lundi 22 janvier 2018

Nomades forcés. par Marc Authouart


Le jour n'est pas encore levé. Il ne fait pas trop froid. Par contre, il tombe une bruine pénétrante. Les phares d'un taxi trouent l'obscurité de la campagne. Je suis au volant et je n'ose pas tourner la tête. Je lui avais dit, afin de la décider à quitter le pays, qu'elle allait se faire d'autres amis, que la France était un pays merveilleux. Ce pays qui suivait à la lettre les droits de l'homme. Nous vivions dans cette capitale prestigieuse, considérés quasiment comme des français. Il était vrai que parfois, ils nous arrivaient d'entendre une insulte à notre égard. Mais cela était anecdotique. Le prétexte fût facile et nous sommes passés de français de souche maghrébine à terroristes potentiels. Aujourd'hui, nous avons du fuir la capitale car nous habitions dans un des arrondissements dans lesquels les rafles se multipliaient. Certains hurlent lorsqu'ils entendent le mot rafle, lorsque nous définissons cette nouvelle politique de raciste et qu'elle nous rappelait le temps de Vichy. Mais avons-nous d'autre choix? Dans l'indifférence totale, mon pays a glissé vers le fascisme. Je suis horrifié. Ça s'est produit de façon discrète, insidieuse. Des mots en ont remplacé d'autres. Des allusions qui se dissimulent de moins en moins. Des critiques de plus en plus violentes pour finir par l'agression physique et la mort de jeunes hommes. La police n'a pas non plus arrangé les choses. Que devais-je lui dire? Qu'elle allait se faire de nouveaux amis à Toulouse? Et ensuite, qu'elle se fera d'autres amis à Barcelone? Nous allons franchir une ligne imaginaire qui pourrait être celle qui sépare la France libre de la France occupée. Mais la France n'est-elle pas occupée par cet état d'esprit qui permet au racisme de passer tranquillement? Qu'était-elle devenue cette France qui voulait donner des leçons à tout le monde mais qui, en coulisse, tentait de garder ses colonies? Quelle sera ensuite la prochaine destination? Vers quel camp allons-nous dériver? Ils ne s'appelleront plus Auschwitz, ou Dachau, bien sûr, mais lorsque l'on est enfermé, fait-on vraiment la différence? Ces camps étaient déjà une spécialité française avec les républicains espagnols que l'on enfermait lorsqu'ils fuyaient le régime de Franco. A Rivesaltes. Puis, il y eut Drancy. Ma femme me regarde, inquiète. Je lui offre ce sourire pitoyable. Je ne peux que feindre maladroitement l'aisance. Derrière, il y a mes parents et ma fille. Dans le coffre, deux trois babioles. Rien qui ne puisse nous rapprocher de l'idée d'un quelconque déménagement volontaire donc heureux. Cela fait penser à un exode, quasiment dans le même esprit que celui de 41 où sur les routes, des colonnes de miséreux se faisaient bombarder. Nous n'avions même pas une charrette de meubles. Voilà, nous sommes en exode, j'espère que ce sera la dernière fois. Le monde s'élance vers un conflit général de la transhumance au travers du rejet d'êtres humains et non au travers des règles qui régissent la société.

« Nous allons nous arrêter pour déjeuner. »

Je savais que personne n'avait faim. Moi le premier. Nous devions manger tout de même, le voyage allait être long et dangereux. Au moindre contrôle, on pouvait être arrêtés, enfermés et expulsés. Il nous était impossible de compter sur une aide quelconque. Ma petite Yasmine avait ce regard si particulier que l'on trouve sur les visages des enfants qui fuient. Triste, dur, larmoyant. L'incompréhension se mêlait à cette idée insurmontable d'injustice. D'une loi à l'autre, les choses avaient évolué, glissé plus exactement. Ils ont été malins. Ce pays va ressembler à tous les autres que les populations fuient. Les Français vont devenir les algériens d'un autre pays. Ils vont devenir les coupables de tous les maux. Bientôt, nous n'aurons plus rien à vous envier. Peut-être n’allons-nous plus venir chez vous. Non parce que nous aurons trouvé mieux mais simplement parce que vous allez connaître le pire. Je dis tout ça à ma famille mais ça ne les rassure pas plus que ça. C'est vrai que lorsque l'on a les flics au cul, la philosophie, on s'en fout. En fait, nous vivons la politique du terrain.

« Ma chérie...Un jour, nous arriverons à avoir une maison, lui dis je en l'embrassant sur le front. -Pas tant que les hommes n'auront pas décidé de vivre ensemble dans un monde pacifique. Et il ne sera pacifié que lorsque nous ne laisserons plus les marchands d'armes diriger le monde. »

J'allais embrasser ma mère. En fait, c'était elle qui fut la première à arriver en France. Elle avait suivi ses patrons blancs qui avaient fui l'Algérie. Combien de fois, dans ses lettres, nous avait-elle parlé de cette France si merveilleuse où l'on pouvait trouver de tout et où l'on pouvait se balader sans danger. Elle nous avait fait venir dans sa chambre de foyer qu'elle payait cher. Oh, il y avait bien quelques passes pour arrondir les fins de mois mais bon, ce n'était pas vraiment de la prostitution. On pouvait dire que c'était de la prostitubouffe comme ils diraient aujourd'hui. Lorsque l'on ne peut plus déformer le sens des mots, on en créé d'autres. Puis les regards ont changé. Les mots aussi. Les gestes. Tout a changé dans les années 80 pour arriver, lentement mais sûrement, là où nous en sommes actuellement. Et que dire de mon père? Que dire de mon père qui a fait vos routes et vos gymnases ? Les lieux dans lesquels on exalte le nationalisme. Quel cynisme! Il est usé et désabusé. Mais sans doute, allez vous tourner la tête pour ne pas être dérangé, interpellé.

« Allez, on repart. » L'ambiance était de plus en plus maussade. Il fallait que nous rejoignons Toulouse cet après midi.

« Rafle: opération policière exécutée à l'improviste dans un lieu suspect, arrestation massive de personnes. »

Voilà la définition du Larousse. Je pense honnêtement qu'il faut bien admettre les similitudes des situations.  

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