Avant-propos
Vous connaissez, mes frères,
mon désintéressement ; je ne sacrifie point ma croyance à un vil intérêt. Si
j'ai embrassé une profession si directement opposée à mes sentiments, ce n'est
point par cupidité : j'ai obéi à mes parents. Je vous aurais plus tôt éclairés
si j'avais pu le faire impunément. Vous êtes témoins de ce que j'avance. Je
n'ai point avili mon ministère en exigeant des rétributions qui y sont
attachées.
J'atteste le Ciel que j'ai
aussi souverainement méprisé ceux qui se riaient de la simplicité des peuples
aveuglés, lesquels fournissaient pieusement des sommes considérables pour
acheter des prières. Combien n'est pas horrible ce monopole ! Je ne blâme pas
le mépris que ceux qui s'engraissent de vos sueurs & de vos peines
témoignent pour leurs mystères & leurs superstitions ; mais je déteste leur
insatiable cupidité & l'indigne plaisir que leurs pareils prennent à se
railler de l'ignorance de ceux qu'ils ont soin d'entretenir dans cet état
d'aveuglement.
Qu'ils se contentent de rire
de leur propre aisance, mais qu'ils ne multiplient pas du moins les erreurs, en
abusant de l'aveugle piété de ceux qui par leur simplicité leur procurent une
vie si commode. Vous me rendez sans doute, mes frères, la justice qui m'est
due. La sensibilité que j'ai témoignée pour vos peines me garantit du moindre
de vos soupçons. Combien de fois ne me suis-je point acquitté gratuitement des
fonctions de mon ministère ! Combien de fois aussi ma tendresse n'a-t-elle pas
été affligée de ne pouvoir vous secourir aussi souvent & aussi abondamment
que je l'aurais souhaité ! Ne vous ai-je pas toujours prouvé que je prenais
plus de plaisir à donner qu'à recevoir ? J'ai évité avec soin de vous exhorter
à la bigoterie ; & je ne vous ai parlé qu'aussi rarement qu'il m'a été
possible de nos malheureux dogmes. Il fallait bien que je m'acquittasse, comme
Curé, de mon ministère. Mais aussi combien n'ai-je pas souffert en moi-même,
lorsque j'ai été forcé de vous prêcher ces pieux mensonges que je détestais
dans le coeur ! Quel mépris n'avais-je pas pour mon ministère, & particulièrement
pour cette superstitieuse messe, & ces ridicules administrations de
sacrements, surtout lorsqu'il fallait les faire avec cette solennité qui
attirait votre piété & toute votre bonne foi ! Que de remords ne m'a point
excités votre crédulité ! Mille fois sur le point d'éclater publiquement,
j'allais dessiller vos yeux ; mais une crainte supérieure à mes forces me
contenait soudain, & m'a forcé au silence jusqu'à ma mort.
Chapitre
I
Ire Preuve, tirée des motifs
qui ont porté les hommes à établir une Religion.
Comme il n'y a aucune secte
particulière de Religion qui ne prétende être véritablement fondée sur
l'autorité de Dieu, & entièrement exempte de toutes les erreurs &
impostures qui se trouvent dans les autres, c'est à ceux qui prétendent établir
la vérité de leur secte à faire voir qu'elle est d'institution Divine, par des
preuves & des témoignages clairs & convaincants, faute de quoi il
faudra tenir pour certain qu'elle n'est que d'invention humaine, pleine d'erreurs
& de tromperies car il n'est pas croyable qu'un Dieu tout-puissant,
infiniment bon, aurait voulu donner des lois & des ordonnances aux hommes,
& qu'il n'aurait pas voulu qu'elles portassent des marques plus sûres &
plus authentiques de vérité que celles des imposteurs qui sont en si grand
nombre. Or, il n'y a aucun de nos Christicoles, de quelque secte qu'il soit,
qui puisse faire voir, par des preuves claires, que sa Religion soit
véritablement d'institution Divine ; & pour preuve de cela, c'est que
depuis tant de siècles qu'ils sont en contestation sur ce sujet les uns contre
les autres, même jusqu'à se persécuter à feu & à sang pour le maintien de
leurs opinions, il n'y a eu cependant encore aucun parti d'entre eux qui ait pu
convaincre & persuader les autres par de tels témoignages de vérité, ce qui
ne serait certainement point, s'il y avait de part & d'autre des raisons ou
des preuves claires & sûres d'une institution Divine : car comme personne
d'aucune secte de Religion, éclairé & de bonne foi, ne prétend tenir &
favoriser l'erreur & le mensonge, & qu'au contraire chacun de son côté
prétend soutenir la vérité, le véritable moyen de bannir toutes erreurs, &
de réunir tons les hommes en paix dans les mêmes sentiments & dans une même
forme de Religion, serait de produire ces preuves & ces témoignages
convaincants de la vérité, & de faire voir par là que telle Religion est
véritablement d'institution Divine, & non pas aucune des autres. Alors
chacun se rendrait à cette vérité, & personne n'oserait entreprendre de combattre
ces témoignages, ni soutenir le parti de l'erreur & de l'imposture, qu'il
ne fût en même temps confondu par des preuves contraires ; mais comme ces
preuves ne se trouvent dans aucune Religion, cela donne lieu aux imposteurs
d'inventer & de soutenir hardiment toutes sortes de mensonges.
