Ce mot, venu d'Angleterre et
répandu en France depuis l'invention de l'imprimerie, a eu son origine dans le
vieux mot composé français, palme-feuillet, dont la signification était : «
feuillet qui se tient dans la paume de la main. » A cause de sa commodité, on
se servit de ce feuillet pour répandre des écrits qu'on voulait propager en
grand nombre, et on prit l'habitude d'appeler pamphlets non seulement les
feuillets, mais aussi les écrits qu'ils contenaient. La forme du pamphlet se
prêtait remarquablement à la propagation clandestine des écrits de critique
politique et sociale subversive de l'ordre établi et du conformisme du jour.
Reproduit à l'infini par le moyen de l'imprimerie, pas encombrant, facile à
cacher, peu coûteux et d'une lecture rapide, il devint ainsi le véhicule de la
pensée indépendante et réformatrice. Son nom fut donné surtout à ces écrits
subversifs parmi lesquels la satire des mœurs et des hommes occupait la plus
grande place. Les pamphlets ont justifié ainsi cette définition que Paul-Louis
Courier leur a donnée : « Petits écrits éphémères, d'une ou deux pages, qui
vont de main en main et parlent aux gens d'à présent des faits, des choses
d'aujourd'hui. » Par la suite, il arriva que le pamphlet fût composé de
feuillets plus nombreux qui formèrent des brochures et même des livres. De plus
en plus le pamphlet fut spécialisé dans les écrits satiriques et il finit pal'
se confondre avec la satire en prenant de plus grands développements. Il en fut
la forme militante, combative, la transportant de la littérature plus ou moins
spéculative dans la politique et dans la mêlée sociale. Il fut, et il est
toujours, « le livre populaire par excellence ». (P. L. Courier). Aussi, les
gouvernants, les privilégiés, les « pistons de la machine » comme Balzac
appelait les bouddhas de 1'ordre social, les « confréries des puissants» et des
« ventrus » qui n'aiment guère la satire, redoutant d'y voir leur ombre, aiment
encore moins le pamphlet. Ils le jugent diffamatoire, parce qu'il leur dit trop
souvent la vérité et les dépouille, sans aucune espèce de considération, de
leur dignité carnavalesque. Alors que la satire s'exerce sur des généralités
qui sont de tous les temps, le pamphlet est particulier à une époque une
société, des personnes. Il a une forme inférieure dans le libelle (voir ce mot)
auquel on reproche plus justement d'être diffamatoire et qui s'attaque plus
directement aux personnes, à leur vie privée, dans un but de scandale. Le
pamphlet est une des armes de la polémique. Quand l'argumentation de la raison
est insuffisante contre la mauvaise foi qui ne veut pas se rendre, contre le
préjugé qui demeure tenace, il est le coup de massue qui abat le forcené, la
douche qui calme subitement l'excité. Il a le défaut de la polémique qui
s'occupe plus de victoire que de vérité et avec laquelle, disait Renan, « on ne
fait pas plus de bonne science que de grand art » ; mais Renan reconnaissait
que la polémique est nécessaire contre l'intolérance qui fait obstacle à la
science, et le pamphlet l'est aussi. Le pamphlet ne s'embarrasse pas d'élégance
académique, pas plus que d'impartialité. Il n'en sera que plus remarquable s'il
possède une valeur littéraire et sert la cause d'une vérité qui n'est pas
circonstancielle, relative au temps et à la mode ; il portera alors en lui la
pérennité de la beauté et de la vérité éternelles. Mais il est avant tout une
œuvre de passion et sa qualité essentielle est dans la netteté de sa pensée.
Comme Boileau, il appelle « un chat un chat et Rolet un fripon ». A la
révolution, le plus souvent lente et pacifique que la satire apporte dans les
mœurs, le pamphlet donne la forme insurrectionnelle qui fait dresser des
barricades et met un fusil en mains du révolté. L'Académie Française, vieille
dame qui redoute les fréquentations turbulentes, ne dit du pamphlet que ceci
dans son Dictionnaire (7e édition 1878) : « Mot emprunté de l'anglais.
