Je n'avais plus besoin d'un squale. Je savais que j'allais y arriver
sans lui. D'ailleurs, il n'y avait rien que je ne pouvais plus faire
sans lui. Il m'arrivait parfois de me glisser dans mon lit sans autre
raison que de sentir un poids sur mon corps. Des fois, je pensais que
je ne connaîtrais jamais rien d'autre. Soudain, l'image de cette
femme me hanta de nouveau. Je savais que je la connaissais mais
comment pouvait elle être arriver dans cet endroit? Je ne pouvais
plus rester dans mon lit. Je devais sortir au plus vite et trouver de
nouveau ce chemin. Il me fallait la retrouver. Ça devenait
impératif. Je reconquiers les élixirs et je retournais vers la
place Stalingrad. J'hésitais bien à plonger mais, quand l'aube
arrive, souvent, on avait bien du mal à se raisonner. Alors, j'ai
plongé. Heureusement que je savais nagé. J'en fus quitte pour un
bon rhume et encore une autre journée à attendre. Ça ne devait
plus arriver car il y avait au bout du séjour chez les saigneurs, le
dernier péage. C'était, en fait, une dernière indication. Beaucoup
d'imprudents n'y avaient pas fait attention et s'étaient retrouvés
moribonds dans le quart zone de la vie.
Aujourd'hui, j'avais
envie d'esquisser un pas de deux parmi ceux que l'on appelait entre
nous, les zombies. Vous savez, ceux qui sont encore capables de se
mouvoir malgré tous les coups déjà reçus. A chaque fois, ils
poinçonnaient leurs tickets à l'écluse. Je décidais de glisser un
peu de mon existence dans le brouillard. Je les regardais, abasourdi,
« consommer » presque aussi inconsciemment qu'ils respiraient. Ils
mangeaient de la consommation. Une pathologie urticante.
Heureusement, je ne faisais que traverser ce passage horizontal, sans
autre idée que de faire presque une étude anthropologique. Ils me
regardaient comme on regarde une baleine échouée dans 10 cm d'eau
et qui cherche à respirer. Nous avions une inquiétante
incompréhension mutuelle qui nous servait de blindage. Alors que le
soleil tapait quand même assez fort, j'en voyais qui voulait
s'enfermer pour aller voir des existences imaginaires. Ils
confrontaient leur comas avec une vie inventée. Avaient-ils
conscience de l'invraisemblance de leurs systèmes vitaux? En une
journée, j'avais vraiment fait le tour de ça. Il était plus que
temps de rejoindre mes déroutes. Ne traînons plus, je devais
retrouver la formule magique. A trois heures, je sentais qu'il était
temps de rejoindre la piste d'envol. Je m'approchais du canal. Sans
réfléchir plus que ça, je sautais. A mon réveil , je constatais
que je me retrouvais dans un autre rade. Celui là, je ne le
connaissais pas.
« Vous souvenez vous de
Corinne Gleu? »
La phrase n'avait pas eu
à faire beaucoup de route et pourtant, elle n'hésita pas à
encercler tous les clients qui semblaient n'attendre qu'une seule
réponse. Que me serait-il arrivé si j'avais répondu non? Sans
doute, je me serais retrouvé dans le bouillon, avec un tas de
détritus sur la gueule.
« Oui »
Et puis, j'ai dû avoir
le regard niais de l'amoureux qui n'a jamais pu lui adresser la
parole parce qu'il avait trop peur.
« J'étais amoureux
d'elle...Je ne sais pas si je ne ressens pas encore quelque chose.
-Elle se rappelle de toi.
»
Je venais de prendre 30
ans dans la gueule et je continuais à sourire bêtement. 30 ans! Une
paille! Juste le temps nécessaire d'avoir d'énormes regrets et de
croire qu'il y a peut-être encore quelque chose de pénible.
« Je suis heureux
qu'elle se rappelle de moi. »
Comme je devais être
pathétique! J'avais même cru que l'on avait ri.
« Vous la voyez souvent?
-Oui de temps en temps.