Voici encore d'autres
preuves qui ne feront pas moins clairement voir la fausseté des Religions
humaines, & surtout la fausseté de la nôtre.
Chapitre
II
IIe Preuve tirée des Erreurs
de la Foi.
Toute Religion qui pose pour
fondement de ses mystères, & qui prend pour règle de sa doctrine & de
sa morale un principe d'erreurs, & qui est même une source funeste de
troubles & de divisions éternelles parmi les hommes, ne peut être une
véritable Religion, ni être d'institution Divine. Or les Religions humaines,
& principalement la catholique, pose pour fondement de sa doctrine & de
sa morale un principe d'erreurs. Donc, etc. Je ne vois pas qu'on puisse nier la
première proposition de cet argument : elle est trop claire & trop évidente
pour pouvoir en douter. Je passe à la preuve de la seconde proposition, qui est
que la Religion Chrétienne prend pour règle de sa doctrine & de sa morale
ce qu'ils appellent foi, c'est-à-dire une créance aveugle, mais cependant ferme
& assurée, de quelques lois, ou de quelques révélations Divines, & de
quelque Divinité. Il faut nécessairement qu'elle le suppose ainsi, car c'est
cette créance de quelque Divinité & de quelques révélations Divines qui
donne tout le crédit & tout l'autorité qu'elle a dans le monde, sans quoi
on ne ferait aucun état de ce qu'elle prescrirait. C'est pourquoi il n'y a
point de Religion qui ne recommande expressément à ses sectateurs 3 d'être
fermes dans leur foi. De là vient que tous les Christicoles tiennent pour
maximes que la foi est le commencement & le fondement du salut, &
qu'elle est la racine de toute justice & de toute sanctification, comme il
est marqué dans le concile de Trente, sess. 6, chap. VIII.
Or il est évident qu'une
créance aveugle de tout ce qui se propose sous le nom & l'autorité de Dieu
est un principe d'erreurs & de mensonges. Pour preuve, c'est que l'on voit
qu'il n'y a aucun imposteur, en matière de Religion, qui ne prétende se couvrir
du nom de l'autorité de Dieu, & ne se dise particulièrement inspiré & envoyé
de Dieu. Non seulement cette foi & cette créance aveugle, qu'ils posent
pour fondement de leur doctrine, est un principe d'erreurs, etc., mais elle est
aussi une source funeste de troubles & de divisions parmi les hommes, pour
le maintien de leur Religion. Il n'y a point de méchanceté qu'ils n'exercent
les uns contre les autres sous ce spécieux prétexte.
Or il n'est pas croyable
qu'un Dieu tout-puissant, infiniment bon & sage, voulut se servir d'un tel
moyen ni d'une voie si trompeuse pour faire connaître ses volontés aux hommes :
car ce serait manifestement vouloir les induire en erreur & leur tendre des
pièges pour leur faire embrasser le parti du mensonge. Il n'est pareillement
pas croyable qu'un Dieu qui aimerait l'union & la paix, le bien & le salut
des hommes, eut jamais établi, pour fondement de sa Religion, une source si
fatale de troubles & de divisions éternelles parmi les hommes. Donc des
Religions pareilles ne peuvent être véritables, ni avoir été instituées de
Dieu.