Brochure. Il se prend souvent en mauvaise part. » De pamphlétaire, auteur de
pamphlets, elle dit : « Ne se prend guère qu'en mauvaise part. » L'Académie a
traduit ainsi le sentiment des gens « comme il faut » et « bien pensants » pour
qui l'expression, vil pamphlétaire, est devenue un cliché. Larousse, de qui
l'article pamphlet est remarquable dans son Grand Dictionnaire, a écrit au mot
pamphlétaire : « On dit un vil pamphlétaire, comme on dit un honorable député,
un vénérable ecclésiastique, un magistrat austère. Il est vrai que ce sont les
magistrats austères, les véné emploient le plus souvent le terme de vil
pamphlétaire. Les deux mots sont accouplés comme deux forçats à la même chaîne.
» Larousse a dit aussi : « Quel homme animé du saint amour de la vérité, n'a
pas été plus ou moins pamphlétaire ? » Il y a eu des pamphlétaires même chez
les magistrats austères qui condamnent les vils pamphlétaires ; depuis
Montaigne jusqu'à Cormenin ils n'ont pas manqué. Il y en a encore davantage chez
les vénérables ecclésiastiques qui envoient les vils pamphlétaires en enfer ;
la liste en serait longue depuis l'apôtre Barnabé jusqu’a l’abbé Turmel, car
c'est dans son personnel lui-même que l’Eglise a trouvé ses plus farouches et
ses plus impitoyables adversaires. Nous le ver que les disciplines sociales,
même les plus étroites, sont impuissantes à réfréner les manifestations des
esprits véritablement indépendants. Elles n'enlèvent leur virilité qu'aux
eunuques volontaires. Il y a même des pamphlétaires parmi les honorables
députés qui projettent de faire une nouvelle « loi scélérate » contre la «
diffamation » des vils pamphlétaires. Paul-Louis Courier a raillé avec une
verve étincelante, dans son Pamphlet des pamphlets, les bons apôtres de ce bloc
enfariné qui condamne les vils pamphlétaires. Il avait été poursuivi en cour
d'assises - les « lois scélérates » démocratiques n'existaient pas encore pour
l’envoyer en correctionnelle - pour son Simple discours à l'occasion d'une
souscription pour l'acquisition de Chambord, et l'épithète de « vil
pamphlétaire » que le Procureur du Roi lui avait décochée avait suffi pour le
faire condamner. Les jurés ne s'étaient même pas donne. la peine delire son
pamphlet ; la vérité qu'il pouvait renfermer ne pouvait qu'être criminelle,
n'étant pas enveloppée de cette rhétorique qui confond le mensonge et la vérité
et fait passer les coquins pour d'honnêtes gens. Ils avaient été fixés d'avance
sur l'écrit comme sur son auteur par les étiquettes du pharisaïsme offensé : «
pamphlet, vil pamphlétaire », car « un pamphlet ne saurait être bon, et qui dit
pamphlet dit un écrit tout plein de poison ». On ne saurait, en « bonne police
», laisser circuler du poison. Mais, le scandale, c'est que le monde aime bien
ce poison, parce qu'avec lui « il y a aussi des sottises, des calembours, de
méchantes plaisanteries », et les bons apôtres gémissent : « Honte du siècle et
de la nation, qu'il se puisse trouver des auteurs, des imprimeurs et des
lecteurs de semblables impertinences ! » Ce que ne disent pas ces bons apôtres,
c'est que le pamphlet n'est pas moins goûté par eux ; ils le lisent avec
délices, ils s'en gargarisent voluptueusement lorsque, au lieu de servir la
vérité, il sert le mensonge et sort de l'officine de ces « Pitres dévêts,
marchands d'infâmes balivernes », que V. Hugo a flétris dans ses Châtiments. La
Bruyère a constaté qu' « on n'approuve la satire que lorsqu'elle va mordre les
autres ». Le pamphlet mord toujours quelqu'un et il y a toujours quelqu'un pour
en rire parmi ceux qui ne sont pas mordus. De là cet amour du monde pour le
poison appelé pamphlet. Mais il y a pamphlet et pamphlet comme il y a poison et
poison ; de même, il y a pamphlétaire et pamphlétaire. Que la vérité soit ou ne
