce que Beffroi prenait pour de la fièvre
n’est qu’une riposte épuisée à une agression sans visage. Sous la nervosité
générale, les corps transportent leurs ressorts brisés. On m’avait dit que la
vielle que la ville était trépidante, Dante, qu’elle était pleine de démons
marcheurs cheurs, et boxeurs xeurs. On m’avait donc menti ti. J’ai envie de
gifler les monuments, ce gigantesque arrêt de toute vie. »
Marcel
Moreau, illustre inconnu encore il y a quelques temps. Ce nom fut découvert au
détour d’une lecture. J’allais donc à la recherche d’un de ses ouvrages. Et
voilà que je tombe sur un titre bien aguichant, blasphématoire presque à
souhait : « A dos de Dieu ou l’ordure lyrique »
Un
peu dans la même fougue de paroles et de sons, de termes et de corps, de pus et
de sang de suc et de crachats, « L’ordure lyrique » comme « à
dos de Dieu » est de la même veine défouloir que « Tombeaux pour cinq
cent mille soldats » de Pierre Guyotat. A la seule différence, c’est que
ce dernier est une succession uniquement triste et macabre ; alors que « A
dos de Dieu ou l’ordure lyrique » est également une succession d’horreurs
mais presque jubilatoire.
Beffroi
est donc cet énergumène qui vole et court, tue et viole ce que peut, un
Maldoror belge qui ne soucie de l’espèce humaine comme d’une guigne. Celle-ci
est répugnante, vile, lâche. Il ne peut être question de pitié.
Beffroi
est un pur-sang lancé dans la foule sans contrôle, sans censure, sans retenue
et prêt à tout pour satisfaire ses besoins.
Il
n’est nul morale pour l’empêcher de faire ce qu’il veut faire, de penser ce qu’il
pense.
Mais
c’est un roman, au titre merveilleux, au titre un tant soit peu provocateur
alléchant piquant… Mais…cet auteur observe ce que l’on ne voit pas encore
entièrement mais qui transparait par quelques faits divers interposés.
Que
sont ces « humains » qui enlèvent, violent et tuent des enfants ?
Ou découpent leurs têtes avant de jeter les corps, les petits corps aux
premiers charognards du pays ? Les seconds étant les journalistes qui
courent de faits divers monstrueux en faits divers monstrueux, en sachant que
les familles regardent et écoutent pendant qu’ils parlent, qu’ils
éditorialisent l’horreur, pendant qu’ils supputent des faits terribles, pendant
qu’un homme dit sa souffrance devant la perte de sa famille et que l’on voit l’auteur
de l’accident en boite de nuit…Etc, etc…Et qui est le plus terrible, le plus
inhumain ? Beffroi qui n’est qu’une invention, une vision ou la triste
réalité que l’on nous impose dans toute l’horreur de 24h en 24h ? Cette
logorrhée comme un WC se vidant des milliers de déjections cérébrales de nos contemporains qui
font la vie quotidienne?
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