La Papauté incarne, dans le
monde actuel, le principe d'autorité sous sa forme la plus tyrannique. Pour ce
motif, tous les hommes de progrès devraient unir leurs efforts pour la
combattre.
Les Papes ont toujours
revendiqué, comme nous le montrerons, la direction spirituelle la plus large de
la société, sachant bien que, lorsqu'on gouverne les cerveaux et les cœurs, on
est également le maître des volontés et des corps.
Il y a trois ans, répondant
indirectement à Mussolini dans une lettre qu'il adressait à son cardinal
Gaspari, le pape Pie XI écrivait :
« Dire du Saint Siège qu'il
est l'organe suprême de l'Église catholique universelle, et qu'il est, par
suite, le légitime représentant de l'organisation de l'Église en Italie, c'est
une formule qui ne peut être admise que dans le sens où l'on dirait que la tête
est l'organe suprême du corps humain ... C'est toujours le Souverain Pontife
qui intervient et qui traite dans la plénitude de la souveraineté de l'Église
catholique : pour parler exactement, il ne représente pas cette souveraineté,
il la personnifie ; et il l'exerce en vertu d'un direct mandat divin … »
(Croix. 11-629.)
Le Pape ne représente pas la
souveraineté catholique ; il la possède, il l'incarne. Il ne parle au nom de
personne. Il ne doit rendre de comptes qu'à Dieu seul. Tel est le sens de cette
déclaration, qui a du moins le mérite de la franchise.
A notre époque de « liberté
» et de « démocratie », un langage aussi surprenant semble ne révolter personne
; il recueille, au contraire, l'approbation pleine et entière des millions de
catholiques répandus dans le monde.
On lit dans la Semaine
religieuse du diocèse de Mende :
« Le Pape a parlé, nous
devons obéir sans discuter ses ordres, quand même nous n'en comprendrions pas
les raisons. Ses décisions valent indépendamment des raisons qui les appuient.
Vouloir n'accepter que les ordres dont les raisons nous agréent, ce serait s'ériger
en juge du Pape, ne vouloir obéir en définitive qu'à soimême. »
Dans son numéro du 16 mai
1927, La Croix déclarait : «.... Dieu, dont le Pape est ici-bas le vicaire,
dont il est le vice-Dieu ... »
L'Ami du Clergé (18-6-25),
revêtu de l'Imprimatur du diocèse de Langres, imprime également que : « Le
Pape, c'est donc Jésus-Christ demeuré visible parmi nous. Si vous voulez voir
Jésus-Christ, allez à Rome, allez voir N. S. Père le Pape Pie XI ».
Le Pape est ainsi identifié
à Dieu.
Rien d'étonnant, dans ces
conditions, qu'il ait le droit de commander aux hommes : « Il n'y a qu'une
seule autorité sereine et juste : c'est l'autorité du Pape, l'autorité de
l'Église ... Si elle jouissait de son plein essor, si elle était écoutée, il
n'y aurait plus de question sociale, de haines nationales et de révolutions. »
(Id.)
Pendant plusieurs siècles,
l'autorité des Papes a prévalu et non seulement la fraternité n'a pas triomphé,
mais les Pontifes ont fait régner sur les hommes la tyrannie la plus odieuse.
Il faut un certain cynisme,
par conséquent, pour soutenir une thèse semblable. Mais le cynisme ne manque
pas aux gens d'Église ; nous aurons plus d'une fois l'occasion de le constater.
L'Union Catholique de
l'Hérault, dans son numéro du 14 avril 1929, affirme : « Le Pape ... qu'il se
nomme Benoît ou Léon, Grégoire ou Pie, c'est le Chef, le Pasteur, le Christ
continué ».
Saint François de Sales n'avait-il
pas dit : « Les seules idées chrétiennes sont les idées romaines. Jésus Christ
et le Pape, c'est tout un ». (Cité par La Croix. 18-129.)
Toujours la même tendance de
faire du Pape un Dieu.
Aussi Mgr Durand, évêque
d'Oran, peut-il écrire (dans son mandement contre l'Action Française) :
« Quand le Souverain Pontife
intervient dans une affaire de prime abord temporelle et donne des directions
impératives, il ne faut pas voir qu'un conseil, mais bien un ordre à exécuter
ponctuellement, parce qu'il traite alors cette affaire temporelle non pas du
côté strictement temporel, mais bien du côté spirituel qu'elle implique,
complètement sous sa juridiction dont il ne doit rendre compte qu'à Dieu ...