Mais je vois bien que nos
Christicoles ne manqueront pas de recourir à leurs prétendus motifs de
crédibilité, & qu'ils diront que, quoique leur foi & leur créance
soient aveugles en un sens, elles ne laissent pas néanmoins d'être appuyées par
de si clairs & de si convaincants témoignages de vérité que ce serait non
seulement une imprudence, mais une témérité & une grande folie de ne pas
vouloir s'y rendre. Ils réduisent ordinairement tous ces prétendus motifs à
trois ou quatre chefs.
Le premier, ils le tiennent
de la prétendue sainteté de leur Religion, qui condamne le vice, & qui
recommande la pratique de la vertu. Sa doctrine est si pure, si simple, à ce
qu'ils disent, qu'il est visible qu'elle ne peut venir que de la pureté &
de la sainteté d'un Dieu infiniment bon & sage. Le
second motif de crédibilité, ils le tirent de l'innocence & de la sainteté
de la vie de ceux qui l'ont embrassée avec amour, & défendue jusqu'à
souffrir la mort, & les plus cruels tourments, plutôt que de l'abandonner,
n'étant pas croyable que de si grands personnages se soient laissé tromper dans
leur créance, qu'ils aient renoncé à tous les avantages de la vie, & se
soient exposés à de si cruelles persécutions, pour ne maintenir que des erreurs
& des impostures.
Ils tirent leur troisième
motif de crédibilité des oracles & des prophéties qui ont été depuis si
longtemps rendus en leur faveur, & qu'ils prétendent accomplis d'une façon
à n'en point douter.
Enfin leur quatrième motif
de crédibilité, qui est comme le principal de tous, se tire de la grandeur
& de la multitude des miracles faits en tout temps & en tous lieux en
faveur de leur Religion.
Mais il est facile de
réfuter tous ces vains raisonnements, & de faire connaître la fausseté de
tous ces témoignages. Car
1°. Les arguments que nos
Christicoles tirent de leurs prétendus motifs de crédibilité peuvent également
servir à établir & confirmer le mensonge comme la vérité : car l'on voit
effectivement qu'il n'y a point de Religion, si fausse qu'elle puisse être, qui
ne prétende s'appuyer sur de semblables motifs de crédibilité ; il n'y en a
point qui ne prétende avoir une doctrine saine & véritable, et, au moins en
sa manière, qui ne condamne tous les vices, & ne recommande la pratique de
toutes les vertus. Il n'y en a point qui n'ait eu de doctes & de zélés
défenseurs, qui ont souffert de rudes persécutions pour le maintien & la
défense de leur Religion ; & enfin il n'y en a point qui ne prétende avoir
des prodiges & des miracles qui ont été faits en sa faveur.
Les Mahométans, les Indiens,
les Païens, en allèguent en faveur de leurs Religions aussi bien que les
Chrétiens. Si nos Christicoles font état de leurs miracles & de leurs
prophéties, il ne s'en trouve pas moins dans les Religions Païennes que dans la
leur. Ainsi l'avantage que l'on pourrait tirer de tous ces prétendus motifs de
crédibilité se trouve à peu près également dans toutes sortes de Religions.
Cela étant, comme toutes les
histoires & la pratique de toutes les Religions le démontrent, il s'ensuit
évidemment que tous ces prétendus motifs de crédibilité, dont nos Christicoles
veulent tant se prévaloir, se trouvent également dans toutes les Religions,
& par conséquent ne peuvent servir de preuves & de témoignages assurés
de la vérité de leur Religion, non plus que de la vérité d'aucune : la conséquence
est claire.
2°. Pour donner une idée du
rapport des miracles du paganisme avec ceux du Christianisme, ne pourrait-on
pas dire, par exemple, qu'il y aurait plus de raison de croire Philostrate en
ce qu'il récite de la vie d'Apollonius, que de croire tous les Evangélistes
ensemble dans ce qu'ils disent des miracles de Jésus-Christ, parce que l'on
sait au moins que Philostrate était un homme d'esprit, éloquent & disert,
qu'il était secrétaire de l'Impératrice Julie, femme de l'Empereur Sévère,
& que ç'a été à la sollicitation de cette Impératrice qu'il écrivit la vie
& les actions merveilleuses d'Apollonius ? marque certaine que cet
Apollonius s'était rendu fameux par de grandes & extraordinaires actions,
puisqu'une Impératrice était si curieuse d'avoir sa vie par écrit ; ce que l'on
ne peut nullement dire de J.-C., ni de ceux qui ont écrit sa vie, car ils
n'étaient que des ignorants, gens de la lie du peuple ; de pauvres mercenaires,
des pêcheurs qui n'avaient pas seulement l'esprit de raconter de suite &
par ordre les faits dont ils parlent, & qui se contredisent même très
souvent & très grossièrement.