-Ça va être possible de
la voir?
-Mais je crois que vous
l'avez déjà aperçu...et vous la reverrez, sans doute... »
Je finis ma bière et le
décors fondit rapidement. J'étais adossé à une palissade et je
pleurais comme un enfant à qui on venait de confisquer son jouet.
Les ombres de la ville
« Ça y est! Cette fois,
je vais sortir de cette prison! Je vais être libre! »
« Françoise!... »
Cette voix était comme
un coup de poignard. Elle était cette voix du diable qui l'avait
toujours ramenée dans l'enfer.
« Françoise...Tu ne
viens pas boire un p'tit verre avec tes vieux compagnons? »
Son passé était un
vieux trou noir qui aspirait tout autour de lui. Elle n'avait pas le
droit de s'en échapper. On ne lui laissait pas le choix de pouvoir
s'en sortir. Parce qu'eux n'arrivaient à s'en sortir, ou n'en
avaient plus l'envie; il fallait qu'ils l’entraînent dans la
spirale de la fin.
« Françoise!...Tu
prends encore un coup? »
La femme était sur le
dos. Elle était proche d'un coma éthylique. Elle avait son pantalon
baissé. Un homme aussi. Il s'agitait. C'était bestial. Elle n'avait
même pas la force de pleurer. Sans doute avait-elle perdue toutes
ses larmes. Sans doute avait-elle déjà pleuré tout son saoul. Elle
ne leur voulait même pas. Parfois, ils leur arrivaient de la
protéger face à des gosses mal intentionnés. Sans doute était-ce
le prix de sa sécurité. C'était la forme de rachat de la rue. Il
allait bientôt finir et elle allait pouvoir dormir. A moins qu'ils
ne se battent. L'autre jour, l'un d'eux a perdu un œil. Une bagarre
à propos d'une bêtise. Il ne faisait pas trop froid. On lui mit une
couverture sur elle. Il allait falloir qu'elle attende quelques jours
avant de refaire une tentative.
Le jour n'était pas
encore levé, elle se réveilla. Elle avait un peu mal partout. Ses
compagnons dormaient comme des biens heureux. Ils n'étaient pas trop
méchants. Ils y en avaient bien un ou deux qui avaient l'alcool
mauvais, mais, dans l'ensemble, elle avait une paix relative. Elle se
réajusta un peu. Elle ramassa son sac et c'était repartit pour une
journée de marche. Il ne fallait pas qu'elle reste trop longtemps au
même endroit. Il fallait éviter les gosses, les flics, les regards
de tous ces gens normaux. Il fallait que dans la journée, elle ne
soit qu'une ombre. En fait, quelque chose qui ne devait en aucun cas
perturber la marche normale de la société.
« Vous comprenez, ces
gens ne sont pas humains. Ce sont des ivrognes incorrigibles. Nous ne
devons pas les voir. Qu'ils existent, oui, mais, nous ne voulons pas
les voir; »
Une semaine plus tard, il
n'était même pas 5 heures et Françoise était sur la route. Elle
approchait du but. Une heure plus tard, elle avait atteint le village
voisin. Elle avait gagnée! Elle était sortie de prison! Elle avait
gagnée! Sera-t-elle heureuse pour autant? Nous ne répondrons pas à
cette question.
Dorénavant, j'essayais de retourner le plus souvent possible dans
cet endroit. Je risquais d'y perdre la santé mais il me fallait
rattraper un passé que j'avais foutu en l'air.
« Prendrez-vous un café?
-Jamais!...Donnez moi
plutôt un double whisky...Savez vous où je puis la rejoindre?
-Venez derrière, je vais
vous répondre. »
Nous passâmes dans la
réserve. Elle s'assit sur le rebord de cartons, releva sa jupe et me
montra son sexe luisant et offert.
« Je ne peux pas vous
expliquer mais s'il vous plaît, ne me jugez pas. »
J'ouvris mon pantalon et
je m'introduisis en elle. Elle gémit de soulagement. Je bougeais en
elle en râlant et j'accélérai. Elle murmurait tous les mots que
j'aurais pu avoir envie d'entendre si j'avais attendu quoique ce soit
de quelqu'un. Nous réajustâmes nos tenues et à peine revenus au
comptoir, nous n'avions jamais fait que bavarder.
« Je vous ressers un
verre?
-Oui, Gisèle, s'il vous
plaît. »
J'avais un peu de
nostalgie. Toutes ces années gâchées à ne pas croire en l'amour.
Et le sexe.
« Peux-tu me dire où
elle est, Gisèle?
-Il y en a certains qui
disent qu'ils l'ont vu traîner du côté de la Tour de la Maîtrise.
-La Maîtrise?...La
Maîtrise du temps?...De l'espace et de l'infini?...C'est tout à
fait le lieux dans lequel nous devons nous revoir.
-L'ennuyeux c'est qu'elle
n’apparaît que lorsqu'elle en a envie.
-C'est que j'ai comme une
impatience une irrépressible envie de vérifier que j'ai bien eu
tort, que j'ai bien perdu mes années...Je serais presque à partir
avec elle, dans l'au delà...
-Il paraîtrait qu'elle
semble attendre quelqu'un depuis des années.
-Il me semble que cela
pourrait être moi.
-Nous ne pouvons penser
que nous allons vous oublier...
-Merci Gisèle...Au
revoir... »
Personne n'était venu me
parler de ce brouillard. Je ne retrouverais plus mon chemin. Comment
trouver cette tour? Comment la trouver? Je venais de descendre les
marches lorsqu'une voix qui semblait venir d'un lointain passé,
m'arrêta par un bref:
« Salut Paul. »
Je me retournais. Un
sourire me vint sans que je n'ai à me forcer.
« Salut Delphine. »
Je vins m'asseoir près
d'elle.
« Comme c'est étrange!
Nous en sommes là par ta faute.
-C'est vrai! Et en te
regardant, je m'en veux énormément. »
Elle baissa un peu la
tête.
« Crois-tu que nous
aurions pu être encore ensemble?
-Je ne sais pas...Je ne
sais pas...Sans doute étions nous trop jeunes, trop inexpérimentés?
-Il paraît que souvent,
je vais penser à toi mais pourquoi faut-il que je ne me rappelle de
vous toutes comme des échecs cuisants alors que vous n'avez été
que des anecdotes, des péripéties sur une trajectoire qui me mène
jusqu'à mon fils?
-Tu n'as pas à avoir de
regrets. Nous en sommes tous là...
-Es-tu heureuse sans moi?
-Oui...
-T'arrive-t-il de penser
un peu à moi?
-Pas
forcement...Aujourd'hui, je suis heureuse de te voir, de te parler.
-Nous allons reprendre
nos routes, alors...
-Oui, le reste aurait été
stupide... »
Je me levais, lui fit la
bise et partit non sans lui souhaiter tout le bonheur possible. En
fait, je ne pouvais tolérer qu'elle soit heureuse alors qu'elle ne
pensait pas avec regret au fait que l'on ne soit pas ensemble. Je
n'avais pas fait 5 mètres que, déjà, je ne sentais plus ses yeux
sur mes épaules. Merde,alors! J'avais aperçu cette rue au doux nom
prometteur de rue de l'oubli. Je m'étais aussitôt promis d'avoir
envie de m'y perdre. La sensation que l'on peut avoir une aventure à
chaque instant de la vie.
« Je veux pouvoir rêver
de toi à chaque moment de mon existence. J'aimerais avoir la
puissance de pouvoir ressentir ton corps contre moi. »
Je ne voulais rien faire
d'autre aujourd'hui que de marcher dans cette rue. Comme une envie
irrépressible de vouloir disparaître dans l'oubli. On pouvait très
bien imaginer que des amants avaient dû courir pour échapper à la
vindicte des cocus. Il y avait sans doute cet homme qui avait disparu
suite à une mauvaise fortune. Personne ne s'en était préoccupé
jusqu'à ce qu'on retrouve un testament. Lorsque je la pris cette
rue, je fus soulagé de constater que je ne fondais pas, que j'allais
sans doute arriver de l'autre côté. Soudain, à terre, deux
feuilles d'une blancheur alarmante, me suggérait de les ramasser.
Voilà ce que j'y lis:
Le Mystère du Pont
Bleu
C'est au hasard de ma
vie que j'ai découvert le pont bleu. Il ne pouvait exister avant ce
jour et sans doute ne sera t-il qu'un souvenir ambiguë dans ma
mémoire et dans mon cœur. Pendant plus de trois ans, je l'ai
regardé, observé; J'ai à la fois voulu le garder, le chérir, le
protéger mais aussi le détruire, l'ensevelir et l'oublier ou le
franchir... Mais le pont Bleu a eu raison de mes colères et de mes
passions. Le pont bleu si tentant à être franchi pour me retrouver
ou pour me libérer grâce à l'être aux multiples visages, l'être
aux multiples connexions l'être aux multiples voyages. Son seul
interdit était de franchir ce pont bleu. Tout pouvait être dit ou
fait devant mon magicien sauf franchir ce pont bleu. Car on se
trouvait de l'autre côté du pont bleu. De l'autre coté du pont
bleu. Assis dans un inconfortable fauteuil où je le voyais se tordre
de malaise de mal être puis s'endormir, épuisé.. Il m'observait II
m'écoutait Et j'en faisais tout autant. Le pont bleu entre nous me
guérissait semble t-il et pourtant parfois je ne le supportais plus.
Lorsque je regardais le pont bleu,je le voyais si court. De chaque
côté se trouvaient ses souliers et les miens... Combien de fois
ai-je imaginée traverser ce pont bleu ? Mais mon magicien me disait
doucement de rester où j'étais. Alors j'ai continué à grandir
devant ce pont bleu. Garder la distance pour que l'être aux
multiples visages me parle toujours, alors qu'il m'avait vu sur
l'autre rive ensevelie sous une chape de lave consolidée où je me
voyais comme une morte vivante, enfermée dans un immense cri de
naissance avec l'abandon comme seule compagne, les hurlements comme
seuls amis les yeux figés vers l'extérieur sans comprendre ce qui
m'arrive. Une terrible et angoissante agonie livrée sur le trottoir
pour que sur elle s'essuient les chaussures d'une maman et d'une
famille entière, dans une totale indifférence à la vie qui vient
d'éclore sans joie. Personne n'avait entendu les cris sourds du
nouveau né de trente quatre ans même pas moi. Seul un bébé
naissant les avait entendus et me les a rappelé. J'ai ressenti
l'immense douleur dans ma chair de ce cri qui ne cessera jamais de
raconter la torpeur de l'éloignement à quelque semaines,
impardonnable déchirure d'avoir été abandonnée puis vendue aux
mains sales et aux visqueuses pensées par une fausse grand mère une
mère en fuite, et une famille arrondissant les angles de leur vie
misérable en décidant d'être aveugle,muet et irresponsable. Il
trouva les mots petit à petit pour détruire ma tombe, restant
toujours de l'autre côté du pont bleu. Ce pont bleu qui était si
court va devenir immense, je ne verrai plus ses souliers rassurant
près des miens car mon magicien part dans le lointain créer
d'autres ponts peut être bleu, pour libérer d'autres souffrances.
Alors que je croyais qu'enfin, il y avait définitivement un fauteuil
pour moi relié à mon magicien par un pont bleu. Que si j'étais
sage,il serait toujours là pour moi avec un pont bleu
infranchissable mais là. Je sais que j'ai vu mon magicien toujours
là même malade, malheureux très malheureux mais fort pour moi et
présent. Je m'en suis voulue parfois de raconter mes petits
désespoirs quand je le voyais partir dans une profonde souffrance?
J'aurai voulu arrêter les règles une seule fois pour ne parler que
de sa douleur, franchir le pont bleu pour l'aider à pleurer dans mes
bras. Alors ne pas franchir ce pont bleu devenait un supplice car ma
nature voulait franchir tous les ponts du monde pour consoler quelque
peu les souffrances car c'est insupportable de devenir à son tour
aveugle et muet dans sa misérable vie. Passer à côté d'une
souffrance dans l'indifférence m'est insupportable. Mais ces ponts
là ne sont pas magiques. Le pont bleu lui est unique. Il ne peut
exister qu'entre le magicien et moi. C'est pourquoi à force de
pleurer, je vais sans doute engloutir ce pont bleu pour que mon
magicien se repose là bas dans le lointain. Loin de mes souliers qui
toujours sont rester de l'autre côté du pont bleu. Je dois laisser
partir mon magicien et laisser le pont bleu. Laisser le Pont Bleu
Non/ je vais l'engloutir de mon chagrin égoïste et je raconterai
mon Atlantide et le mystère du pont bleu Mais si jamais mon magicien
revenait me voir , je ne serai pas bien loin du pont bleu englouti et
je retrouverai les mots magiques pour le sortir des larmes. Car il y
a bien longtemps j'ai découvert le secret pour ne pas perdre mon
magicien, JE N'AI JAMAIS,JAMAIS TRAVERSÉ LE PONT BLEU.
Qui n'avait jamais eu
besoin d'un pont bleu? Je veux reconnaître que le parcours de ce
pont, ne pourra n'être que le rêve d'une rencontre avec Ann la
cadavre et Paul le performeur. Qui pourrait m'avouer que j'étais son
pont bleu? Elle a bien pleuré quand j'ai été odieux. Elle
cherchait à respirer mais l'air était rare et pollué. J'aimerais
que tu ne regrettes jamais de m'avoir rencontré: aimé, désiré.
J'aurais aimé avoir cette paix relative que je vis actuellement,
pour me dire:
« Ouais, la vie avec toi
est le pont bleu de la joie. Je veux être à tes côtés mais si on
n'avait aucune chance de mourir l'un à côté de l'autre. Sans doute
n'avais-tu aucune idée de comment faire avec moi? J'ai tout fait
pour te dégoûter de moi. Malheureusement, j'ai été très
efficace. »
J'étais donc sur la
route. Cette tour n'était sûrement pas si loin. Je n'avais pas à
regarder où j'allais. Maintenant, je savais que je ne pouvais plus
me perdre. La porte s'ouvrit toute seule à mon approche. Lorsque je
sentis l'air m'arriver dans le dos, je compris que je ne serais plus
jamais seul.
« Je n'ai jamais cessé
de penser à toi. Tu as toujours été un point lumineux.
-Je ne peux pas pouvoir
faire grand chose pour toi.
-Ce que je regrette,
c'est de ne pas avoir franchi cette distance qui me séparait de toi.
Je n'ai jamais su le faire.
-Penses tu que nous
soyons définitivement des regrets?
-Y aura-t-il une issue
favorable à tout cela? Bon, qu'allons nous faire?
-Nous pouvons aller boire
un verre et nous expliquer nos vies.
-D'accord. Donnons nous
rendez vous.
-Pas la peine! Je pense
que nous nous reverrons bientôt. »
J'étais un peu dépité
par tant de légèreté mais que pouvais-je y changer? Tout prit fin
lorsque je me réveilla avec les deux feuilles dans les mains. Les
avais-je vraiment trouvées ou les avais-je moi-même écrites?
Lorsque l'on parcoure le monde en tout sens, nos limites ne sont
vraiment pas visibles. Ce qui faillit mettre un terme à tout cela,
ce fut lorsque j'appris le décès d'Ann. Ce fut un coup d'arrêt.
Toute la matinée se figea soudainement. Je n'avais plus la tentation
de vouloir intercepter des astres. Paris venait de perdre une
casquette, une émotion. Et moi, j'allais continuer mais pourquoi
faire? Je décidais d'aller à l'enterrement. Jeudi 6 novembre. Oui,
c'est au mois de novembre que l'on enterre ceux qui nous touche. Même
en juin, c'est novembre. Personne ne suivait le cortège. Personne ne
se penchait sur le trou. Personne d'autre ne pouvait déposer sa
casquette sur le cercueil. Même à ce moment là, je n'ai pas réussi
à la croiser. Je lui en voulais de ne pas m'avoir reconnu quelques
mois plus tard. Mais tout cela est normal car, à l'époque, je ne
laissais jamais d'empreinte, de trace. Ma vocation était l'oubli.
Elle aussi s'enfonçait jour après jour dans un hypothétique avenir
en forme de surin. On n'avait pas besoin de la voir longtemps pour
savoir qu'on allait attendre avec impatience une prochaine rencontre.
J'étais seul, debout, devant un trou que ce pauvre corps n'arrivera
jamais à combler. Je pensais que de ne pas la croiser, la protégeait
de l'inévitable. Quelque chose venait de changer. Il fallait que
j'en prenne conscience. J'ai rejoint ma chambre, ma cellule et j'ai
attendu que ça passe.
« Allô?
-Je pense que c'est le
moment d'aller le prendre ce verre?
-Oui, je le pense. Je
vais en avoir besoin.
-Rejoins moi à la
Corvette, je t'attends... »
Je ne sais pas si c'est à
cause de ma douleur, mais je la trouvais parfaitement superbe.
« Tu es superbe,
Corinne.
-Merci...Assieds toi...Je
sais que tu es triste.
-Oui, j'ai perdu une amie
que je ne connaissais pas.
-Cela arrive
souvent..Lorsque j'ai perdu ma mère, Françoise m'a recueillie.
-Françoise?...
-Oui, Françoise, elle a
été une très bonne mère. Par hasard, elle m'a parlé de toi et
j'ai reconnu celui qui était amoureux de moi sans l'avouer. »
Je baissais la tête.
« Ce n'est pas grave,
Paul...C'est dommage, c'est tout...Françoise m'a recueillie...C'est
une gentille femme...
-Oui, c'est vrai...
-J'ai suivi mes
études...J'ai rencontré ce journaliste qui m'a séduit...Je n'avais
pas le choix, Paul, J'étais seule. Il fallait que l'on me protège.
Il est gentil, c'est ça, il est gentil. Nous parlons de toi,
Françoise et moi...
-J'étais donc important
pour toi?
-Enfin, Paul, ce n'est
pas parce que tu n'as pas osé que je me moquais de toi.
-Depuis que Françoise me
parle de toi, je crée des histoires dans lesquelles nous sommes
ensemble.
-Paul, nous vivons nos vies...Faire quelque chose ensemble ne serait qu'un lugubre adultère. A peine susceptible de nous satisfaire physiquement. De toute manière, nous serons tristes et ténébreux. Le passé ne peut se satisfaire de situations glauques. Nous n'allons que salir ce qui aurait pu être beau.
-Peut-être as-tu raison?...Mais si nous ne faisons rien, nous resterons sur un regret...
-Paul, nous vivons nos vies...Faire quelque chose ensemble ne serait qu'un lugubre adultère. A peine susceptible de nous satisfaire physiquement. De toute manière, nous serons tristes et ténébreux. Le passé ne peut se satisfaire de situations glauques. Nous n'allons que salir ce qui aurait pu être beau.
-Peut-être as-tu raison?...Mais si nous ne faisons rien, nous resterons sur un regret...
-Je supposais bien que tu
serais comme cela. Paul, n'oublie pas, que nous ne sommes réels que
parce que nous accordons de l'importance à nos envies.
-Corinne, je ne pense pas
que nous puissions continuer à nous voir.
-Tu fais comme tu en as
envie, Paul.
-Bonne continuation,
Corinne. »
Je la laissais tranquille
mais je fis en sorte de ne pas revivre d'aurore décalée jusqu'à la
fin de ma vie. C'est drôle! On m'enterra un 6 novembre. Finalement,
comme tous ceux de ma race.
FIN.
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