Défaut,
absence d'égalité (v. Egalité) ; caractère de choses inégales :
« Le luxe est toujours en proportion avec l'inégalité des fortunes
» (Montesquieu). « L'oppression naît de l'inégalité » (B.
Constant). En mathématiques : Expression dans laquelle on compare
deux quantités inégales, que l'on sépare par le signe : >, plus
grand que ; ou <, plus petit que ; dont l'ouverture est toujours
tournée vers la quantité la plus grande. L'Economie politique
constate le fonctionnement de la société, sur la base de
l'inégalité dans tous les domaines, mais déclare, avec Adam Smith,
la nécessité de cette inégalité. Déjà Platon et Aristote
avaient allégué, pour justifier le maintien de l'esclavage,
l'inégalité native et irrémédiable des hommes. L'économie
politique, ne considérant que le fait, ne pouvait se poser la
question : à savoir, si les conditions économiques et politiques
des différentes classes de la société, ne déterminaient pas,
presque exclusivement, l'inégalité, apparemment naturelle, des
intelligences, des moralités et des mœurs. L'Economie Sociale, avec
Colins, Proudhon, Marx, a établi le rapport étroit existant entre
l'inégalité économique et l'inégalité intellectuelle et morale,
démontrant par le raisonnement et l'histoire que le paupérisme
économique engendre nécessairement le paupérisme moral. La
question s'était posée aux philosophes avant de s'être imposée
aux économistes. J.-J. Rousseau publiait à Amsterdam, en 1755 (1
vol. in-8), un ouvrage destiné à un concours de l'Académie de
Dijon, intitulé Discours sur l'origine et les fondements de
l'inégalité parmi les hommes, qui prétendait se passer des leçons
de l'histoire. « Je conçois, dit-il, dans l'espèce humaine, deux
sortes d'inégalités : l'une que j'appelle naturelle ou physique,
parce qu'elle est établie par la nature, et qui consiste dans la
différence des âges, de la santé, des forces du corps et des
qualités de l'esprit et de l'âme ; l'autre qu'on peut appeler
inégalité morale ou politique, parce qu'elle dépend d'une sorte de
convention, et qu'elle est établie, ou du moins autorisée, par le
consentement des hommes. Celle-ci consiste dans les différents
privilèges dont quelques-uns jouissent, au préjudice des autres,
comme d'être plus riches, plus honorés, plus puissants qu'eux, ou
même de s'en faire obéir ». Rousseau étudie ensuite l'évolution
nécessaire de l'individu et de la société. A l'état de nature,
sans vêtements, sans outils, sans armes, la vie de l'homme est rude,
pénible et hasardeuse. La nature, impitoyable aux faibles, ne permet
que le développement des forts, qu'elle développe, à qui elle fait
un tempérament fort, robuste et presque inaltérable. Aussi les
humains sont-ils à peu près égaux. La société, en permettant la
vie aux faibles, aux moins bien doués, à ceux qui se développeront
moins facilement ou moins vite que les autres, crée l'inégalité.