À l'égard de celui dont ils
décrivent la vie & les actions, s'il avait véritablement fait les miracles
qu'ils lui attribuent, il se serait infailliblement rendu très recommandable
par ses belles actions : chacun l'aurait admiré, & on lui aurait érigé des
statues, comme on a fait en faveur des dieux ; mais au lieu de cela on l'a
regardé comme un homme de néant, un fanatique, etc.
Josèphe l'historien, après
avoir parlé des plus grands miracles rapportés en faveur de sa nation & de
sa Religion, en diminue aussitôt la créance & la rend suspecte, en disant
qu'il laisse à chacun la liberté d'en croire ce qu'il voudra : marque bien
certaine qu'il n'y ajoutait pas beaucoup de foi. C'est aussi ce qui donne lieu
aux plus judicieux de regarder les histoires qui parlent de ces sortes de
choses comme des narrations fabuleuses. Voyez Montaigne & l'auteur de
l'Apologie des grands hommes. On peut aussi voir la relation des missionnaires
de l'île de Santorini : il y a trois chapitres de suite sur cette belle
matière.
Tout ce que l'on peut dire à
ce sujet nous fait clairement voir que les prétendus miracles se peuvent
également imaginer en faveur du vice & du mensonge, comme en faveur de la
justice & de la vérité.
Je le prouve par le
témoignage de ce que nos Christicoles mêmes appellent la parole de Dieu, &
par le témoignage de celui qu'ils adorent : car leurs livres, qu'ils disent
contenir la parole de Dieu, & le Christ luimême qu'ils adorent comme un
Dieu fait homme, nous marquent expressément qu'il y a non seulement de faux
Prophètes, c'est-à-dire des imposteurs qui se disent envoyés de Dieu & qui
parlent en son nom, mais nous marquent expressément encore qu'ils font & qu'ils
feront de si grands & si prodigieux miracles que peu s'en faudra que les
justes n'en soient séduits. Voy. Matthieu, XXIV, 5, 11, 24, & ailleurs.
De plus, ces prétendus
faiseurs de miracles veulent qu'on y ajoute foi, & non à ceux que font les
autres d'un parti contraire au leur, se détruisant les uns les autres.
Un jour, un de ces prétendus
Prophètes, nommé Sédécias, se voyant contredit par un autre appelé Michée,
celui-là donna un soufflet à celuici, & lui dit plaisamment 4 : "Par
quelle voie l'esprit de Dieu a-t-il passé de moi pour aller à toi ?" Voyez
encore III, Reg., XVIII, 40 & autres.
Mais comment ces prétendus
miracles seraient-ils des témoignages de vérité, puisqu'il est clair qu'ils
n'ont pas été faits ? Car il faudrait savoir : 1° si ceux que l'on dit être les
premiers auteurs de ces narrations le sont véritablement ; 2° s'ils étaient
gens de probité, dignes de foi, sages & éclairés, & s'ils n'étaient
point prévenus en faveur de ceux dont ils parlent si avantageusement ; 3° s'ils
ont bien examiné toutes les circonstances des faits qu'ils rapportent, s'ils
les ont bien connues, & s'ils les rapportent bien fidèlement ; 4° si les
livres ou les histoires anciennes qui rapportent tous ces grands miracles n'ont
pas été falsifiés & corrompus dans la suite du temps, comme quantité
d'autres l'ont été.
Que l'on consulte Tacite
& quantité d'autres célèbres historiens au sujet de Moïse & de sa
nation, on verra qu'ils sont regardés comme une troupe de voleurs & de
bandits. La magie & l'astrologie étaient pour lors les seules sciences à la
mode ; & comme Moïse était, dit-on, instruit dans la sagesse des Égyptiens,
il ne lui fut pas difficile d'inspirer de la vénération & de l'attachement
pour sa personne aux enfants de Jacob, rustiques & ignorants, & de leur
faire embrasser, dans la misère où ils étaient, la discipline qu'il voulut leur
donner. Voilà qui est bien différent de ce que les Juifs & nos Christicoles
nous en veulent faire accroire. Par quelle règle certaine connaîtra-t-on qu'il
faut ajouter foi à ceux-ci plutôt qu'aux autres ? Il n'y en a certainement
aucune raison vraisemblable.
Il y a aussi peu de
certitude, & même de vraisemblance, sur les miracles du Nouveau Testament
que sur ceux de l'Ancien, pour pouvoir remplir les conditions précédentes.
Il ne servirait de rien de
dire que les histoires qui rapportent les faits contenus dans les Evangiles ont
été regardées comme saintes & sacrées, qu'elles ont toujours été fidèlement
conservées sans aucune altération des vérités qu'elles renferment, puisque
c'est peut-être par là même qu'elles doivent être plus suspectes, &
d'autant plus corrompues par ceux qui prétendent en tirer avantage, ou qui
craignent qu'elles ne leur soient pas assez favorables : l'ordinaire des
auteurs qui transcrivent ces sortes d'histoires étant d'y ajouter, d'y changer,
ou d'en retrancher tout ce que bon leur semble pour servir à leur dessein.
C'est ce que nos
Christicoles mêmes ne sauraient nier, puisque, sans parler de plusieurs autres
graves personnages qui ont reconnu les additions, les retranchements & les
falsifications qui ont été faites en différents temps, à ce qu'ils appellent
leur Écriture sainte, leur St Jérôme, fameux docteur parmi eux, dit
formellement en plusieurs endroits de ses prologues qu'elles ont été corrompues
& falsifiées, étant déjà de son temps entre les mains de toutes sortes de
personnes qui y ajoutaient & en retranchaient tout ce que bon leur semblait
: en sorte qu'il y avait, dit-il, autant d'exemplaires différents qu'il y avait
de différentes copies.
Voyez ses prologues à
Paulin, sa préface sur Josué, son Épître à Galéate, sa préface sur Job, celle
sur les Evangiles au pape Damase, celle sur les psaumes à Paul & à
Eustachium, etc.
Touchant les livres de
l'Ancien Testament en particulier, Esdras, prêtre de la Loi, enseigne lui-même
avoir corrigé & remis dans leur entier les prétendus livres sacrés de sa
Loi, qui avaient été en partie perdus & en partie corrompus. Il les
distribua en vingt-deux livres, selon le nombre des lettres hébraïques, &
composa plusieurs autres livres dont la doctrine ne devait se communiquer
qu'aux seuls sages. Si ces livres ont été partie perdus, partie corrompus,
comme le témoignent Esdras & le docteur St Jérôme en tant d'endroits, il
n'y a donc aucune certitude sur ce qu'ils contiennent ; & quant à ce
qu'Esdras dit les avoir corrigés & remis en leur entier par l'inspiration
de Dieu même, il n'y a aucune certitude de cela, & il n'y a point
d'imposteur qui n'en puisse dire autant.
Tous les livres de la Loi de
Moïse & des Prophètes qu'on put trouver furent brûlés du temps d'Antiochus.
Le Talmud, regardé par les Juifs comme un livre Saint & Sacré, & qui
contient toutes les lois Divines, avec les sentences & dits notables des
rabbins ; leur exposition, tant sur les lois Divines qu'humaines, & une
quantité prodigieuse d'autres secrets & mystères de la langue hébraïque,
est regardé par les Chrétiens comme un livre farci de rêveries, de fables,
d'impostures, & d'impiétés. En l'année 1559, ils firent brûler à Rome, par
le commandement des inquisiteurs de la foi, douze cents de ces Talmuds trouvés
dans une bibliothèque de la ville de Crémone.
Les Pharisiens, qui
faisaient parmi les Juifs une fameuse secte, ne recevaient que les cinq livres
de Moïse, & rejetaient tous les Prophètes. Parmi les Chrétiens, Marcion
& ses sectateurs rejetaient les livres de Moïse & les Prophètes, &
introduisaient d'autres écritures à la mode ; Carpocrate & ses sectateurs
en faisaient de même, & rejetaient tout l'Ancien Testament &
maintenaient que Jésus-Christ n'était qu'un homme comme les autres. Les
Marcionites & les souverains réprouvaient aussi tout l'Ancien Testament
comme mauvais, & rejetaient aussi la plus grande partie des quatre
Evangiles, & les Épîtres de St Paul. Les ébionites n'admettaient que le
seul Evangile de St Matthieu, rejetant les trois autres, & les Épîtres de
St Paul. Les Marcionites publiaient un Evangile sous le nom de St Mathias pour
confirmer leur doctrine. Les apostoliques introduisaient d'autres écritures
pour maintenir leurs erreurs, & pour cet effet se servaient de certains
actes, qu'ils attribuaient à St André & à St Thomas.
Les Manichéens (Chron., page
287) écrivirent un Evangile à leur mode, & rejetaient les écrits des
Prophètes & des Apôtres. Les Etzaïtes débitaient un certain livre qu'ils
disaient être venu du Ciel ; ils tronçonnaient les autres écritures à leur
fantaisie. Origène même, avec tout son grand esprit, ne laissait pas que de
corrompre les Écritures, & forgeait à tous coups des allégories hors de
propos, & se détournait, par ce moyen, du sens des Prophètes & des
Apôtres, & même avait corrompu quelques-uns des principaux points de la
doctrine. Ses livres sont maintenant mutilés & falsifiés : ce ne sont plus
que pièces cousues & ramassées par d'autres qui sont venus depuis ; aussi y
rencontre-t-on des erreurs & des fautes manifestes. Les Allogiens
attribuaient à l'hérétique Cérinthus l'Evangile & l'Apocalypse de St Jean :
c'est pourquoi ils les rejetaient. Les hérétiques de nos derniers siècles
rejettent
comme apocryphes plusieurs livres que les catholiques romains regardent comme
saints & sacrés, comme sont les livres de Tobie, de Judith, d'Esther, de
Baruch, le Cantique des trois enfants dans la fournaise, l'histoire de Suzanne,
& celle de l'Idole de Bel, la Sapience de Salomon, l'Ecclésiastique, le
premier & le second livre des Machabées, auxquels livres incertains &
douteux on pourrait encore en ajouter plusieurs que l'on attribuait aux autres
Apôtres, comme sont, par exemple, le Actes de St Thomas, ses Circuits, son
Evangile, & son Apocalypse ; l'Evangile de St Barthélemy, celui de St
Mathias, celui de St Jacques, celui de St Pierre, & celui des Apôtres ;
comme aussi les Gestes de St Pierre, son livre de la Prédication, & celui
de son Apocalypse ; celui du Jugement, celui de l'Enfance du Sauveur, &
plusieurs autres de semblable farine, qui sont tous rejetés comme apocryphes
par les catholiques romains, même par le pape Gélase & par les SS. PP. de
la communion romaine.
Ce qui confirme d'autant
plus qu'il n'y a aucun fondement de certitude touchant l'autorité que l'on
prétend donner à ces livres, c'est que ceux qui en maintiennent la Divinité
sont obligés d'avouer qu'ils n'auraient aucune certitude pour les fixer si leur
foi, disent-ils, ne les en assurait, & ne les obligeait absolument de le
croire ainsi. Or, comme la foi n'est qu'un principe d'erreur & d'imposture,
comment la foi, c'est-àdire une créance aveugle, peut-elle rendre certains les
livres qui sont eux-mêmes le fondement de cette créance aveugle ? Quelle pitié
& quelle démence !
Mais voyons si ces livres
portent en eux-mêmes quelque caractère particulier de vérité, comme par exemple
d'érudition, de sagesse & de sainteté, ou de quelques autres perfections
qui ne puissent convenir qu'à un Dieu, & si les miracles qui y sont cités
s'accordent avec ce que l'on devrait penser de la grandeur, de la bonté, de la
justice & de la sagesse infinie d'un Dieu tout-puissant.
Premièrement, on verra qu'il
n'y a aucune érudition, aucune pensée sublime, ni aucune production qui passe
les forces ordinaires de l'esprit humain.
Au contraire on n'y verra, d'un côté, que des narrations fabuleuses, comme sont
celles de la formation de la femme tirée d'une côte de l'homme, du prétendu
paradis terrestre, d'un serpent qui parlait, qui raisonnait, & qui était
même plus rusé que l'homme ; d'une ânesse qui parlait, & qui reprenait son
maître de ce qu'il la maltraitait mal à propos ; d'un déluge universel, &
d'une arche où des animaux de toute espèce étaient renfermés ; de la confusion
des langues & de la division des nations, sans parler de quantité d'autres
vains récits particuliers sur des sujets bas & frivoles, & que des
auteurs graves mépriseraient de rapporter. Toutes ces narrations n'ont pas
moins l'air de fables que celles que l'on a inventées sur l'industrie de
Prométhée, sur la boîte de Pandore, ou sur la guerre des géants contre les
dieux, & autres semblables que les poètes ont inventées pour amuser les
hommes de leur temps.
D'un autre côté, on n'y
verra qu'un mélange de quantité de lois & d'ordonnances, ou de pratiques
superstitieuses, touchant les sacrifices, les purifications de l'ancienne loi,
le vain discernement des animaux, dont elle suppose les uns purs & les
autres impurs. Ces lois ne sont pas plus respectables que celles des nations
les plus idolâtres.
On n'y verra encore que de
simples histoires, vraies ou fausses, de plusieurs rois, de plusieurs princes
ou particuliers qui auront bien ou mal vécu, ou qui auront fait quelques belles
ou mauvaises actions, parmi d'autres actions basses & frivoles qui y sont
rapportées aussi.
Pour faire tout cela, il est
visible qu'il ne fallait pas avoir un grand génie, ni avoir des révélations
Divines. Ce n'est pas faire honneur à un Dieu.
Enfin on ne voit, dans ces
livres, que les discours, la conduite & les actions de ces renommés
Prophètes qui se disaient être tout particulièrement inspirés de Dieu. On verra
leur manière d'agir & de parler, leurs songes, leurs illusions, leurs
rêveries ; & il sera facile de juger qu'ils ressemblaient beaucoup plus à
des visionnaires & à des fanatiques qu'à des personnes sages &
éclairées.
Il y a cependant dans
quelques-uns de ces livres plusieurs bons enseignements & de belles maximes
de morale, comme dans les Proverbes attribués à Salomon, dans le livre de la
Sagesse & de l'Ecclésiastique ; mais ce même Salomon, le plus sage de leurs
écrivains, est aussi le plus incrédule. Il doute même de l'immortalité de l'âme,
& il conclut ses ouvrages par dire qu'il n'y a rien de bon que de jouir en
paix de son labeur, & de vivre avec ce que l'on aime.
D'ailleurs, combien les
auteurs qu'on nomme profanes, Xénophon, Platon, Cicéron, l'Empereur Antonin,
l'Empereur Julien, Virgile, etc., sont-ils au-dessus de ces livres qu'on nous
dit inspirés de Dieu ! Je crois pouvoir dire que quand il n'y aurait par
exemple, que les Fables d'Ésope, elles sont certainement beaucoup plus
ingénieuses & plus instructives que ne le sont toutes ces grossières &
basses paraboles qui sont rapportées dans les Evangiles.
Mais ce qui fait encore voir
que ces sortes de livres ne peuvent venir d'aucune inspiration Divine, c'est
qu'outre la bassesse & la grossièreté du style, & le défaut d'ordre
dans la narration des faits particuliers qui y sont très mal circonstanciés, on
ne voit point que les auteurs s'accordent ; ils se contredisent en plusieurs
choses ; ils n'avaient pas même assez de lumières & de talents naturels
pour bien rédiger une histoire.
Voici quelques exemples des
contradictions qui se trouvent entre eux. L'Evangéliste Matthieu fait descendre
Jésus-Christ du roi David par son fils Salomon, jusqu'à Joseph, père au moins
putatif de JésusChrist ; & Luc le fait descendre du même David par son fils
Nathan jusqu'à Joseph.
Matthieu dit, parlant de
Jésus, que le bruit s'étant répandu dans Jérusalem qu'il était né un nouveau
roi des Juifs, & que les mages étant venus le chercher pour l'adorer, le
roi Hérode, craignant que ce prétendu roi nouveau-né lui ôtât quelque jour la
couronne, fit égorger tous les enfants nouvellement nés depuis deux ans, dans
tous les environs de Bethléem, ou on lui avait dit que ce nouveau roi devait
naître, & que Joseph & la mère de Jésus ayant été avertis en songe, par
un ange, de ce mauvais dessein, ils s'enfuirent incontinent en Égypte, où ils
demeurèrent jusqu'à la mort d'Hérode, qui n'arriva que plusieurs années après.
Au contraire, Luc marque que
Joseph & la mère de Jésus demeurèrent paisiblement durant six semaines dans
l'endroit où leur enfant Jésus fut né ; qu'il y fut circoncis suivant la Loi
des Juifs, huit jours après sa naissance, & que lorsque le temps prescrit par
cette Loi pour la purification de sa mère fut arrivé, elle & Joseph son
mari le portèrent à Jérusalem pour le présenter à Dieu dans son temple, &
pour offrir en même temps un sacrifice, ce qui était ordonné par la Loi de Dieu
; après quoi ils s'en retournèrent en Galilée dans leur ville de Nazareth, où
leur enfant Jésus croissait tous les jours en grâce & en sagesse ; &
que son père & sa mère allaient tous les ans à Jérusalem, aux jours
solennels de leur fête de Pâques, si bien que Luc ne fait aucune mention de
leur fuite en Égypte, ni de la cruauté d'Hérode envers les enfants de la
province de Bethléem.
