« Quel magnifique progrès depuis 1864, depuis 1871, date de la dernière guerre en Europe occidentale ! A cette époque, une guerre entre deux nations capitalistes avait été la cause de la consolidation d’un peuple qui voulait devenir un Etat. Petit début de ce qui allait devenir l’Allemagne. Et alors, en conséquence, seuls quelques ouvriers s’y opposèrent individuellement. Maintenant, il s’agit d’un heurt mondial des peuples unis et compacts de tous les pays, exceptée l’Amérique, pour la domination du monde, afin que le capital s’engage dans sa dernière marche triomphale sur la terre et en faveur de la consolidation du capital mondial. Et face à ces puissantes forces, des millions et des millions d’ouvriers unis auraient dû se défendre contre le capital qui les avait opprimés pour son propre compte avec des charges infinies et qui maintenant tentait de se servir d’eux comme chair à canons ; contre le capital qui, au moyen d’un armement dément et sauvage et avec une guerre aveugle et aux conséquences incommensurables, les exposaient maintenant à de nouvelles armes, à de nouvelles guerres et les menaçait donc de ruine. Qu’y a-t-il de plus simples, de plus claires qu’une protestation et qu’une action unifiée ne reculant devant aucun moyen de la part des ouvriers contre le danger de tous les Etats ? De tous et de chacun. Quelle chose aurait été plus simple ? Quelle action aurait été plus naturelle, quel acte aurait été plus splendide dans ses conséquences pour la propagande, l’organisation et la révolution, quelle action aurait pu davantage illuminer les masses jusque dans les coins les plus obscurs et les plus éloignés qu’une lutte unique dans tous les pays, menée de la même façon par tous les membres de l’Internationale contre cette guerre ? Comme il aurait été clair, important et attirant pour tous les ouvriers et même pour une partie de la petite-bourgeoisie et de la classe moyenne qu’il se fût tenu dans tous les parlements le même langage et que dans tous les pays se fussent accomplies les mêmes actions Et encore une fois : Quoi de plus simple, de plus clair et de plus en cohérence avec la réalité des faits et des conditions matérielles ? Le travail du monde entier pour la première fois face au capital mondial. C’est ce qui aurait dû se passer pensait-on. Mais le cours des événements fut tout autre. Au lieu de la lutte contre le capital, on eut la soumission au capital et la coopération avec le capital ; au lieu de l’unité des ouvriers, on eut la division des ouvriers en autant de parties qu’il y a de nations ; au lieu de l’internationalisme ce fut le nationalisme et le chauvinisme. Seuls les socialistes serbes votèrent au parlement contre la guerre, les socialistes russes s’abstinrent de voter en quittant l’assemblée [A la Douma, il s’agit de la forme la plus violente de protestation ; plus encore que de voter contre les crédits de guerre.]. En Allemagne, les socialistes ont accordé des milliards au gouvernement, en AutricheHongrie ils ont approuvé la guerre. En France et en Belgique, ils sont entrés dans les ministères bourgeois pour faire la guerre. En Angleterre, le parti ouvrier a conseillé de s’engager dans l’armée. En Suède, en Norvège, au Danemark, en Suisse et aux Pays-Bas, les socialistes ont accordé des crédits de guerre pour la mobilisation, pour le maintien de la neutralité, c’est-à-dire des crédits pour la guerre, pour la guerre impérialiste [En Italie, la chambre n’a pas été convoquée. Les socialistes italiens s’opposèrent magnifiquement à la guerre.]. Dans presque tous les pays, donc, au contraire d’une lutte contre la bourgeoisie, ce ne fut que coopération avec la bourgeoisie. Un bon connaisseur de la social-démocratie internationale aurait cependant pu prévoir tout ceci depuis longtemps. Le congrès de Stuttgart fut le dernier où l’on prit sérieusement position contre l’impérialisme. A Copenhague, on commença à fléchir et à Bâle ce fut la débandade. Il apparaissait que la social-démocratie devenait d’autant plus peureuse que l’impérialisme se renforçait, que le danger de guerre se faisait grand et proche. A Bâle, on fit encore jouer la fanfare ; mais dans les phrases vides de Jaurès, dans les vaines menaces de Keir Hardie, dans les vils sanglots de Victor Adler sur la ruine de la culture, dans les paroles molles et insignifiantes de Haase, dans les vaines fanfaronnades du congrès lui-même on percevait déjà l’impuissance et la répugnance, l’aversion envers toute action. Pire encore : déjà alors on affirmait l’intention de marcher avec la bourgeoisie [Greulich déclara en effet au congrès que les Suisses marcheraient certainement à la frontière en cas de guerre. Renner déclara la même chose peu après au Reichsrat. Troelstra l’avait déjà promis de nombreuses fois aux Pays-Bas et après le congrès il réaffirma encore cette concession.]. La bourgeoisie, qui, exercée par sa propre putréfaction, a un odorat très développé pour sentir la pourriture morale, a immédiatement senti l’odeur de pourriture qui émanait de ce congrès et de l’Internationale. Elle comprit que d’un tel congrès il n’y avait rien à craindre. Elle mit la cathédrale de Bâle à notre disposition. Et quel lieu aurait été plus adapté à l’hypocrisie de la social-démocratie et à un congrès qui disait une chose et en pensait une autre qu’une église, dans laquelle depuis des siècles et des siècles était proclamée, jour après jour, l’hypocrisie chrétienne.»
"Tout abandon de principes aboutit forcément à une défaite" Elisée Reclus "Le dialogue, c'est la Mort" L'injure sociale
lundi 30 novembre 2020
Œuvres 2 de Rosa Luxemburg
« Alors que la haine de classe contre le prolétariat et
la menace immédiate de révolution sociale qu'il représente détermine
intégralement les faits et gestes des classes bourgeoises, leur programme de
paix et leur politique à venir, que fait le prolétariat international ?
Totalement sourd aux leçons de la révolution russe, oubliant l'abc du
socialisme, il cherche à faire aboutir le même programme de paix que la
bourgeoisie et le préconise comme son programme propre ! Vive Wilson et la
Société des Nations Vive l'autodétermination nationale et le désarmement Voilà
maintenant la bannière à laquelle se rallient soudain les socialistes de tous
les pays - et avec eux les gouvernements impérialistes de l'Entente, les partis
les plus réactionnaires, les socialistes gouvernementaux arrivistes, les socialistes
oppositionnels du marais « fidèles aux principes », les pacifistes bourgeois,
les utopistes petits-bourgeois, les États nationalistes parvenus, les
impérialistes allemands en faillite, le pape, les bourreaux finlandais du
prolétariat révolutionnaire, les mercenaires ukrainiens du militarisme
allemand.
En Pologne, les Daszynski 1 sont intimement liés aux
hobereaux de Galicie et à la grande bourgeoisie de Varsovie ; en Autriche
allemande, les Adler, Renner, Otto Bauer et Julius Deutsch 2 vont main dans la
main avec les chrétiens sociaux, les agrariens et les nationaux allemands ; en
Bohème, les Soukup et Nemec 1 forment un bloc compact avec tous les partis
bourgeois - quelle émouvante réconciliation générale des classes! Et au-dessus
de toute cette ivresse nationale, flotte la bannière internationale de la paix.
Partout. les socialistes tirent les marrons du feu pour la bourgeoisie ; par
leur crédit et leur idéologie, ils aident à couvrir la déroute morale de la
société bourgeoise, ils l'aident à s'en sauver, à restaurer et à consolider
l'hégémonie bourgeoise de classe.
Et la première consécration pratique de cette politique bien
huilée, c'est l'écrasement de la révolution russe et le morcellement (?) de la
Russie. »
« Seules les classes dirigeantes en ont bien sûr
d'abord pris conscience. Avec la violence d'un choc électrique, les journées de
juin ont inoculé instantanément à la bourgeoisie de tous les pays la conscience
d'un antagonisme de classe irréconciliable avec la classe ouvrière, elles ont
empli les cœurs d'une haine mortelle du prolétariat, alors que les ouvriers de
tous les pays ont mis des années à tirer les leçons des journées de juin, à
acquérir la conscience de l'antagonisme de classe ; la même chose se reproduit
à l'heure actuelle ; la révolution russe a communiqué à toutes les classes
possédantes de tous les pays du monde, la panique, la haine farouche,
fulminante, effrénée du spectre menaçant de la dictature politique, une haine
qui ne peut se mesurer qu'aux sentiments de la bourgeoisie parisienne pendant
les massacres de juin et le carnage de la Commune. Le « bolchevisme » est
devenu le mot clé du socialisme révolutionnaire pratique, des aspirations de la
classe ouvrière à la prise du pouvoir. Le mérite historique du bolchevisme est
d'avoir ouvert brutalement le fossé social au sein de la société bourgeoise,
d'avoir approfondi et exacerbé à l'échelle internationale l'antagonisme de
classe ; et, comme dans tous les grands contextes historiques, cette oeuvre
fait disparaître sans rémission toutes les erreurs et toutes les fautes
particulières du bolchevisme 1. »
« C'est la même idée fondamentale qui domine l'ensemble
du programme démocratique de paix de Wilson. Dans l'atmosphère d'ivresse
victorieuse de l'impérialisme anglo-américain, dans l'atmosphère créée par le
spectre menaçant du bolchevisme qui hante la scène mondiale, la « Société des
Nations » ne peut être qu'une seule chose : une alliance bourgeoise mondiale
pour la répression du prolétariat. La Russie bolchevique sera la première
victime toute chaude que sacrifiera le grand prêtre Wilson à la tête de ses
augures de l'arche d'alliance de la « Société des Nations » ; les « nations
autodéterminées », victorieuses et vaincues, se précipiteront sur elle. »
samedi 28 novembre 2020
Textes Marx-Engels
"Les chrétiens habitent dans des Etats aux constitutions
différentes, les uns en république, d’autres dans une monarchie absolue. Le
christianisme ne décide pas dans quelle mesure les constitutions sont bonnes,
car il ne connaît pas de différence entre les constitutions ; il enseigne,
comme la religion doit le faire : soyez soumis à l’autorité, car toute autorité
émane de Dieu. Ce n’est donc pas en partant du christianisme, mais de la nature
propre, de l’essence de l’Etat que vous devez décider si les constitutions sont
justes, non à partir de la nature de la société chrétienne, mais de la nature
de la société humaine. L’Etat byzantin a été l’Etat religieux par excellence,
car les dogmes y étaient affaires d’Etat, mais l’Etat byzantin a été le plus
mauvais des Etats. Les Etats de l’ancien régime ont été les Etat les plus
chrétiens, mais ils n’en ont pas moins été les Etats où régnait « le bon
plaisir de la cour ».
"Ou bien l’Etat chrétien répond au concept de l’Etat, qui est
d’être une réalisation de la liberté selon la raison, et alors la seule
exigence pour qu’un Etat soit chrétien est qu’il soit rationnel, et alors il
suffit de déduire l’Etat du caractère rationnel des rapports humains, c’est à
quoi s’emploie la philosophie. Ou bien l’Etat de la liberté selon la raison ne
peut être déduit du christianisme et alors vous conviendrez vous-même que ce
développement n’est pas inclus dans la tendance du christianisme puisque
celui-ci ne peut vouloir un Etat mauvais et qu’un Etat qui n’est pas une
réalisation de la liberté selon la raison, est un Etat mauvais."
mardi 24 novembre 2020
1984 de Georges Orwell
« La onzième édition est l’édition définitive, dit-il. Nous donnons au novlangue sa forme finale, celle qu’il aura quand personne ne parlera plus une autre langue. Quand nous aurons terminé, les gens comme vous devront le réapprendre entièrement. Vous croyez, n’est-ce pas, que notre travail principal est d’inventer des mots nouveaux ? Pas du tout ! Nous détruisons chaque jour des mots, des vingtaines de mots, des centaines de mots. Nous taillons le langage jusqu’à l’os. La onzième édition ne renfermera pas un seul mot qui puisse vieillir avant l’année 2050. »
« Ils
ne se révolteront que lorsqu’ils seront devenus conscients et ils ne pourront
devenir conscients qu’après s’être révoltés. »
« Mais
en même temps que ces déclarations, en vertu des principes de la double-pensée,
le Parti enseignait que les prolétaires étaient des inférieurs naturels, qui
devaient être tenus en état de dépendance, comme les animaux, par l’application
de quelques règles simples. En réalité, on savait peu de chose des prolétaires.
Il n’était pas nécessaire d’en savoir beaucoup. Aussi longtemps qu’ils
continueraient à travailler et à engendrer, leurs autres activités seraient
sans importance. Laissés à eux-mêmes, comme le bétail lâché dans les plaines de
l’Argentine, ils étaient revenus à un style de vie qui leur paraissait naturel,
selon une sorte de canon ancestral. Ils naissaient, ils poussaient dans la rue,
ils allaient au travail à partir de douze ans. Ils traversaient une brève
période de beauté florissante et de désir, ils se mariaient à vingt ans,
étaient en pleine maturité à trente et mouraient, pour la plupart, à soixante
ans. Le travail physique épuisant, le souci de la maison et des enfants, les
querelles mesquines entre voisins, les films, le football, la bière et,
surtout, le jeu, formaient tout leur horizon et comblaient leurs esprits. Les
garder sous contrôle n’était pas difficile. Quelques agents de la Police de la
Pensée circulaient constamment parmi eux, répandaient de fausses rumeurs,
notaient et éliminaient les quelques individus qui étaient susceptibles de
devenir dangereux.
On
n’essayait pourtant pas de les endoctriner avec l’idéologie du Parti. Il
n’était pas désirable que les prolétaires puissent avoir des sentiments
politiques profonds. Tout ce qu’on leur demandait, c’était un patriotisme
primitif auquel on pouvait faire appel chaque fois qu’il était nécessaire de
leur faire accepter plus d’heures de travail ou des rations plus réduites.
Ainsi, même quand ils se fâchaient, comme ils le faisaient parfois, leur
mécontentement ne menait nulle part car il n’était pas soutenu par des idées
générales. Ils ne pouvaient le concentrer que sur des griefs personnels et sans
importance. Les maux plus grands échappaient invariablement à leur attention. »
« L’idée
lui vint que la vraie caractéristique de la vie moderne était, non pas sa
cruauté, son insécurité, mais simplement son aspect nu, terne, soumis.
La
vie, quand on regardait autour de soi, n’offrait aucune ressemblance, non
seulement avec les mensonges qui s’écoulaient des télécrans, mais même avec
l’idéal que le Parti essayait de réaliser. D’importantes tranches de vie, même
pour un membre du Parti, étaient neutres et en dehors de la politique : peiner
à des travaux ennuyeux, se battre pour une place dans le métro, repriser des
chaussettes usées, mendier une tablette de saccharine, mettre de côté un bout
de cigarette. L’idéal fixé par le Parti était quelque chose d’énorme, de
terrible, de rayonnant, un monde d’acier et de béton, de machines monstrueuses
et d’armes terrifiantes, une nation de guerriers et de fanatiques qui
marchaient avec un ensemble parfait, pensaient les mêmes pensées, clamaient les
mêmes slogans, qui perpétuellement travaillaient, luttaient, triomphaient et
persécutaient, c’étaient trois cents millions d’êtres aux visages semblables. »
lundi 23 novembre 2020
BIBLIOTHÈQUE FAHRENHEIT 451
PETITE HISTOIRE DU GAZ LACRYMOGÈNE - Des tranchées de 1914 aux Gilets jaunes
Utilisé pendant le Printemps arabe, contre le mouvement Occupe, au Chili et dans le monde entier en 2011, le gaz lacrymogène a vu ses ventes tripler en 2011, tuant ou mutilant de centaines de personnes. Ce terme est utilisé pour désigner des composants chimiques, agents lacrymatoires conçus pour attaquer les sens simultanément, engendrant des traumatismes physiques et psychologiques :
- le CS, 2-chlorobenzylidène malonitrile,
- le CN, chloroacétophénone,
- le CR, dibenzoxazépine,
- le gaz poivre ou OC, oléorésine de capsicum.
« Ils peuvent provoquer un larmoiement excessif, des troubles de la vision, des éruptions cutanées et de l’urticaire, des écoulements nasaux, des brûlures de la peau, de la bouche et des narines, des difficultés à avaler, des hypersécrétions salivaires, des contractions pectorales, des quintes de toux, des sensations d’asphyxie, des troubles de la respiration, des nausées et des vomissements. Des liens ont été établis entre ces produits et des fausses couches ou des pathologie respiratoires chroniques. » Utilisé en milieu clos accroît considérablement le risque de blessures graves et de décès par inhalation, engendre des crises de panique. Les grenades qui le diffusent peuvent en outre provoquer de nombreuses blessures, tout comme leurs composants inflammables et leurs détonateurs. Le taux du gaz poivre sur l’échelle de Scoville, qui mesure le degré de pseudo-chaleur causée par les irritants, est supérieur de 1 300 000 unités à celui du plus fort des piments comestibles !
Si des armes chimiques rudimentaires avaient été utilisées dans des sociétés antiques et féodales, ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle que l’essor de la chimie moderne souleva des débats éthiques autour de leur usage en temps de guerre. Tandis que ses partisans arguaient que la chimie pouvait atténuer la souffrance des combattants, au contraire des autres armes, des restrictions, toutefois formulées en termes ambigus, furent fixées lors des conférences internationales de La Haye en 1899 puis 1907. Les gaz toxiques furent abondamment employés pendant la Première Guerre mondiale. Après guerre, les controverses eurent pour conséquence une catégorisation des gaz toxiques afin d’en prohiber certains et d’en autoriser d’autres, raisonnement qui allait permettre au gaz lacrymogène de suivre une trajectoire juridique différentes d’autres agents toxiques. Les intérêts commerciaux de l’industrie chimique, secteur en pleine expansion, fut également prise en considération.
Dans les années 1920, le général américain Amos Fries fut l’un des principaux artisans de la transformations de ces technologies militaires en outils du maintien de l’ordre social, grâce à une vaste campagne de relations publiques présentant le gaz lacrymogène comme une arme « sans danger », idéale pour réprimer les fauteurs de troubles en tout genre. Réfutant les témoignages d’anciens combattants, elles traita publiquement de « simulateurs » prétendant qu’ils ont été gazés pour réclamer des subsides de l’État ! « Cette approche, fondée sur le déni, demeura centrale dans l’entreprise de légitimation des armements à faible létalité qui se poursuivit dans les décennies suivantes. »
« Au lieu d’être considéré comme une forme de torture physique et psychologique, l’usage des gaz lacrymogènes allait désormais être admis par le plus grand nombre comme l’unique alternative humanitaire au tir à balles réelles. » Avec son réseau, il organisa également des démonstrations à grande échelle. L’emploi à l’intérieur des bâtiments été recommandé ainsi que le tir tendu à bout portant vers le visage. « Blesser grièvement des civils sans armes était un résultat intentionnel de la production de ces munitions. La “bavure“ était la norme. » À la fin des années 1920, la Lake Erie et les Federal Laboratories, acoquinés avec les forces de police locales, envoyaient leurs commerciaux dans les zone industrielles où les rapports sociaux étaient tendus. Avec la Grande Dépression des années 1930, l’usage du gaz lacrymogène se généralisa partout aux États-Unis pour étouffer la protestation sociale. Anna Feigenbaum présente les rapports des deux sous-commissions du Sénat désignées pour enquêter sur cette industrie, ainsi que nombre d’informations tirées des archives déclassifiées.
De la même façon, elle raconte comment le Royaume-Uni demeura longtemps hostile à l’utilisation des gaz lacrymogènes, y compris dans l’Empire britannique, par crainte de la désapprobation morale, alors même que les administrateurs coloniaux sollicitaient vigoureusement l’autorisation de leur usage, pour pouvoir réprimer les foules émeutières et éviter des massacres comme celui d’Amritsar, au Nord-Ouest de l’Inde, le 13 avril 1919. Des médecins furent enrôlés dans la campagne de légitimation du gaz lacrymogène, le présentant comme le résultat d’une recherche de l’équilibre entre dangers et bienfaits, à l’instar des médicaments. Retenus par des considérations éthiques, les gouvernements successifs s’obstinèrent à l’interdire, alors même qu’en Rhodésie du Nord des grèves frappaient l’industrie minière et que l’Afrique du Sud voisine en faisait un usage croissant. En décembre 1933, le haut-commissaire en Palestine mandataire reçu le feu vert officiel de faire usage de gaz de combat contre des populations civiles lorsque l’alternative serait d’ouvrir le feu, puis l’administration coloniale de Sierra Leone deux ans plus tard. À la fin de années 1930, le discours de prudence n’avait déjà plus cours, les consignes étant désormais de gazer d’emblée et copieusement les foules hostiles. Le gaz lacrymogène devint « l’arme humanitaire par excellence », étroitement lié à la capacité de l’Etat à refuser d’accorder les réformes réclamées par la société civile, « la technique répressive la plus fiable, non seulement pour conserver la maîtrise de la rue mais aussi pour saper, à dessein, les pratiques de désobéissance civile ». L’aveuglement à l’égard des dommages physiques provoqués par son utilisation atteignit son comble au milieu des années 1940, notamment avec les grenades n°92, utilisées contre les détenus de la prison centrale de Peshawar, dans l’actuel Pakistan, en blessant beaucoup, les intoxiquant tous, qui seront tout de même remplacée par les grenades n°95, à base de gaz CS, testées sur d’anciens combattants, sans leur consentement.