L'inégalité est donc le fait de l'état social, de l'éducation,
c'est-à-dire du plus ou moins de perfection acquise. La plupart des
animaux s'étiolent quand ils se civilisent, c'est-à-dire quittent
la vie sauvage pour vivre auprès de l'homme. « On dirait que tous
nos soins à bien traiter et nourrir ces animaux n'aboutissent qu'à
les abâtardir. Il en est ainsi de l'homme même : en devenant
sociable et esclave, il devient faible, craintif, rampant, et sa
manière de vivre, molle et efféminée, achève d'énerver à la
fois sa force et son courage. Ajoutons que la différence d'homme à
homme doit être plus grande encore que de bête à bête ; car
l'animal et l'homme ayant été traités également par la nature,
toutes les commodités que l'homme se donne de plus qu'eux, ajoute
encore à leur inégalité ». « L'Etat civilisé, déclare
Rousseau, commence par le sentiment de la propriété. « Le premier
qui, ayant clos un terrain, s'avisa de dire : « Ceci est à moi »,
et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai
fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de
meurtres, que de misères et d'horreurs n'eut point épargné au
genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé,
eut crié à ses semblables : « Gardez-vous d'écouter cet imposteur
; vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous et
que la terre n'est à personne ; mais il y a grande apparence
qu'alors les choses en étaient venues au point de ne pouvoir plus
durer comme elles étaient ». Malgré de sérieuses contradictions,
la théorie de Jean-Jacques, selon laquelle, à l'état de nature,
les hommes étaient bons, sains de corps et d'esprit, égaux, et que
ce sont les suites de leur engouement pour la civilisation qui les
ont pervertis et ont créé l'inégalité sociale, cette théorie eut
une influence réelle sur le développement de la Révolution
française et l'évolution de l'Economie Politique vers l'Economie
Sociale. M. Villemain (Tableau du XVIIIème siècle, t. l, 1ère
partie) dit : « L'influence de cette théorie fut réelle, car elle
appuyait la plainte du pauvre contre le riche, de la foule contre le
petit nombre. Elle était particulièrement secondée par l'état de
la société française, dans laquelle l'inégalité, irrémédiable
parmi les hommes, était à la fois plus grande qu'il ne faut et trop
sentie pour être longtemps supportée. Ce discours, sombre et
véhément, plein de raisonnements spécieux et d'exagérations
passionnées, eut, je n'en doute pas, plus de prosélytes encore que
de lecteurs. Il en sortit quelques axiomes qui, répétés de bouche
en bouche, devaient retentir un jour dans nos assemblées nationales
pour inspirer ou justifier à leurs propres yeux les plus hardis
niveleurs, les ennemis de toute hiérarchie, depuis le droit
arbitraire du sang jusqu'au droit inviolable de la propriété ».
Adam Smith, Rousseau, tels furent les éducateurs politiques des
révolutionnaires de 1789. Aussi la fameuse « Déclaration des
Droits de l'Homme et du Citoyen » est-elle l'expression de ces deux
théories opposées : l'Inégalité native ou l'Inégalité
engendrée. « La propriété est un droit inviolable et sacré ».
En droit, l'inégalité est supprimée économiquement, le
législateur dit, avec Rousseau : la propriété est à tous - en
droit. Mais en fait, la propriété individuelle, aliénable,
héréditaire, n'est plus que la propriété de quelques-uns. En
fait, l'inégalité économique subsiste et, avec Adam Smith, est
native. Cette distinction du Droit et du Fait, se retrouve dans tous
les actes de la Déclaration : « Les hommes naissent et demeurent
libres et égaux en droit »… Avant 1789, certains corps de métier,
par exemple, jouissaient de privilèges ; nul n'y pouvait entrer sans
autorisation du roi. Ces privilèges constituaient une inégalité de
droit et de fait. La Révolution abolit les privilèges, mais
certains corps de métier sont encore inaccessibles à tous parce que
demandant, pour être exercés, des capitaux, que l'inégalité
économique de fait, concentre entre les mains de quelquesuns au
détriment des autres. En droit les privilèges sont abolis, mais en
fait ils sont toujours la loi de l'économie politique. Comme nous
l'avons dit plus haut, le problème se pose dans toute son ampleur
avec Colins, Proudhon, Marx. Il est établi désormais, sur des bases
rigoureusement scientifiques, que l'inégalité économique - au
point de départ - est la seule cause du paupérisme moral et
matériel des classes laborieuses… Tous les efforts des socialistes
et des anarchistes tendent, soit vers la suppression de l'inégalité
économique totale, définitive, soit vers la suppression de cette
inégalité au point de départ. Quant aux autres inégalités, elles
ne sauraient obéir aux mêmes lois. « C'est à choisir, dit E.
Armand dans L'Initiation Individualiste Anarchiste : ou le monde sera
courbé sous le joug d'une inégalité forcée ; ou libre cours sera
laissé au développement, à l'épanouissement des inégalités,
c'est-à-dire des originalités personnelles ; ou le milieu humain
sera semblable à une prairie splendide, à un pré immense, où des
fleurs par milliers rivaliseront entre elles, diverses de grandeurs
et d'aspects, de couleurs et de nuances, de parfums et de senteurs ;
ou bien il demeurera un océan stagnant, dont aucun mouvement n'agite
jamais l'onde épaisse et lourde ».
- A.
LAPEYRE.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire