vendredi 19 janvier 2018

Editorial A Contre-Courant Avril 2005

Le plat de lentilles de Raffarin

On s’agite et on s’énerve au Château. Pensez donc : voilà que les gueux s’apprêtent à mal voter et à faire perdre la face à notre Président, notre Premier sinistre, son gouvernement, les deux premiers secrétaires de l’UMPS, des dirigeants d’appareils syndicaux bien installés dans la CES et la cohorte des intellos et journaleux qui, à leur côté, battent l’estrade depuis des semaines pour nous expliquer que le paradis du Capital est à portée d’urne.
Manque de bol, à en croire les derniers sondages, une majeure partie des électeurs s’apprêtent à leur dire « merde ! ». Non pas qu’ils aient mal compris quel est l’enjeu de ce vote, comme vont le répétant les mêmes porte-drapeaux de la cause dudit traité, en les faisant passer pour des demeurés et des abrutis. Mais bien parce qu’ils l’ont trop bien compris : on veut non seulement leur faire avaliser les dégradations néo-libérales “européennes” passées ; mais encore leur faire consentir par avance à toutes celles que ce traité rendra possibles dans l’avenir.
Le traité est illisible et fait pour l’être. Pour le comprendre il suffit de considérer ce que la vie est devenue depuis que la fausse gauche ou la vraie droite ont décidé de « réformer » selon les canons de la doctrine néo-libérale. Les quatre millions de chômeurs, le million et demi de personnes en sous emploi, les plus de six millions de personnes vivant sous le seuil officiel de pauvreté, voilà la face sombre à peine cachée du département français du paradis du Capital qu’il s’agit de « constitutionnaliser ». Et les départements étrangers ne se portent pas mieux.
Dans tous cependant, ce même paradis a aussi, comme il se doit, son côté lumineux : les profits des grosses entreprises ont connu une progression historique l’an dernier, cependant battue par celle enregistrée par les grandes fortunes.
L’avenir [déjà présent : voir p. 5 et 6], on l’a deviné dans la directive Frankenstein. Il s’agit tout simplement d’égaliser la condition de tous les travailleurs de l’Union européenne…par le bas ! La loi du marché est dure mais c’est la loi : pas de raison que le prolo breton soit mieux payé que son collègue poméranien, morave ou syldave.
En conséquence, pour prévenir la fâcheuse issue prévisible, le Château gesticule et lâche du lest. Chirac nous fait croire qu’il a tapé du poing sur la table pour que la directive en question soit ajournée et révisée. Fillon a été prié de revoir certains passages de sa copie, qui avait fait descendre les lycéens dans la rue. Et Raffarin a promis de mettre la main à la poche pour au moins couper court à la mobilisation des fonctionnaires, dans un contexte où d’autres secteurs entrent en lutte. Luttes et prise de conscience vont de pair. Le gouvernement voit le danger et tente d’échanger quelques votes pour un plat de lentilles : le voilà prêt à “négocier” de moindres régressions avec des responsables syndicaux qui n’attendent que ça : ne sont-ils pas, presque tous, favorables au “oui” ?!
La ficelle est cependant un peu grosse. A nous de déjouer la manœuvre dans la rue, dans les grèves et les occupations pour s’offrir, en prime, le 29 mai prochain, le spectacle de Sarkozy et Hollande tombant dans les bras l’un de l’autre : en pleurs !

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