vendredi 1 novembre 2019

Tiré de l'ouvrage "Articles politiques" l'assignation à résidence de Errico Malatesta


JE NE VEUX PAS abandonner ­l’Italie où, en dépit de l’apparente liberté qu’on me concède, je suis prisonnier comme dans une cellule ou une tombe. Tous mes mouvements sont surveillés ; les flics ne me lâchent pas une seconde ; ma correspondance est censurée. Si je reçois une visite, si quelqu’un dans la rue m’adresse la parole ou me salue, si je vais voir un ami… les enquêtes et les rapports [de police] arrivent immédiatement et compromettent souvent les personnes que je fréquente.
C’est une situation intolérable et j’en souffre trop.
Il se pourrait qu’en France j’aie la possibilité de faire un travail utile avec toi et nos camarades et les réfugiés italiens, très nombreux à Paris.
Comme tu le dis, je pourrais utiliser pour la propagande, le besoin d’activité qui me torture.
Cependant, je ne veux pas m’éloigner de Rome. Mussolini n’est pas immortel. Le régime abominable que la dictature fasciste impose à ­l’Italie ne peut durer longtemps. Le jour viendra, et rapidement peut-être, où ce régime odieux s’écroulera. Eh bien ! je veux être ici. Presque tous nos amis sont emprisonnés ou émigrés. Quand le fascisme disparaîtra, ils rentreront en masse avec d’autant plus d’ardeur pour combattre qu’ils en auront été éloignés, malgré eux. Mais ils ne connaîtront pas assez bien la situation, ils seront peu ou mal informés sur le cours des événements, sur la mentalité des masses populaires, sur les centres d’agitation antifascistes et sur les possibilités d’action révolutionnaires. Et ils auront nécessairement des hésitations, des manques d’audace, des excès de témérité, ils feront des erreurs tactiques qui pourront être fatales au mouvement révolutionnaire.
Eh bien ! moi je serai ici. Je sais bien qu’il n’y a pas d’hommes indispensables, mais dans des circonstances déterminées, il y en a de très utiles. J’espère que, une fois abattus le joug dictatorial et le virus fasciste, le jour où le prolétariat ­d’Italie retournera à l’esprit de révolte et au sens de la liberté, ce jour-là ma présence et ma longue expérience ne seront pas inutiles.
Tu peux comprendre maintenant pour quelles raisons, et malgré la tristesse que j’en ressens, je refuse d’abandonner le poste de surveillance aujourd’hui et de combat demain que les événements m’ont assigné.
Lettre à Gigi Damiani de 1926,
publication posthume
dans
L’Adunata dei refrattari,
28 août 1932.


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