Anna Feigenbaum relate scrupuleusement toutes les évolutions techniques ainsi que de nombreux événements, du combat anti-raciste pour les droits civiques (Selma en Alabama) aux manifestations contre la guerre du Vietnam (la convention démocrate à Chicago en août 1968). « Comme ceux de Chicago et de Selma, les tragiques événements de Berkeley combinèrent une stratégie de contrôle social et des tactiques coercitives impliquant l’emploi de méthodes et de matériel militaires, ainsi que le recours direct à l’armée, mais aussi l’usage punitif et offensif de gaz de combat. » Ronald Reagan, gouverneur de Californie exprima une vision qui allait devenir la norme, qualifiant les manifestants de combattants ennemis et plaidant pour un usage accru des armes létales et pour un entraînement militaire des forces antiémeutes. Le mode de coercition prépondérant face à la subversion, tel qu’il fut défini dans les années 1960 aux États-Unis, conformément à une logique militaire de conquête et d’intimidation, consista à renforcer le contrôle de l’État grâce à des stratégies offensives plutôt qu’à rechercher le consensus ou du moins un compromis avec la société civile. L’opération du Pentagone dont le nom de code était « Garden Plot » consistait à transférer des technologies et des expertises militaires vers la police, à aligner les tactiques contre-insurrectionnelles de la garde nationale et de la police urbaine sur celles de l’armée. Selon sa conception, à l’origine des mouvements de contestation se trouvaient des ennemis intérieurs, des militants radicaux et subversifs « antiaméricains » et non des inégalités sociales et économiques.
L’auteur consacre un chapitre entier à la « bataille du Bogside », pendant laquelle plus de 1000 grenades gaz au CS furent tirées sur ce quartier catholique de Derry, pendant trente-six heures, le 12 août 1969. Elle reprend en détail la procédure fondamentalement partiale de la commission Himsworth sur les effet du gaz à Derry, et dont les conclusions du rapport quant à l’innocuité du CS resteront ensuite régulièrement et jusqu’à aujourd’hui, la référence dominante, malgré la multitude de rapports sur ses dangers, parus dans les années 1980 et 1990. D’autres événements sont également abordés, les premières manifestations altermondialistes au Canada en 1997, le sommet du G8 à Gênes en 2001, le mouvement Occupy, notamment à Oakland, le parc Gezi à Istanbul, les manifestations de Hong Kong en 2014. De nombreuses recherches sont évoquées, y compris certaines, fort intéressantes, à propos de l’entraînement des policiers : « Les forces de l’ordre sont entraînées, sous prétexte de préserver leur sécurité, à infliger des souffrances à des civils, en se sachant déchargées de toute responsabilité. » Les principaux acteurs du secteur mondial des armements antiémeutes sont présentés, des démarches juridiques ou des actions directes rapportées.
À la recherche des accointances entre profits financiers et violences policières, Anne Feigenbaum livre une histoire totale du gaz lacrymogène, fourmillante de témoignages et de documents déclassifiés, principalement axée sur le monde anglo-saxon. Elle dénonce un maintien de l’ordre toxique.
La préface de Julius Van Daal, complète ce panorama par une évocation expresse « du maintien de l’ordre et du contrôle des “classes dangereuses“ au “pays des droits de l’homme“ », dans un style toujours aussi enlevé. Nous nous prenons à rêver d’un développement plus conséquent au point de former un volume à part entière, d’autant plus que désormais « le simple fait de se joindre à un rassemblement public en étant muni de moyens de protection contre les gaz est considéré comme suspect, voire délictuel : venir manifester, selon cette conception ubuesque du droit, ce devrait être consentir à se faire gazer au gré des spadassins d’un pouvoir qui ne tolère que le silence apeuré des pantoufles. » « Malgré son inextricable complexité formelle, le droit bourgeois est au fond assez simple et repose sur deux principes : l’être qui trouble la bonne marche du commerce doit souffrir, de même que celui qui enfreint le droit de propriété. Il convient donc de rappeler sans cesse aux pauvres qu’ils sont nés pour gémir. Et pour chialer. »
PETITE HISTOIRE DU GAZ LACRYMOGÈNE
Des tranchées de 1914 aux Gilets jaunes
Anna Feigenbaum
Traduit de l’anglais par Philippe Mortimer
Préface de Julius Van Daal
338 pages – 17 euros
Éditions Libertalia – Collection « Ceux d’en bas » – Montreuil – Septembre 2019
www.editionslibertalia.com/catalogue/ceux-d-en-bas/petite-histoire-du-gaz-lacrymogene
Textes de Georges Sorel
« LA DÉCOMPOSITION DU MARXISME Partie 3
Textes de Georges Sorel 1908 : « LA DÉCOMPOSITION DU MARXISME Partie 2
c) Les souvenirs de la Révolution dominèrent pendant fort longtemps la propagande des socialistes. On prétendait identifier, par exemple, les profits capitalistes aux droits seigneuriaux et aux dîmes, que la bourgeoisie supprima autrefois sans indemnité ; on ne manquait pas de faire ressortir que beaucoup de fortunes bourgeoises provenaient de la vente de biens nationaux, qui avait été effectuée dans des conditions singulièrement favorables aux acheteurs. On cherchait à faire entendre que l’Etat populaire pourrait s'inspirer de ces exemples mémorables pour liquider le capitalisme à peu de frais.
Les politiciens révolutionnaires ne se plaçaient point au même point de vue que les utopistes, quand ils résonnaient sur la propriété. Ceux-ci étaient surtout préoccupés de l’organisation du travail, tandis que les politiciens ne voyaient que des revenus à partager ; leur conception était celle des intellectuels, qui ont tant de peine à considérer la propriété comme un moyen de production et qui la regardent plutôt comme un titre de possession. La loi devrait (comme elle le faisait si souvent dans les cités antiques) rationner les riches en leur imposant des charges énormes, de manière à rendre plus agréable la vie des pauvres. Les problèmes économiques se trouvent ainsi mis à l’arrière-plan, tandis que les ordres donnés par les maîtres de l’Etat passent au premier.