soit pas toujours dans le pamphlet, et de quelque parti qu'il vienne - chacun
prétend détenir la vérité et la dénie à l'adversaire, - il y a plus sûrement de
« vils pamphlétaires ». Ce sont ceux qui ne possèdent pas, à défaut d'une
conviction absolue, un désintéressement complet au service de ce qu'ils
prétendent être la vérité et tirent profit de leurs pamphlets. Le pamphlet, en
raison des attaques personnelles qu'il contient et de sa vivacité, devient
alors la forme la plus basse du brigandage et de la prostitution littéraires,
et celui qui s'y livre est le plus bas coquin de la confrérie des lettres. Le
genre fleurit particulièrement aux époques de décomposition sociale, lorsque
les mœurs sont tombées à de telles turpitudes que les prétendues « élites » ont
perdu tout prestige et peuvent être fouaillées, sans pouvoir trouver dans la
conscience publique l'appui d'une réaction possible. L'Arétin fut, au XVI e
siècle, le type romantique, brillant et redouté, du « vil pamphlétaire »,
condottière de plume, sorte de Don Juan du chantage, qui savait à l'occasion
tenir la vie de ses victimes à la pointe de son épée. L'espèce s'est encore
singulièrement avilie depuis pour arriver aux « faisans » actuels, sortis des
ténébreux charniers de la guerre avec les Thénardier montés au pouvoir et dont,
vampires sans dégoût, ils sucent le pus qui leur tient lieu de sang. Ces «
faisans » sont de ceux à qui V. Hugo disait : « Et quand on va chez vous pour
chercher vos oreilles, Vos oreilles n'y sont jamais! » Le pamphlet n'est
honorable que s'il n'est pas le produit d'une plume vénale, s'il sort d'une
conscience pure qui n'est à la solde de personne et sert la vérité, ou ce
qu'elle croit telle, avec un complet désintéressement. S'il n'y a pas un
critérium infaillible de la vérité, il y en a un du pamphlétaire dans les
conséquences que son pamphlet a pour lui : les persécutions, la prison et
parfois l'assassinat plus ou moins légal pour les P.-L. Courier; les hautes
protections, sinon la fortune et les honneurs, pour les L. Veuillot. Le plus
souvent, les pamphlétaires qui servent la vérité doivent rester anonymes pour
échapper aux persécutions. « Ils arrosent la terre de leur sueur et de leur
sang, la moisson croît, le peuple la recueille et ne songe même pas à connaître
les noms de ceux qui l'ont ensemencée pour lui. » (Pierre Larousse.) Nous
n'écrirons pas ici l'histoire du pamphlet. On la trouvera avec celle de la
satire, à ce mot. Nous indiquerons seulement ses époques les plus brillantes et
ses différents aspects. Le pamphlet véritable, c'est-à-dire écrit et répandu à
des milliers d'exemplaires, ne date que de l'invention de l'imprimerie. Il fut
la raison principale de l'opposition et des interdictions faites par les
différents pouvoirs à cette invention. Il fit des débuts éclatants en
Allemagne, avec les Epistolœ obscurorum virorum d'Ulrich de Hutten, inspirées
par la querelle de Reuchlin et des théologiens de Cologne. Ces lettres étaient
d'une telle puissance et d'une telle vie, qu'elles sont demeurées inoubliées en
Allemagne où des éditions successives n'ont pas cessé d'entretenir leur
popularité. Elles sont moins connues en France. Laurent Tailhade, qui voyait en
Ulrich de Hutten « le Lucien de la Renaissance germanique », en a publié une
traduction, il y a quelques années, sous le titre : Epîtres des hommes obscurs
du chevalier Ulrich von Hutten (1924). Les pamphlets de Hutten ouvrirent la
voie à ceux de Luther, non moins vigoureux, qu'il appela : Propos de table,
parce qu'il n'y occupa que « le temps de ses réfections corporelles ». Le
pamphlet se multiplia à cette époque si troublée du XVI e siècle, allant des
hauteurs satiriques de la Satire Ménippée jusqu'à la multitude des libelles
qu'on afficha sous forme de placards et n'eurent plus aucune espèce de retenue.
Il fut d'une violence extrême, passant du ton de la raillerie, quand il attaqua
les mœurs d'Henri III et de sa cour dans l'lsle des hermaphrodites,
nouvellement découverte, avec les mœurs, loix, coustumes et ordonnances des
habitants d’icelle, à la provocation à l'assassinat et au régicide. Il exprima
ainsi la forme aiguë et réaliste de la satire qui attaquait la légitimité des
rois et présentait la résistance à leur pouvoir comme un devoir. L'apologie
d'Harmodius, d'Aristogiton, de Brutus, de Cassius, d'Aratus de Sieyone qui
avaient délivré leur pays des tyrans, était répandue par des milliers de
feuillets et de placards. Devenu immédiatement l'arme des partis, le pamphlet
ne cessa de se multiplier en prenant des caractères divers ; mais il fut
par-dessus tout l'expression de la pensée populaire, Il gagna en esprit ce
qu'il perdit en violence quand les fureurs religieuses furent calmées, et il
abandonna le ton de la diatribe pour prendre celui du burlesque, de l'épigramme
et de la chanson. Les Mazarinades furent aussi nombreuses au temps de la Fronde
que les libelles des temps de la Ligue. On en a compté plus de cinq mille.
Elles firent vivre une nuée de pamphlétaires miteux dont Mazarin lui-même
payait les insolences. Il allait même jusqu'à provoquer des émeutes qu'il
exploitait à son profit, selon les procédés policiers de tous les temps. Les
Henri III, Henri IV et Mazarin étaient les premiers à rire des attaques des
libellistes. Les deux premiers en moururent assassinés, le troisième en fit sa
fortune. Il disait : « Qu'ils crient, pourvu qu'ils paient ! » Lui encaissait.
Venu à Paris sans un rouge-liard dans la domesticité d'une reine de France, il
mourut dans le lit de cette reine, laissant à ses neveux une fortune de plus de
cinquante millions. Cela n'empêcha pas pourtant que certains auteurs et
éditeurs de mazarinades furent pendus ou envoyés aux galères. Sous Louis XIV,
sauf à la fin du règne où les turpitudes royales soulevèrent les consciences
même les plus domestiquées, le pamphlet perdit complètement son âpreté, comme
si la courtisanerie en eût eu raison. Les auteurs de libelles étaient
d'ailleurs de plus en plus menacés. Tartufe, s'il plaisantait avec les vices
des autres, n'aimait pas qu'on raillât les siens et tenait d'autant plus à ne
pas voir attaquer sa vertu qu’il n'en avait guère à revendre. De plus en plus
réduit aux dimensions du libelle, le pamphlet dut dissimuler ses auteurs. Il en
fut ainsi jusqu'à la Révolution et il s'en vengera par son agressivité.
Chavigny paya de trente ans de cage de fer, dans la forteresse du mont
Saint-Michel, son pamphlet intitulé : le Cochon mitré, contre Le Tellier, frère
de Louvois (1689). Cent ans plus tard la Révolution mettait fin à la captivité
de Latude emprisonné depuis trente ans pour crime de lèsemajesté, parce qu'il
avait adressé à Mme de Pompadour certains « hommages » déplaisants ! Latude ne
fut pas le seul qui subit les cruelles vengeances de la catin royale. Dumouriez
a raconté dans ses Mémoires comment il vit un jour, à la Bastille, « un homme
d'environ cinquante ans, nu comme la main, avec une barbe grise très longue,
des cheveux hérissés, hurlant comme un enragé ». Cet homme, qui était devenu
fou, était un nommé Eustache Farcy, gentilhomme picard, capitaine au régiment
de Piémont, enfermé depuis vingt-deux ans pour avoir fait ou colporté une
chanson contre la Pompadour. D'autres, nombreux, connurent un sort semblable.
