Etat de ce
qui est sans mouvement. Au figuré : « manque d'activité, d'énergie
intellectuelle ou morale » (Larousse). Au point de vue social qui,
principalement nous intéresse ici, l'inertie consiste surtout à ne
pas agir dans le sens que, logiquement, vu notre situation, notre
condition sociale, on pourrait s'attendre à nous voir agir. Dans la
société présente, lorsqu'il s'agit de mettre fin à des abus de
toutes sortes qui vont, contre toute justice, contre les lois mêmes,
au détriment de pauvres justiciables, ou lorsqu'il s'agit de faire
obtenir aux travailleurs le bénéfice de certaines « lois sociales
», il arrive souvent que les différentes administrations font
attendre indéfiniment une mesure, une décision qui puisse donner
une légère satisfaction aux ayants droit. On appelle cela l'inertie
des bureaux, des administrations, etc. Nombreux sont ceux qui ont à
s'en plaindre. Que ce soit un accidenté du travail insistant pour la
liquidation de sa pension, ou un prisonnier arrêté sans motif et
réclamant un jugement qui ne peut que le libérer, ou mille autres
cas analogues, l'inertie des pouvoirs publics est proverbiale chaque
fois qu'il s'agit de faire obtenir son droit ou de « rendre justice
» à un malheureux ou à un contempteur de la société. Ce n'est
pas toujours par paresse ou par négligence qu'on agit ainsi, mais
c'est très souvent avec la volonté bien arrêtée d'arriver, par un
retard systématique, à lasser le réclamant. Il y a là une «
inertie calculée » qui sape perfidement l'équité. Lorsque, dans
les classes sociales qui souffrent le plus des inégalités du
système capitaliste, nous venons mettre à vif toutes les plaies du
régime, et demander au peuple de réagir et de travailler avec nous
à l'édification d'un nouvel ordre social, nous nous heurtons
également à l'inertie des masses qui, pourtant, continûment
gémissent et maudissent leur sort. Elles nous approuvent
quelquefois, souvent même, mais quand nous leur demandons de faire
un effort, d'intervenir elles-mêmes, de travailler à secouer leur
joug et réaliser leurs aspirations, elles ne comprennent plus et
attendent, par inertie, qu'autrui leur apporte le mieux désiré,
pourvu qu'elles n'aient aucune énergie physique ou intellectuelle à
dépenser. Plutôt les illusions démocratiques, les trompeuses
promesses des religions et des partis, les paradis de « demain »!
Il nous faudra encore un sérieux travail de propagande pour arriver
à vaincre cette inertie du peuple.
Force
d'inertie. -Propriété qu'ont les corps de rester à l'état de
repos ou de mouvement jusqu'à ce qu'une cause extérieure les en
tire. Figuré : « Résistance passive qui consiste surtout à ne pas
obéir » (Larousse). Pour les anarchistes, qui sentent en eux
l'impossibilité d'obtempérer et ne peuvent toujours sans risque
grave ouvertement refuser ou désobéir, la force d'inertie a une
véritable signification. Dans la lutte de tous les jours qu'ont à
soutenir les opprimés contre les oppresseurs, ceux-là ont assez
fréquemment l'occasion d'employer la force d'inertie. Elle exige,
d'ailleurs, souvent plus de volonté, de ténacité, d'endurance que
les manifestations actives de cette lutte. Quand les ouvriers d'une
usine, d'une industrie, d'un pays tout entier se mettent en grève,
ils emploient la force d'inertie. De même quand un prisonnier fait
la grève de la faim pour protester contre l'arbitraire de son
incarcération, contre celle de camarades, contre son maintien au
régime de droit commun, etc. Quand le réfractaire ou l'objecteur de
conscience refuse d'être soldat, de prendre les armes, d'apprendre à
tuer et de tuer, ils se servent également de la force d'inertie, et
cette force est si grande, lorsqu'elle est au service d'une volonté
inébranlable, qu'on peut dire que nul, ni un homme, ni l'ensemble
des hommes, ne peuvent contraindre un autre homme à accomplir ce
qu'il ne veut pas faire! L'homme, même seul, peut dans ce cas braver
toutes les autorités et leur dire : « Vous pouvez me tuer, mais
vous ne me forcerez pas à vous obéir! » Si tous les opprimés
savaient user à propos et résolument de la force d'inertie,
l'oppression sociale aurait vécu. Mais cela demande trop d'énergie
soutenue pour qu'on puisse espérer détruire un régime aussi
solidement enraciné que le régime capitaliste par ce seul moyen. La
force d'inertie, opposée au vouloir des maîtres par les défavorisés
sociaux, aura donc toujours une grande valeur morale et éducative,
économique parfois. Elle sera toujours, par le relief de l'altitude,
un exemple de nature à galvaniser les hésitants, mais elle ne
pourra être utilisée avec profit que dans certains cas déterminés,
tant à cause de la concentration volontaire et de la valeur
individuelle qu'elle demande, qu'en raison des formidables moyens de
défense et d'attente dont dispose l'adversaire. Elle pourra
désagréger, petit à petit, le régime autoritaire qui nous écrase,
y faire d'assez sérieuses lézardes, mais pour le mettre bas, il
faudra y joindre le levier des forces actives et révolutionnaires du
peuple, aidé de tous les hommes assez élevés et assez droits pour
ne pouvoir vivre dans l'atmosphère du privilège.
- E. COTTE.
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