Qu’avaient voulu les législateurs antiques ? Maintenir dans la cité un nombre suffisant de citoyens aptes à porter les armes et à défendre les traditions nationales ; nous dirions aujourd’hui que leur idéal était bourgeois. Et les hommes de la Révolution française, qu'avaient-ils voulu ? Accroître dans une très grande proportion le nombre des propriétaires aisés ; ils avaient créé une bourgeoisie dont la puissance n’est pas encore épuisée. L’Etat populaire, en s’inspirant davantage des nécessités économiques contemporaines, pourrait aboutir à des conséquences tout à fait analogues. La translation des revenus peut se faire, en effet, d’une manière indirecte, mais sûre, au moyen d’une législation sociale qui tienne compte des conditions de la grande industrie : créer des moyens d’arbitrage permettant au trade-unionisme d’exercer une action constante sur les salaires ; remplacer le petit commerce des denrées par des services publics d’alimentation, l’exploitation des logements ouvriers par des locations municipales et l’usure des petits prêteurs par des institutions de prévoyance ; trouver des ressources fiscales dans de gros impôts perçus sur les classes riches, de manière à ce que les bonnes aubaines qui se produisent dans les industries reviennent aux œuvres démocratiques. Grâce à ces procédés, l’ouvrier peut devenir un petit bourgeois [C’est là ce que cherche à réaliser la législation de la Nouvelle-Zélande ; cela a été bien reconnu par tous les observateurs consciencieux], et nous arrivons ainsi à retrouver les mêmes conclusions que précédemment : agrégation du prolétariat à la bourgeoisie. III. Dualisme dans le Manifeste communiste ; mesures révolutionnaires et théories voisines de celles des utopistes - Crainte qu'éprouvait Bernstein au sujet de la capacité politique de la social-démocratie ; Abandon du marxisme par les politiciens
Le dualisme que Bernstein a signalé, apparaît, d’une manière indiscutable, dans les mesures provisoires que le Manifeste communiste proposait d’adopter en cas de révolution victorieuse. En 1872, Marx et Engels, rééditant leur œuvre, disaient ne pas attacher une importance particulière à ces conseils pratiques ; mais il est singulier que, dans les préfaces écrites en 1872, 1883, 1890, on ne trouve aucune indication capable d’orienter les lecteurs. Je suppose qu’ils sentaient, eux-mêmes, la dualité du système et qu’ils n’osaient pas faire d’incursions un peu prolongées sur le terrain de la pratique politique, parce qu’ils avaient peur de désorganiser l’édifice.
Dans le commentaire qu’il a donné du Manifeste communiste, en 1901, Andler ne me semble pas avoir très bien reconnu les sources ; il aurait été bien inspiré, s’il avait pris pour point de départ les thèses de Bernstein. Il distingue les propositions en juridiques, économiques et pédagogiques. J’ai peine à accoler le nom de juridiques à des mesures qui ressemblent aux ordres que donne un conquérant au lendemain de la victoire, pour détruire les vaincus : expropriation de la propriété foncière et affectation de la rente foncière aux dépenses de l’Etat ; impôt fortement progressif ; abolition de l’héritage ; confiscation des biens de tous les émigrés et rebelles. Ces prétendues mesures juridiques auraient pour objet de ruiner tous les intérêts dont le droit privé a la garde, et de supprimer même, semble-t-il, tout droit privé au bout d’une génération. Il ne faut pas oublier que le droit considère les choses, tout comme la science, comme si elles devaient être éternelles ; je ne crois donc pas que l’on puisse donner, sans commettre un grave contresens, le nom de juridiques à des règles dont l'application est fort limitée dans la durée.
Les autres propositions sont manifestement empruntées à la littérature des utopistes : centralisation du crédit ; exploitation des transports par l’Etat ; multiplication des manufactures nationales et amélioration des terres d’après un plan d’ensemble ; travail obligatoire pour tous et organisation d’armées industrielles, surtout pour l’agriculture ; rapprochement de l’agriculture et de l’industrie ; éducation publique et gratuite de tous les enfants et réunion de l’éducation et de la production matérielle. Je ne vois pas trop pourquoi Andler met à part ce dernier projet, qu’il appelle pédagogique, et qui appartient, de la manière la plus évidente, à l’organisation du travail.
L’ensemble du Manifeste offre les plus grandes analogies avec la littérature des utopistes, à tel point qu’on a pu accuser Marx d’avoir démarqué le Manifeste de la Démocratie rédigé par Considérant. Non seulement les phénomènes sont présentés souvent de la même manière, mais encore on y trouve des raisonnements qui ont dû paraître identiques à ceux des utopistes ; par exemple, à la fin du premier chapitre, on lit : « Il devient ainsi manifeste que la bourgeoisie est incapable de demeurer désormais la classe dirigeante de la société et d’imposer à la société, comme une loi impérative, les conditions de son existence de classe. Elle est devenue incapable de régner, car elle ne sait plus assurer à ses esclaves la subsistance qui leur permette de supporter l’esclavage » [Manifeste communiste, p. 40].
On n’a pas encore, à ma connaissance, déterminé exactement quels sont les postulats employés par Marx et Engels dans le Manifeste communiste ; leur langage imagé a pu être interprété tantôt comme étant celui d’utopistes condamnant la bourgeoisie au nom de la justice éternelle, tantôt comme contenant des encouragements à la révolte des pauvres.
On doit observer que le Manifeste ne renferme pas de formule ayant un aspect blanquiste aussi marqué que celle qu’on trouve à la fin de la Misère de la philosophie : « L’antagonisme entre le prolétariat et la bourgeoisie est une lutte de classe à classe, lutte qui, portée à sa plus haute expression, est une révolution totale. D’ailleurs, faut-il s’étonner qu’une société fondée sur l’opposition des classes aboutisse à une contradiction brutale, à un choc de corps à corps comme dernier dénouement ?... A la veille de chaque remaniement général de la société, le dernier mot de la science sociale sera toujours : Le combat ou la mort ; la lutte sanguinaire ou le néant. C’est ainsi que la question est invinciblement posée » [Ces deux phrases sont de George Sand]. Il est possible que Marx et Engels n’aient pu donner toute leur pensée dans un document destiné à être adopté par une association. Ils se montrèrent longtemps très favorables aux idées blanquistes, au point qu’en 1850 ils regardaient les blanquistes comme étant le vrai parti prolétarien, alors que, suivant Bernstein, « le parti prolétarien français était, en 1848, les ouvriers groupés autour du Luxembourg » [Bernstein, op. cit., p. 51].
Bernstein, en considérant la situation du parti socialiste en Allemagne, a été effrayé de voir combien la capacité de ce parti était inférieure au rôle qu’il pourrait être appelé à jouer en cas de révolution violente ; il ne pensait pas, en effet, que l’on pût voir encore le pouvoir passer à une bourgeoisie radicale, comme en 1848 ; ce serait l’extrême-gauche du parlement, c’est-àdire le groupe socialiste, qui devrait assumer toutes les responsabilités [Bernstein, op. cit., p. 60] ; cette perspective lui suggérait des réflexions fort pessimistes : « La souveraineté du peuple, même légalement proclamée, ne devient point pour cela un facteur déterminant réel. Elle peut mettre le gouvernement sous la dépendance de ceux-là justement vis-à-vis desquels Il devrait être fort : les fonctionnaires, les politiciens professionnels, les propriétaires de journaux... La dictature du prolétariat, cela veut dire -partout où la classe ouvrière ne dispose pas déjà de très fortes organisations économiques et où elle n’a pas acquis encore, par son apprentissage dans des assemblées autonomes, un degré très élevé d’indépendance morale, la dictature d’orateurs de clubs et de littérateurs » [Bernstein, op. cit., pp. 297-298].
Pour préparer le socialisme à accomplir la mission qui devrait lui incomber en cas de révolution, il fallait donc reprendre l’étude des problèmes que les marxistes avaient longtemps négligés. « La question sociale qui s’était présentée aux utopistes dans toute sa grandeur, comme question politique, juridique, économique et morale, [avait été] concentrée et condensée dans la question ouvrière » [Merlino, Formes et essence du socialisme, p. 244]. Le moment était venu de corriger et compléter l’œuvre des utopistes, en profitant des expériences faites depuis un demi-siècle. On était ainsi conduit à une décomposition du marxisme, puisque désormais l’élément blanquiste ne viendrait plus se mêler aux études faites sur l’administration et sur la politique pratique.
Pendant que Bernstein s’efforçait ainsi de concentrer l’attention des socialistes allemands sur les parties de la doctrine que ceux-ci avaient négligées, le travail naturel de l’évolution des partis amenait les chefs du socialisme à abandonner les points de vue marxistes, tout en se défendant de ne vouloir rien changer. Le 5 décembre 1899, Bebel prononçait à Berlin un discours dans lequel se faisait jour le plus pur socialisme d’Etat ; il osait même revenir aux coopératives subventionnées par l’Etat que Marx avait condamnées dans sa lettre de 1875 sur le programme de Gotha [La social-démocratie allemande était officiellement marxiste, mais elle avait toujours conservé beaucoup d’idées lassaliennes ; c’est ainsi que le programme de Gotha avait été adopté malgré les critiques de Marx ; sa lettre n’a même été connue qu’en 1891. L’esprit lassalien devint prépondérant dès que les socialistes eurent remporté des succès électoraux ; les succès électoraux conduisent fatalement au socialisme d’Etat]. Toutefois on n’en continuait pas moins à considérer Bernstein comme un hérétique, afin de paraître toujours fidèle aux vieilles espérances révolutionnaires. Les politiciens socialistes estimaient qu’ils n’avaient d’ailleurs nul besoin de se préoccuper de faire les recherches auxquelles les conviait Bernstein, parce qu’un député est, tout comme un marquis de l’Ancien Régime, un homme qui sait tout sans avoir besoin d’apprendre. Mais le marxisme est-il bien uniquement ce que supposait Bernstein ? Voilà ce qu’il faudrait savoir. N’y a-t-il pas en lui autre chose que les formules que l’on cite et dont la valeur semblait être de plus en plus discutable ? Ne serait-ce point plutôt une conception philosophique propre à éclairer les luttes sociales qu’un recueil de préceptes politiques ? C’est ce que nous allons examiner, d’une manière sommaire, en opposant aux utopistes et aux blanquistes quelques-uns des éléments fondamentaux du marxisme.
IV. Différences entre Marx et les utopistes - Pas de critique juridique de la propriété privée - Sophisme de Thompson et de Pecqueur - Organisation de la production réalisée par le capitalisme - Régularisation des salaires par l’équilibre économique - Travail futur fondé sur les usages légués par le capitalisme
a) Suivant beaucoup d’écrivains contemporains, Marx aurait laissé une grande lacune dans son œuvre, en ne fondant pas une théorie de la propriété : le Pr Anto Menger dit, par exemple : « Il manque chez lui le complément nécessaire de la théorie de la plus-value, c’està-dire une critique juridique de la propriété privée des moyens de production et des choses utiles, et par suite un examen approfondi du droit au produit intégral du travail » [A. Menger, op. cit., p. 138]. Beaucoup de jeunes universitaires, qui regardent Marx comme un chien crevé, sont partis de ce jugement solennel prononcé par le professeur autrichien pour faire des critiques juridiques de la propriété.
Je crois qu’il faut grandement féliciter Marx de ne pas être entré dans la voie qu’on lui reproche de ne pas avoir suivie ; et je regarde son attitude sur cette question comme ayant une importance capitale. Aucune correction ne saurait être apportée à son système à ce point de vue ; tout auteur qui fera une critique juridique de la propriété privée se placera en dehors du marxisme ; c’est là une constatation très décisive à faire dès le début de nos recherches.
Comment pourrait-on, d’ailleurs, s’y prendre pour faire le travail auquel nous convie Menger ? Il faudrait pour cela s’appuyer sur les principes de droit moderne mais ceux-ci ne sont-ils pas fondés sur l’existence de la propriété privée bourgeoise ? Pour peu qu’on adopte dans une certaine mesure les principes du matérialisme historique, un tel travail apparaît comme ne pouvant être qu’un tissu de sophismes. L’absurdité de l’entreprise n’apparaît point à Menger parce qu’il ne se rend pas un compte exact des relations qui existent entre toute superstructure idéologique et l’économie ; mais, pour un marxiste, la dissociation que supposaient les utopistes, et que supposent encore quelques philosophes, est un non-sens.
Il est bien vrai qu’aucun système idéologique n’est jamais parfaitement cohérent. Il demeure toujours dans le droit des règles anciennes qui ne peuvent s’expliquer correctement qu’au moyen de l’histoire et qui, prises isolément, pourraient recevoir des interprétations fantaisistes. D’autre part, il y a des lois exceptionnelles qui ont été introduites sous l’influence des caprices d’un homme puissant et qui forment des îlots que le juriste cherche à délimiter avec rigueur. Enfin, les circonstances politiques exercent, de temps à autre, leur influence sur la jurisprudence et viennent troubler le travail des doctrinaires. Les esprits subtils peuvent se servir de tous ces éléments sporadiques pour illustrer une théorie des rapports naturels qui devraient exister entre les hommes ; et, partant de cette théorie pour juger le droit existant, ils peuvent en critiquer ou déclarer caduques les parties qui ne concordent pas avec leur théorie.
Cette méthode est bien propre à séduire les esprits qui sont plus préoccupés de logique que d’histoire et d’économie ; en effet, à leurs yeux il n’existe point de différence essentielle entre les divers éléments juridiques. Comme il n'existe aucun moyen de les faire entrer tous, d’une manière parfaitement satisfaisante, dans aucune construction, chacun de nous a le droit de fabriquer une construction qui sera aussi légitime qu’une autre, pourvu qu’elle puisse être illustrée par des exemples. L’absence de toute considération sur l’infrastructure économique se fait alors sentir de la manière le plus fâcheuse, parce qu’il n’y a aucun moyen de choisir scientifiquement : la méthode marxiste ne permet point de telles fantaisies.
Le plus souvent, les philosophes qui ont détruit la propriété par raison démonstrative ont procédé d’une manière encore plus arbitraire. Ils sont partis de formules vagues qui entrent dans le langage courant et dans lesquelles on trouve quelques analogies avec des termes juridiques ; c’est ainsi que la théorie ricardienne de la valeur engendra presque aussitôt des sophismes relatifs à la propriété. Le Pr. Anton Menger, qui trouve le socialiste anglais William Thompson si supérieur à Marx, s’exprime ainsi : « Comme un grand nombre d’économistes anglais et notamment Ricardo, Thompson part de cette idée que le travail est la seule cause de la valeur d’échange. De ce fait économique, il tire la conséquence juridique que c’est à celui qui a créé la valeur par son travail que doit revenir tout entier le produit de son travail, ou que chaque ouvrier doit recevoir le produit intégral de son travail » [A. Menger, op. cit., p. 76]. Mais comment a-t-on pu justifier ce passage au droit, c’est ce que A. Menger omet de nous expliquer ; cela doit lui paraître trop simple pour qu’il s’y arrête.