Les libraires, éditeurs de libelles, étaient durement frappés, aussi la plupart
de leurs productions avaient elles leurs presses à l'étranger, particulièrement
en Hollande. Les colporteurs les apportaient ; le monde frivole les répandait,
heureux' de ces attaques sournoises contre des puissances que d'autre part il
flagornait bassement. Voltaire, bien qu'il fut le polémiste le plus ardent de
son époque, était ennemi des libelles. Il a vivement attaqué les auteurs de ces
« petits livres d’injures » auxquels ceux qui les faisaient mettaient rarement
leurs noms, « parce que les assassins craignent d être saisis avec des armes
défendues ». Il voyait en eux des « compilateurs insolents qui, se faisant un
mérite de médire, impriment et vendent des scandales comme la Voisin vendait
des poisons ». Son article Du Quisquis de Ramus ou La Ramée, dans le
Dictionnaire Philosophique, est un véritable pamphlet, plein d'indignation,
contre les faiseurs de libelles qui prétendaient imiter Horace et Boileau. Il
leur répondait qu'Horace et Boileau n'avaient pas fait de libelles et que, si
on voulait les imiter, il fallait avoir un peu de leur bon sens et de leur
génie ; on ne ferait alors plus de libelles. Voltaire montrait ainsi l'exacte
distinction qu'il y a lieu de faire entre la véritable satire, celle d'un
Horace et d'un Boileau, et cette forme la plus vile du pamphlet qu'est le
libelle. « La vie d'un forçat, disait-il encore, est préférable à celle d'un
faiseur de libelles ; car l'un peut avoir été condamné injustement aux galères,
et l'autre les mérite. » La Régence, parce qu'elle avait eu beaucoup à se faire
pardonner, avait été d'une certaine douceur aux pamphlétaires. Le Régent
oubliait les injures faites au duc d'Orléans. Le pamphlet prit une vigueur
nouvelle aux approches de la Révolution. Il contribua puissamment à l'amener.
Il répandit les idées des Encyclopédistes en les vulgarisant ; il exploita les
querelles du régime, celles entre autres du Parlement et de la royauté ; il
dressa sur la scène l'audace de Figaro dans les deux pièces de Beaumarchais, le
Barbier de Séville et Le Mariage de Figaro. Necker présenta au roi son Mémoire
sur l'établissement des administrations provinciales où il attaqua l'arbitraire
royal. Mirabeau lança son pamphlet Sur la liberté de la presse qui fut suivi,
en 1789, par son Appel à la nation française. La royauté harcelée, même par ses
plus cyniques profiteurs, ne sut plus où trouver le salut et justifia de plus
en plus les attaques contre elle par l'accumulation de ses fautes. Sous la
Révolution, le pamphlet se multiplia pour et contre la royauté. Il fut presque
la seule littérature du temps, avec les discours civiques, et il fut aussi
verbal qu'écrit, à la tribune, sur la scène et dans la presse. Il fut lu,
déclamé, chanté. Il traduisit tous les événements politiques, toutes les
préoccupations populaires. Successivement parurent des pamphlets de
circonstance et d'autres qui eurent la périodicité du journal. Ils commencèrent
avec Le Véritable ami du peuple, de Loustalot, et La France libre, de Camille
Desmoulins. Relativement mesurés et traitant de questions sociales plus que de
querelles de partis et de personnes, ils exprimèrent au début la joie et les
espoirs du peuple qui se croyait entièrement libéré de ses chaînes. Celui de
Sieyès sur le Tiers Etat fut la première manifestation d'un nouvel esprit de
classe qui allait diviser la Révolution et la conduire à la Terreur. Les
journaux-pamphlets se multiplièrent : Le Patriote français, de Brissot, les
Révolutions de Paris, de Loustalot ; la Bouche de Fer, de Fauchet et Bormeville
; l'Ami du Peuple, de Marat ; l'Orateur du peuple, de Fréron ; les Révolutions
