samedi 29 juillet 2023

Sur le peu de révolution de Michel Surya/Bernard Noël Partie 1

 Bernard Noël : 17/11/04

« Lu ce soir tes pages 105 à 135, qui ont trait à l’engagement. La position radicale de Bataille, je l’adopterais volontiers parce qu’elle met fin au débat. Mais c’est accepter une espèce de consubstantialité entre « inutilité » et « littérature » (n’est-ce-pas très exactement ce que j’ai éprouvé tout à l’heure, devant mon « Retour de Sade » réalisé, c’est-à-dire devenu un livre de plus ?). La « littérature » n’est pas l’écriture même si toute écriture est condamnée à devenir littérature. L’inutilité de l’écriture est comparable à l’inutilité du plaisir ou à celle de la douleur : elle en tire une qualité sans fin. Au contraire, l’inutilité de la littérature est finie. J’admire sans réserve la précision de ton analyse et la manière dont tu l’appuies sur la connaissance de la diversité des positions. Ce faisant, tu ne laisses place à aucune échappée : tout est là, exactement dit, parfaitement pensé, parfaitement dévisagé. J’en éprouve un désespoir car – oui !- il n’y a rien d’autre. L’engagement est en général un sacrifice à la morale. Personne n’ose être amoral ou immoral, sauf Bataille. Mais son choix est-il une réponse ? Quand Breton parle d’opposer « un NON irréductible à toutes les formules disciplinaires », je sais qu’il discourt, qu’il écrit de la fumée verbale. J’aimerais qu’il ajoute que c’est l’inutilité de ce NON qui fonde sa nécessité. Comme j’aimerais que Bataille dise que l’inutilité est la seule expression raisonnable (non illusoire) de la résistance…Mais, bien sûr, je ne fais que désigner l’impasse au fond de laquelle j’étouffe ».

 

Bernard Noël : 25/11/04

« Cette fois, j’ai lu trop de pages en peu de temps si bien que tout se précipite, se bouscule. Il y a eu d’abord – mais cela, je te l’ai dit déjà – tout ce qui concerne communisme et littérature. Et mon impression que cela avait été recouvert par l’histoire, ne nous concernait plus, à la différence de «l’engagement » dont le problème reste vif. Ton travail là-dessus est toujours aussi documenté, aussi complet que possible ; il est final. Ensuite, j’ai fait grâce à toi une découverte : Manuel de Diéguez, je connaissais son nom, rien de plus, pour avoir reculé devant je ne sais quel gros bouquin dont l’épaisseur justement m’intriguait. Surprise aussi de la position de Claude Roy (214), proche de celle de Bataille à propos d’Auschwitz un modèle industriel idéalement réussi – un modèle de rationalisation de la production. Mais viennent Kafka et tout ce qu’il annonce et que tu développes avec cette clarté inexorable qui distingue ton livre. « Un mythe contre lequel nul ne saurait en appeler auprès d’aucune justice que lui-même reconnaitrait est une terreur. » Je deviens ici (les procès de Moscou, de Budapest, de Prague) un lecteur terrifié au souvenir que l’aveu crée la faute, si bien que le rétrospectif se change en avenir- le court avenir qui sépare l’aveu de l’exécution. Tu as une formule à la hauteur de cette horreur : « une fidélité dérélictive »…je ne sais quelle courbe abominable, après nous avoir éloignés de la possibilité de ce monde-là, nous ramène vers lui. C’est le à-survenir menaçant derrière la nouvelle trahison des clercs de nos deux générations. J’émerge de la lecture complétement désespéré parce que, ici comme partout, ton analyse est si totale qu’il n’y a de place pour aucune issue. Pas d’échappatoire. L’analyse se confond avec le destin. »

 

Bernard Noël :  31/12/06

« Repris ton « jamais » qui démontre bien la fausseté du « suffrage » et de « l’universel » - fausseté accentuée par le façonnage médiatique de l’opinion. Que faire ? On offre au peuple de servir la messe démocratique tous les cinq ans. Une messe minable. Je crois beaucoup aux gestes symboliques parce qu’ils disent très exactement ce qu’ils disent en accordant l’acte et la parole –et en les vérifiant l’un par l’autre. Ils sont très rares. En dehors d’eux, la société devenue laïque n’a pas su inventer l’équivalent de la cérémonie religieuse. La communion, le corps mystique, la grâce, etc., avaient l’avantage de nourrir la vie intérieure, la pensée, l’art. C’étaient des illusions, mais heureusement partagées. De « glorieux mensonges » sans doute comme tout ce que fabrique notre intelligence face à la mort, mais « glorieux » et non pas minables comme tout ce qu’est censé nous assurer la consommation. Je suppose que j’attendais de la Révolution qu’elle change glorieusement la vie…Au moins n’était-elle pas vendable. »


Bernard Noël: 17/04/07

"La révolution ne survit elle que dans le mot "révolution"? Ou ce mot est-il la graine que la réaction n'arrive pas à écraser de telle sorte qu'il en sortira un mouvement? ces questions sont peut-être idiotes quand il faudrait rendre inconciliables les termes de "révolution" et de "prise de pouvoir". A-t-on jamais pensé l'une sans l'autre? J'en doute."


Michel Surya: 24/04/07

"Ne dis pas des choses qui cherchent à m'attrister: d'ailleurs, on n'est plus élu que pour coinq ans. Nous faut-il trouver des qualités à Royal, parce qu'il nous faudrait préférer tout ou n'importe qui à l'autre (Sarkozy)? C'est bien ce que ce jeu a de plus profondèment pervers et répugnant. As-tu remarqué que la Bourse et la cotation des valeurs n'ont pas cillé, même positivement, à l'annonce des résultats? Preuve, s'il en était besoin, qu'il n'y a plus de politique, sinon celle des capitaux, bien supérieure à tout autre."


Bernard Noël:  26/05/08

"Cependant, j'ai ce sentiment: que je me retire un peu plus chaque jour. Oui, je suis bien ici; mais il faut entendre cela aussi: je me trouve bien de n'être plus qu'aussi peu à paris. cette considération pourrait avoir aussi ce sens encore qu'on ne lui prêterait pas d'emblée: un sens politique. Il me semble qu'il n'y a plus que ce retrait pour dire l'irrésistible raillerie que suscite chez moi tout ce que j'entends qui prétend au nom de "politique"; raillerie, les meilleurs jours; dégoût des autres. Tu parlais, il n'y a pas longtemps, de cette possibilité qui nous restait, et qui voulait qu'on recoure à la violence; je le pense aussi; à ceci près que, le plus souvent, je pense que cette violence, que tout appelle, à laquelle je ne comprends pas que personne ne réponde, cette violence elle aussi semble fausse, ou n'être vraie que d'une façon subjective (faite pour soulager nos affects les plus virulents). parce qu'au fond nous ne croirions plus à son efficacité."



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