Je crois que l’on peut reconstituer ainsi le raisonnement de Thomson : on suppose une société égalitaire, dans laquelle l’outillage est entre les mains de gens ayant pour unique fonction de le surveiller, et qui reçoivent pour cela une rémunération de gardiennage [Ils peuvent recevoir tout au plus un salaire égal à celui de l’ouvrier le mieux payé (A. Menger, op. cit., p. 177)] ; si on admet que la seule cause de la richesse créée est le travail de l’ouvrier, personne, en dehors de celui-ci, n’a de revendication à faire valoir sur cette richesse. Mais il faudrait démontrer que ce raisonnement est valable juridiquement pour notre société et ne pas jouer sur le sens du mot cause.
Pecqueur présente ses conceptions sous une forme beaucoup plus développée, et, grâce à la franchise parfois un peu naïve de cet auteur, il est plus facile de suivre la marche des idées : « Toute richesse matérielle est due au travail combiné avec la matière, ou plutôt à la force intelligente de l’homme agissant sur la matière... La matière nous est donnée collectivement et également par Dieu, mais le travail, c’est l’homme. Celui qui ne veut point travailler, a dit saint Paul, n’a pas le droit de manger. Dans cette sentence se trouve en germe tout l’économie sociale et politique de l’avenir » [Pecqueur, Théorie nouvelle d’économie sociale et politique, p. 497]. On peut, en effet, soupçonner facilement que de ces prémisses devront sortir des conséquences communistes ou très voisines du communisme égalitaire ; mais l’auteur ne regarderait pas ces principes comme évidents, s’il n’avait été déjà décidé à condamner le régime capitaliste.
A Rossi, qui avait dit qu’il ne faut pas appeler oisif celui qui administre sagement sa fortune, en épargne une partie et contribue à la production par ses capitaux, Pecqueur répond : « Produire, c’est travailler : dire que nos capitaux travaillent à notre place, c’est dire une absurdité... Pour produire réellement, il faudrait payer de votre personne, et vous ne le faites pas. Le capital est une matière qui ne peut rien sans le travail de l’homme [La distinction du travail mort ou capital et du travail vivant a pénétré dans la littérature marxiste par le Manifeste communiste] ; car toute richesse vient du labeur. Donc, le capital ne saurait travailler à la place de l’homme, de son possesseur ou propriétaire. Lors même que la matière capital pourrait travailler comme un être moral et doué d’une activité spontanée, tel que l’homme, elle ne pourrait encore représenter l’homme auprès de la société ; car, en fait de travail, l’homme même ne peut représenter l’homme. La présence personnelle est de rigueur » [Pecqueur, op. cit., p. 512].
La production est un devoir qui s’impose à chacun, et chaque producteur est un fonctionnaire ; tous sont également nécessaires à la société et doivent être également rétribués, s’ils mettent une égale bonne volonté au travail [Pecqueur, op. cit., pp. 583-586]. Quant à essayer de démontrer la légitimité d’un pareil système, cela est impossible. Marx a vraiment bien fait de ne pas s’engager dans ce labyrinthe de sophismes.
b) Les utopistes étaient persuadés que le capitalisme n'était plus en état de diriger une production devenue trop grande pour des particules. Une pareille conception nous parait aujourd’hui fort étrange, parce que nous avons vu l’industrie réaliser, depuis un demi-siècle, trop de prodiges, et que son état antérieur à 1848 nous semble tout à fait rudimentaire ; nous avons donc quelque peine à ne pas regarder les utopistes comme ayant été bien naïfs. Mais il faut tenir compte, pour apprécier sainement le changement survenu dans les idées, du changement que le capitalisme a subi lui-même.
Je rappelle ici qu’une des thèses essentielles de Marx est celle du passage du capitalisme commercial et usuraire au capitalisme industrie ; celui-ci constitue la forme pleinement développée de la société bourgeoise. A l’époque des utopistes, le capitalisme industriel était encore secondaire ; au début de ses articles de 1850 sur La lutte de classe en France, Marx fait observer que, sous le règne de Louis-Philippe, le gouvernement était entre les mains de ce qu’on appelait l’aristocratie financière (banquiers, rois de la Bourse et des chemins de fer, propriétaires de forêts, et partie des grands propriétaires fonciers), tandis que la bourgeoisie industrielle était dans l’opposition ; il montre notamment le rôle de Grandin et de Faucher, qui combattaient vivement Guizot et représentaient les intérêts industriels. En Angleterre existait à peu près la même situation : dans une note du chapitre XX du IIIe volume du Capital, Marx dit que les commerçants étaient unis à l’aristocratie foncière et financière contre le capital industriel (par exemple, Liverpool contre Manchester et Birmigham) et que « le capital commercial et l’aristocratie financière n’ont reconnu la suprématie du capital industriel que depuis la suppression des droits d'entrée sur les céréales » [Capital, trad. fr., t. III, première partie, p. 360].
Autrefois, les entreprises capitalistes étaient dirigées par des hommes dépourvus de connaissances scientifiques, parce qu'elles étaient conduites à la manière des affaires commerciales ou usuraires. On était effrayé en constatant la disproportion qui existait entre la capacité des directeurs d’usines et la science du temps. Aujourd’hui, la science a fait des progrès immenses, mais elle n’est demeurée étrangère, dans aucune de ses parties, aux ingénieurs qui dirigent les ateliers. Le problème qui avait le plus préoccupé les utopistes se trouve résolu par le capitalisme contemporain ; s’il y a encore des exceptions, c’est que partout le régime industriel n’a pas complètement triomphé, et que l’aristocratie financière exerce encore sa mauvaise influence sur un certain nombre d’affaires.
Le problème de l’organisation de l’atelier ne semblait pas moins difficile que celui de sa direction. Le Moyen Âge avait légué des habitudes de grande brutalité chez les compagnons ; il était donc naturel que la discipline des manufactures fût également très brutale ; les contremaîtres avaient, d’ailleurs, à soutenir une lutte de tous les jours contre la mauvaise volonté d’ouvriers qui ne pouvaient s’accoutumer facilement à conduire des métiers compliqués, exigeant beaucoup d’attention et mus d’un mouvement rapide. Il y eut une lutte terrible, surtout en Angleterre : certains industriels regardaient les anciens ouvriers, habitués aux outillages traditionnels, comme étant incapables de se plier aux exigences nouvelles [Marx ne me semble pas avoir donné une idée parfaitement complète de cette lutte dans Le Capital (t. 1, chap. XV, « La Fabrique » ; Ure, auquel il emprunte ses principales données, rapporte les premières filatures mécaniques échouèrent, parce que Wyalt était d’une nature trop douce ; Arkwright réussit, trente ans plus tard, parce qu’il avait « l’énergie et l’ambition d’un Napoléon » (Capital t. I, p. 183, col. 2, et Ure, Philosophie des manufactures, trad. fr., t. I, pp. 21-31). Ce dernier livre a été traduit en 1836. Sur la brutalité des anciens ouvriers anglais travaillant la laine, Cf. Ure, loc. cit., p. 13 et pp. 267-271. A l’époque où Marx écrivait, il y avait eu de très grands changements]. Cette éducation a fini par se faire sans recourir aux moyens plus ou moins cocasses inventés par les utopistes ; on n’a pas tenu compte des théories fouriéristes sur la papillonne pour arriver à mettre une douzaine de machines à tisser le calicot sous la direction d’un seul travailleur.