de France et de Brabant, de Desmoulins, puis son Vieux Cordelier. Les haines
anti révolutionnaires d'une part, et les souffrances populaires d'autre part,
poussèrent à la virulence. L'écossais Swinton, stipendié de police, et le
royaliste Moranda qui avait dû, publiquement, se reconnaître « infâme »,
lancèrent des libelles forcenés. Les Effets des assignats sur le prix du pain,
de Dupont de Nemours, la Criminelle Neckero-Logie, de Marat, excitèrent les
fureurs contre les affameurs, et des feuilles sinistres célébrèrent les
exécutions de Foulon et de Berthier. Ce furent ensuite les diatribes contre
Louis XVI et le pamphlet de Marat : C'en est fait de nous ! Contre les clubs se
déchaînèrent les attaques royalistes des Sabbats Jacobites, des Actes des
Apôtres, du Jean Bart ; contre le clergé, celles de tous les temps prirent une
violence nouvelle. Des pamphlets furent écrits contre Mirabeau, contre Bailly
et La Fayette après les massacres du Champ de Mars, contre Carrier. Celui-ci
fut particulièrement malmené par Babeuf. La terrible question du pain ne cessa
pas d'occuper l'opinion ; elle fournit matière aux pamphlets, si elle ne
nourrit pas le peuple. Et c'est elle, en définitive, qui était la grande
question de la Révolution ; elle faisait se recreuser entre les classes
sociales le fossé qui semblait avoir été comblé par la démolition de la Bastille.
Ce ne furent pas les déclamations des « buveurs de sang » qui firent la Terreur
; ce fut la misère du peuple, ce peuple qui eut voulu garder sa confiance dans
« le boulanger, la boulangère et le petit mitron », et qui la garde toujours
pour les endormeurs, royalistes ou démocrates. Ce fut le Père Duchesne, sous
ses différents aspects, qui refléta le mieux la colère populaire jusqu'à l'exécution
d'Hébert, en 1794. Hébert lui avait donné sa formule la plus caractéristique.
Le Consulat et l'Empire firent taire les pamphlétai écrivains mal pensants,
exilés, emprisonnés, déportés ou fusillés, ainsi que leurs éditeurs. Bonaparte
ne tolérait autour de lui que des flagorneurs. Le pamphlet revint avec une
liberté relative de la presse sous la Restauration. Chateaubriand le ressuscita
avec une certaine grandeur ; il avait combattu Napoléon, il observa la décence
en se réjouissant de sa chute. Ceux qui furent sans décence furent les gens de
presse et de poubelle qui avaient vécu en parasites de l'Empire, avaient été
ses plus plats valets jusqu'au 31 mars 1815 ; ils se mirent à l'injurier à
partir du 1er avril pour recommencer leurs flagorneries pendant les Cent Jours
et se replonger enfin dans leur ordure injurieuse après Waterloo. Et cette
tourbe infâme prétendait parler au nom des « honnêtes gens »... comme
aujourd'hui ! Chateaubriand réussit moins auprès du pouvoir avec ses pamphlets,
quand il s'opposa à l'ultra-royalisme. Sa Monarchie selon la charte le fit
rayer du nombre des ministres. Un Martainville inaugura en ce temps-là, contre
les libéraux, les arguments qui n'ont pas cessé d'être répétés depuis, si
éculés qu'ils soient devenus, par tous les partis contre ceux qui les
devançaient, les appelant « partageux » qui veulent « les nez étant égaux, se
moucher tous dans le même mouchoir ». Pour Martainville et la séquelle des «
bien pensants » d'alors, le libéralisme était « la religion des gens qui
fréquentent les galères ». Les libéraux devenus « bien pensants » en ont dit
autant des républicains, puis ceux-ci des socialistes, et ces derniers des
anarchistes et des bolchevistes. En 1820, « l'homme au couteau entre les dents»
s'appelait Thiers ; aujourd'hui il s'appelle Staline. Une brillante pléiade de
pamphlétaires travaillèrent à l'avancement du libéralisme de plus en plus
influencé par les idées républicaines et socialistes. Les pamphlets de P.-L.
Courier sont demeurés les modèles du genre dans l'esprit comme dans la forme ;
il paya de sa vie l'audace de sa plume. Béranger, qui donna au pamphlet la
forme de la chanson, connut la prison. Les Iambes, de Barbier, la Némésis, de
Barthélémy et Méry, furent écrites en vers vigoureux. Sous Louis Philippe, de
Cormenin illustra le pamphlet politique, mais plus par sa vigueur et sa verve
que par son style. Ses pièces anti-cléricales, Oui et Non (1845) et Feu ! Feu !
(1846), de même que ses Avis aux contribuables et son Livre des orateurs,
celui-ci publié sous le pseudonyme de Timon, eurent un succès considérable
auquel répondirent les plus vives attaques. Elles venaient des deux côtés,
légitimistes et libéraux, et Cormenin pouvait dire : « J'ai été l'homme le plus
honni, le plus calomnié, le plus menacé, le plus biographié, le plus déchiré,
le plus défiguré, le plus flétri, le plus sali, le plus souillé de boue de la
tête aux pieds... Au fond, j'ai tout lieu d'être satisfait. Lorsqu'un de mes
pamphlets ne m'attire que peu d'injures, je ne suis pas content de moi et je me
dis : « C'est ma faute ! J'aurai mal attaqué cet abus là ! J'aurai mal défendu
cette liberté-là ! » Claude Tillier donna au pamphlet un accent plus populaire
et défendit les idées généreusement révolutionnaires contre le libéralisme
bourgeoisement opportuniste. Il fut en même temps un remarquable écrivain,
profondément pénétré des sentiments du peuple et en possédant la sensibilité si
incomprise, raillée et meurtrie. Il possédait aussi, comme Félix Pyat l'a dit,
l'esprit de Voltaire et de Diderot. On était à la veille de 1848. Le peuple
avait encore des illusions sur les dispositions de la bourgeoisie, malgré les
répressions anti-ouvrières. Les journées de juin 1848 et celles de décembre
1851 ne lui avaient pas encore ouvert les yeux. Alphonse Karr fit de ses Guêpes
de véritables pamphlets ; il ramena ainsi le genre au pamphlet-jour satirique
souvent profond, dépassant le pamphlet mais respectueux, malgré ce, de «
l'ordre ». Il disait : « Que les assassins commencent », ne voyant pas que les
assassins sont faits par la société et qu'elle devrait « commencer » avant eux.
Il définissait ainsi sa satire : « Consultant à la fois la nature de mon esprit
et la nature des choses et des gens que j'atta sont des outres gonflées de
vent, - j'ai divisé et changé mon glaive en une multitude d'épingles ;
quelquefois une seule piqûre suffit pour crever et aplatir l'ennemi ; alors je
l'abandonne et n'en parle plus ; mais d'autres ont la peau plus épaisse et,
d'épingle en épingle, il faut que le glaive y passe tout entier. » La
Révolution de 1848 fut l'occasion de nombreux pamphlets, puis le Coup d'Etat
inspira à V. Hugo son Napoléon le Petit en attendant les Châtiments. Le II e
Empire ne vit guère de pamphlets, jusqu'à Rochefort et sa Lanterne qui reprit
le genre des Guêpes avec plus de virulence. Sous la III e République, le
pamphlet s'est de plus en plus confondu avec l'article de journal. Vallès fut
un ardent pamphlétaire, puis Tailhade. Tous deux connurent la prison et la
misère. En Allemagne, Maximilien Harden fut un pamphlétaire de premier ordre.
Nous retrouverons le pamphlet dans l'étude de la satire, manifestation plus
générale, et de tous les temps, de l'esprit de liberté contre toutes les formes
de l'oppression. –
Edouard ROTHEN.
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