Enfin, il est de foi
catholique, proclamée par le Concile du Vatican, que la juridiction du
Souverain Pontife s'étend sans aucune restriction à tout le spirituel, où qu'il
se trouve. Il s'ensuit qu'il peut intervenir dans les affaires temporelles en
proportion de la part spirituelle qu'elles contiennent. En le niant, l'Action
Française se met donc, par voie de conséquence, en opposition avec le Concile
du Vatican dont nous avons cité les deux anathèmes ; elle est encore à ce titre
suspecte d'hérésie, haereticatis. »
Ce distinguo entre le
temporel et le spirituel est assez subtil, mais, en dernier ressort, le Pape
revendique le droit de les gouverner tous les deux. C'est ce qui ressort du
texte de Mgr Durand. C'est également ce qui découle des multiples déclarations
de l'épiscopat et des théologiens.
Le R. P. de La Brière
(Jésuite) écrivait dernièrement que la politique n'est qu'une branche de la
morale et comme le Pape est tout puissant et infaillible en matière de morale,
il a par conséquent le droit d'intervenir dans le domaine de la politique.
(D'autre part, le Syllabus déclare que les sciences et la philosophie doivent
être soumises à l'autorité de l'Église.)
Rien n'échapperait donc à la
juridiction du Pape et il serait le maître de la société.
Le Cardinal Andrieu,
archevêque de Bordeaux, est allé plus loin encore : il a mis le Pape au-dessus
du Christ !
Je n'invente rien. Dans son
mandement publié pour le Carême 1929, on peut
lire :
« Écoutez saint Fulgence et
avec lui saint Cyprien, saint Augustin et tant d'autres : « Croyez fermement et
sans hésitation qu'aucun hérétique ou schismatique ne peut être sauvé, s'il
n'est pas en communion avec l'Église et le Pape, quelques aumônes qu'il ait pu
faire pendant sa vie, alors même qu'il aurait répandu son sang pour le nom de
Jésus-Christ. »
Rien ne sert de faire le
bien et de pratiquer la vertu, ni même de se sacrifier à Dieu. Avant tout il
faut obéir au Pape.
Cette doctrine fait du Pape
le vrai Dieu, car l'autre n'est guère encombrant.
Le moine Auguste Triomphus,
dont la Somme fut publiée à Rome en 1584 (cette Somme avait été écrite sur
l'ordre du Pape Jean XXII lui-même) prétendait que le Pape pourrait délivrer
d'un seul coup, s'il le désirait (mais il n'y a pas intérêt, bien au contraire
!) toutes les âmes du Purgatoire. « La puissance du Pape est si grande que le
Pape lui-même n'en peut connaître la limite. »
Léon XIII, qu'on représente
comme un pape libéral, a dit formellement :
« Puisque la fin à laquelle
tend l'Église est de beaucoup la plus noble de toutes, son pouvoir aussi
l'emporte sur tous les autres. »
Le Pape revendique donc tout
le pouvoir. Il est bien loin de se cantonner dans une mission purement «
spirituelle ».
N'a-t-il pas toujours
réclamé le droit de vie et de mort sur les fidèles ? En 1862, le célèbre journaliste
catholique Veuillot n'écrivait-il pas :
« Il se rencontre des hommes
qui se scandalisent de voir aux mains du Père des fidèles le droit de vie et de
mort. Ces mêmes hommes, toutefois, ne songent pas à contester au Pape le droit
de lier et de délier les consciences, de retenir ou de remettre les péchés,
d'ouvrir le ciel ou de le fermer. Pourquoi celui qui peut plus ne peut pas
moins ? Pourquoi celui qui a reçu de Dieu le droit de vie et de mort éternelles
ne pourrait-il pas recevoir aussi ce qui est infiniment moins, le droit de vie
et de mort temporelles ? »
En 1851, le pape Pie IX
avait censuré le canoniste Nuytz (de Turin) qui ne voulait accorder à l'Église
qu'un pouvoir pénal spirituel et non temporel. (Lacordaire, Montalembert, etc
... , furent blâmés pour le même motif.)
En créant le féroce tribunal
de l'Inquisition, en obligeant les rois (sous les menaces les plus effroyables)
à exterminer les hérétiques, les Papes ont montré qu'ils entendaient soumettre
l'humanité tout entière à leur ambition.
Pour acquérir et pour
conserver cette puissance exorbitante, la Papauté n'a pas reculé devant le
choix des moyens. Elle a imposé à ses fidèles une obéissance absolue et
dégradante ; elle est allée jusqu'à se proclamer infaillible.
Le Cardinal Maurin, archevêque
de Lyon, proclamait (Carême 1929) :
« Le privilège de
l'Infaillibilité a été conféré à l'Église par le Christ. En vertu de cette
prérogative, il est alors absolument impossible que le Pape se trompe. C'est
une vérité de foi définie par le même Concile du Vatican et l'on ne pourrait la
nier sans tomber dans l'hérésie et se séparer de l'Église. »
(Remarquons en passant que
le Christ n'a rien conféré à l'Église et que les Évangiles ne disent pas un mot
de tout cela, même en torturant les textes.)
Mgr Maurin citait ensuite
des paroles du Pape Pie X lui-même, prononcées en 1910 :
« Quand on aime le Pape, on
ne s'arrête pas à discuter sur ce qu'il conseille ou exige, à chercher jusqu'où
va le devoir rigoureux de l'obéissance et à marquer la limite de cette obligation.
Quand on aime le Pape, on n'objecte pas qu'il n'a pas parlé assez clairement,
comme s'il était obligé de redire à l'oreille de chacun sa volonté clairement
exprimée tant de fois, non seulement de vive voix, mais par des lettres et
d'autres documents publics ; on ne met pas en doute ses ordres, sous le futile
prétexte, pour qui ne veut pas obéir, qu'ils n'émanent pas effectivement de
lui, mais de son entourage. On ne limite pas le champ où il peut et doit
exercer sa volonté ; on n'oppose pas à l'autorité du Pape celle d'autres
personnes, si doctes soient-elles, qui diffèrent d'avis avec le Pape. » Peut-on
imaginer langage plus orgueilleux de la part d'un potentat quelconque ?
Ignace de Loyola, fondateur
de la Compagnie de Jésus, grand apôtre de l'obéissance (pour les autres), avait
été jusqu'à dire que « si le pape décide que le blanc est noir, nous devons
dire avec lui : c'est noir ! » (Exercices spirituels, édition de 1644, p. 290.)
Certains lecteurs penseront
peut-être que les choses ont évolué depuis Loyola et que l'Église est moins
exigeante aujourd'hui ?
Je les renvoie à nouveau au
Cardinal Andrieu, archevêque de Bordeaux. Combattant l'Action Française, il
définit la puissance du pape de la façon suivante :
« En faisant écho à ce refus
d'obéissance, sous prétexte que le Pape était sorti de son domaine, les
catholiques de l'Action Française adhérèrent à trois hérésies formelles : à
l'hérésie qui conteste au Pape le droit de fixer lui-même les limites de sa
compétence ; à l'hérésie qui conteste au Pape les pouvoirs de juridiction
plénière tels que le Concile du Vatican les a définis ; à l'hérésie qui
conteste au Pape le droit de décider souverainement et sans recours possible,
même au Concile œcuménique. »
Le même cardinal publiait,
le 31 juillet 1929, une lettre pour féliciter un royaliste d'avoir rompu avec
l'Action Française pour faire sa soumission à l'Église. Et il signait sa lettre
: « Bordeaux, le 31 Juillet 1929, en la fête de saint Ignace, le fondateur
d'une illustre milice suscitée de Dieu en vue de combattre par l'obéissance au
Pape, perinde ac cadaver, l'esprit de révolte contre le Pape, que Luther avait
soufflé dans toute l'Europe avec son « Libre Examen » (La Croix, 8 août 1929.)
Ces quelques lignes
suffisent à montrer que la mentalité cléricale n'a pas varié.
Toujours la haine de Luther
et le mépris du libre examen. Toujours l'obéissance au Pape, perinde ac cadaver
(comme un cadavre). Toujours le même souci de fouler aux pieds l'individu et
d'en faire un automate.
En juin 1929, un pèlerinage
français a été conduit à Rome par le général de Castelnau, qui a donné dans son
bulletin, Le Point de Direction, le compte rendu de la cérémonie, qui s'est
déroulée d'ailleurs selon les traditions courantes. Les pèlerins se sont tous
agenouillés et le Pape a traversé leurs rangs en leur donnant son anneau à
baiser. Lorsqu'il fut installé sur son trône, Castelnau, toujours agenouillé,
prit la parole pour l'assurer « de notre soumission sans réserve », «
humblement prosternés aux pieds de Votre Sainteté », etc, etc... Semblable
platitude n'est assurément plus de notre époque, mais il faut convenir qu'elle
est la conséquence logique des croyances catholiques en l'infaillibilité et la
pseudo-divinité du Pape.
Il me serait facile de multiplier
les preuves de ce genre, pour montrer combien grande est la tyrannie papale -
et combien grande la servilité des croyants catholiques. Il me semble plus
intéressant de rechercher les conditions dans lesquelles un despotisme aussi
monstrueux a pu naître et se développer.
ORIGINE DE LA PAPAUTÉ. -
S'il fallait en croire les catholiques, la Papauté aurait une origine
surnaturelle et divine. Son fondateur serait le Christ en personne, sous
prétexte qu'il aurait dit à son disciple Pierre (qui devait le trahir si
lâchement) : « Tu es Pierre et sur cette pierre je bâtirai mon Église ». La
prétendue divinité de l'Église ne repose donc que sur un mauvais calembour ; il
ne faut pas être très exigeant pour se contenter de cette « preuve ».
Ajoutons qu'on ne sait pas
grand chose sur saint Pierre, premier pape et fondateur de l'Église. L'histoire
de son supplice est déclarée apocryphe par des historiens très compétents.
Certains autres sont allés jusqu'à nier même son existence. En tout cas, il n'a
jamais mis les pieds à Rome et n'a pu en être l'évêque, par conséquent.
Les débuts du christianisme
sont entourés d'une grande obscurité et les documents sérieux sont très rares,
ce qui n'empêche pas l'Église d'être très affirmative. Ainsi Pie XI, dans sa
lettre du 11 juin 1929 au Cardinal Gasparri, assurait que « l'universalité se
rencontre déjà de droit et de fait aux premiers débuts de l'Église et de la
prédication apostolique ».
Or, ceci est absolument
faux, il a fallu plusieurs siècles pour que la Papauté fût constituée. Il a
fallu bien des luttes et bien des intrigues, il a fallu surtout du
machiavélisme, du mensonge et nombre de faux documents, pour que l'évêque de
Rome prenne le pas sur les autres évêques et leur impose son autorité.
« Les métropolitains sont
restés, au moins jusque dans le IXème siècle, en possession d'instituer les
évêques de leur province, sans intervention du Pape, dont ils avaient pourtant
accepté depuis longtemps l'autorité sur eux-mêmes. » (Abbé de Meissas.) Même
lorsqu'ils eurent accepté l'autorité du pape, les évêques et archevêques
métropolitains restèrent donc les maîtres dans leurs diocèses ; l'autorité du
Pape fut, au début, purement nominale, honorifique. On s'effaçait devant
l'évêque de Rome (comme devant celui de Constantinople) parce qu'il
représentait une capitale importante, dont la renommée était considérable.
L'idée de primauté s'attachait à la ville et non à la personnalité de l'évêque.
Les évêques de Rome
eux-mêmes étaient bien éloignés de manifester à ce moment de grandes ambitions
; ils n'avaient pas la moindre idée de l'omnipotence qui serait revendiquée par
leurs successeurs.
Au sein des premiers groupes
chrétiens, il n'y avait pas de hiérarchie. La fraternité régnait de la façon la
plus complète, car on attendait la fin du monde, que Jésus (il s'est trompé sur
ce point comme sur beaucoup d'autres !) avait prédite comme imminente (Dogme de
la Parousie). Dans cette attente, les disciples du Christ mettaient en commun
tout ce qu'ils possédaient et vivaient sur le pied d'une parfaite égalité.
Prêtres, évêques et simples fidèles ne se distinguaient aucunement les uns des
autres, ni par le costume, ni par l'autorité. Les premiers évêques de Rome
n'ont donc laissé aucun souvenir historique tangible et sérieux, ce qui n'a pas
empêché l'Église de les canoniser. De tous les premiers Papes des cinq premiers
siècles sans exception, dont on ne sait rien, ou presque rien, elle a fait des
saints, en effet ; probablement pour donner à leur personnalité un semblant de
réalité.
Mgr Duchesne, dans son
ouvrage très érudit sur l'histoire de la Papauté, a supprimé une dizaine de
papes que l'Église (infaillible pourtant !) avait toujours considérés comme
authentiques. Il a bien fallu s'incliner, en maugréant, devant l'érudition du
savant Mgr Duchesne et l'annuaire officiel du Vatican, dès 1905, adopta la
chronologie remaniée. (La Vérité sur le Vatican, par V. Charbonnel). C'est ainsi
que le pape Pie XI, qui devrait être le 266ème successeur de saint Pierre, est
devenu le 260ème.
Charbonnel avait fait des
découvertes assez amusantes. Parmi les papes supprimés (et qui n'ont jamais
existé), se trouve saint Anaclet. On l'a biffé de la liste des papes, mais il
continue à figurer, en qualité de saint, sur le calendrier entouré d'ailleurs
de beaucoup d'autres « saints » forgés de toutes pièces par les exploiteurs de
belles légendes.
Ces exemples montrent qu'il
ne faut accorder aucun crédit aux affirmations « historiques » de l'Église.
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