Ainsi, le capitalisme a résolu les problèmes pour lesquels les utopistes cherchaient des solutions parfaitements vaines ; il a créé ainsi les conditions qui permettront le passage à une forme sociale nouvelle ; le socialisme n’aura ni à inventer de nouvelles machines scientifiques, ni à apprendre aux hommes comment il faut s’en servir pour obtenir le plus grand produit ; le capitalisme industriel résout tous les jours, par tâtonnements et progressivement, ce problème. Marx, en découvrant cette génération des conditions de la société nouvelle, a rendu tout l’utopisme inutile et même quelque peu ridicule.
Désormais, le socialisme ne devra plus s’occuper des moyens qui pourraient servir à faire évoluer la société dans un sens progressif ; Marx s’élève avec force contre la prétention qu’émettaient les lassaliens de demander l’institution de coopératives subventionnées par l’Etat, en vue de préparer la voie à la solution de la question sociale ; dans la Lettre sur le programme de Gotha, il regardait une telle attitude comme constituant une déviation du socialisme ; celui-ci devait s’enfermer dans la lutte de classe. Le socialisme n’a à s’occuper que de l’organisation révolutionnaire des bras, tandis que l’utopisme voulait donner des conseils à la tête de l’industrie.
c) Les utopistes étaient prodigieusement préoccupés de répartir la richesse d’une manière raisonnable. De leur temps, non seulement l’aristocratie foncière et les gens d’usure semblaient prendre une part démesurée, mais encore le régime de la petite industrie conservait des situations privilégiées, difficiles à défendre pour certaines catégories de salariés. « A Lyon, disait Proudhon en 1846, il est une classe d’hommes qui, à la faveur du monopole dont la municipalité les fait jouir, reçoivent un salaire supérieur à celui des professeurs de facultés et des chefs de bureaux des ministères : ce sont les crocheteurs... Il n’est pas rare qu’un homme gagne 12, 15 et jusqu’à 20 francs par jour. C’est l’affaire de quelques heures... Les crocheteurs de Lyon sont aujourd’hui ce qu’ils furent toujours : ivrognes, crapuleux, brutaux, insolents, égoïstes et lâches » [Proudhon, Contradictions économiques, t. I, pp. 131-132. Il leur reprochait leur indifférence pour l’émeute des ouvriers de soie].
Le capitalisme fait disparaître la plupart de ces anomalies ; il tend à produire une certaine égalisation du travail entre les diverses parties de l’usine ; mais comme il a besoin d’un nombre considérable d’hommes particulièrement actifs, attentifs ou expérimentés, il s’ingénie à donner des suppléments de salaire aux hommes qui lui rendent ainsi plus de services ; ce n’est point par des considérations de justice qu’il se règle dans ce calcul, mais par la seule recherche empirique d’un équilibre réglé par les prix. Le capitalisme arrive donc à résoudre un problème qui semblait insoluble, tant qu’il avait été étudié par les utopistes ; il résout la question de l’égalité des travailleurs, tout en tenant compte des inégalités naturelles ou acquises qui se traduisent par des inégalités dans le travail [Dans la Lettre sur le programme de Gotha, se lisent de remarquables observations sur cette égalité de droit et l’inégalité des conditions].
On sait que Marx a posé cette règle que « toutes les classes qui, successivement, se sont emparées du pouvoir, cherchaient à sauvegarder leur situation de fortune acquise en imposant à toute la société les conditions qui leur assuraient leur revenu propre » [Manifeste communiste, p. 38. La Révolution a, par exemple, fondé tout son droit sur les conditions d’existence des propriétaires agriculteurs qui exploitaient des terres concédées jadis féocialement ; les descendants des anciens concédants ont été regardés comme étant sans titre, et le domaine utile du roturier est devenu la pleine propriété du Code Napoléon ; toutefois, M. P. Viollet estime qu’on peut soutenir aussi que toutes les terres françaises sont devenues des censives, puisque nous payons tous à l’Etat des droits de mutation qui représentent les anciens droits de relief, de lotis et ventes (Précis de l’histoire du droit français, 1re édition, p. 607). Le droit général des Français est devenu celui de la roture] ; et il applique plusieurs fois le même principe, pour savoir ce que deviendra le monde à la suite d’une révolution prolétarienne. C’est ainsi qu’il proclame la disparition de la famille bourgeoise, parce que les prolétaires ne se trouvent pas dans les conditions qui leur permettent de pratiquer l'union sexuelle suivant ce type. « Les prolétaires n’ont pas de patrie » ; la notion de patrie doit donc disparaître. Dans la lettre de 1875 sur le programme de Gotha, il dit que l’on appliquera pour les salaires « le principe qui règle actuellement l’échange des marchandises dans la mesure où s’échangent des valeurs identiques » ; c’est, dit-il, « un droit bourgeois » qui donne des inégalités quant à son contenu, tout en étant égalitaire.
J. Guesde était bien dans la tradition marxiste lorsqu’il disait à la Chambre, le 24 juin 1896, que le problème du travail ne pouvait offrir de sérieuses difficultés dans une société collectiviste ; en effet, on arriverait, par tâtonnements, à fixer les durées de travail assez courtes pour les métiers les moins demandés, de manière à y attirer le nombre d’hommes dont on aurait besoin. « Le jeu de l’offre et de la demande suffira à déterminer, sans arbitraire et sans violence, cette répartition qui vous semblait tout à l’heure un problème insoluble » [J. Guesde, Quatre ans de lutte de classe à la Chambre, t. II, p. 96]. D’autres ont pensé qu'au lieu d'offrir aux travailleurs l’appât du plus grand loisir, il serait plus pratique de continuer à leur offrir l’appât d’un salaire surélevé [« On aura pour guide unique l’intérêt... On spéculera sur le désir très réel chez beaucoup, soit d’un gain plus fort, soit d’un loisir plus grand avec un même gain » (G. Deville, Capital, 1re édition, p. 35)] ; cette solution paraît comporter une attraction plus puissante ; mais l’essentiel est de montrer ici seulement que c’est par un mécanisme emprunté à l’ère capitaliste que le socialisme compte régler la répartition.
En définitive, le marxisme est beaucoup plus près de l’économie politique qu’on nomme manchestérienne que de l’utopisme. C’est là un point capital à relever, j’ai montré d’autres analogies très profondes dans les Insegnamenti sociali della economia contemporanea ; maintes fois d’ailleurs les apôtres du devoir social ont signalé le grand danger que le manchestérianisme présente pour l’ordre : il divise la société en deux classes entre lesquelles il ne s’établit aucun lien, et qui, par suite, finissent par se regarder comme ennemies. Les utopistes, comme les apôtres actuels du devoir social, ne voulaient pas admettre la lutte de classe ; on ne saurait donc, sans s’exposer à commettre de très grandes erreurs, mêler au marxisme les conceptions des anciens socialistes. Nous allons maintenant examiner ce que Bernstein nomme le blanquisme, et nous ne trouverons pas de moindres divergences.