À l'égard de la cruauté
d'Hérode, comme les historiens de ce tempslà n'en parlent point, non plus que
Josèphe l'historien, qui a écrit la vie de cet Hérode, & que les autres
Evangélistes n'en font aucune mention, il est évident que le voyage de ces
mages conduits par une étoile, ce massacre des petits enfants, & cette
fuite en Égypte, ne sont qu'un mensonge absurde : car il n'est pas croyable que
Josèphe, qui a blâmé les vices de ce roi, eût passé sous silence une action si
noire & si détestable, si ce que cet Evangéliste dit eût été vrai.
Sur la durée du temps de la
vie publique de Jésus-Christ, suivant ce que disent les trois premiers
Evangélistes, il ne pouvait y avoir eu guère plus de trois mois depuis son
baptême jusqu'à sa mort, en supposant qu'il avait trente ans lorsqu'il fut
baptisé par Jean, comme dit Luc, & qu'il fût né le 25 décembre. Car depuis
ce baptême, qui fut l'an 15 de Tibère-César, & l'année qu'Anne & Caïphe
étaient grands prêtres, jusqu'au premier Pâque suivant, qui était dans le mois
de mars, il n'y avait qu'environ trois mois
; suivant ce que disent les trois premiers Evangélistes, il fut crucifié
la veille du premier Pâque suivant, après son baptême, & la première fois
qu'il vint à Jérusalem avec ses disciples, car tout ce qu'ils disent de son
baptême, de ses voyages, de ses miracles, de ses prédications, & de sa mort
& passion, se doit rapporter nécessairement à la même année de son baptême,
puisque ces Evangélistes ne parlent d'aucune autre année suivante, & qu'il
paraît même, par la narration qu'ils font de ses actions, qu'il les a toutes
faites immédiatement après son baptême, consécutivement les unes après les
autres, & en fort peu de temps, pendant lequel on ne voit qu'un seul
intervalle de six jours avant sa transfiguration, pendant lesquels six jours on
ne voit pas qu'il ait fait aucune chose.
On voit par là qu'il
n'aurait vécu, après son baptême, qu'environ trois mois, desquels, si l'on
vient à ôter six semaines de quarante jours & quarante nuits qu'il passa
dans le désert immédiatement après son baptême, il s'ensuivra que le temps de
sa vie publique, depuis ses premières prédications jusqu'à sa mort, n'aura duré
qu'environ six semaines ; & suivant ce que Jean dit, il aurait au moins
duré trois ans & trois mois, parce qu'il paraît par l'Evangile de cet
Apôtre, qu'il aurait été, pendant le cours de sa vie publique, trois ou quatre
fois à Jérusalem à la fête de Pâques, qui n'arrivait qu'une fois l'an.
Or s'il est vrai qu'il y ait
été trois ou quatre fois depuis son baptême, comme Jean le témoigne, il est
faux qu'il n'ait vécu que trois mois après son baptême, & qu'il ait été
crucifié la première fois qu'il alla à Jérusalem.
Si l'on dit que ces trois
premiers Evangélistes ne parlent effectivement que d'une seule année, mais
qu'ils ne marquent pas distinctement les autres qui se sont écoulées depuis son
baptême, ou que Jean n'entend parler que d'une seule Pâque, quoiqu'il semble qu'il
parle de plusieurs, & que c'est par anticipation qu'il répète plusieurs
fois que la fête de Pâques des Juifs était proche, & que Jésus alla à
Jérusalem, & par conséquent qu'il n'y a qu'une contrariété apparente sur ce
sujet entre ces Evangélistes, je le veux bien ; mais il est constant que cette
contrariété apparente ne viendrait que de ce qu'ils ne s'expliquent pas avec
toutes les circonstances qui auraient été à remarquer dans le récit qu'ils
font. Quoi qu'il en soit, il y a toujours lieu de tirer cette conséquence
qu'ils n'étaient donc pas inspirés de Dieu lorsqu'ils ont écrit leurs
histoires.
Autre contradiction au sujet
de la première chose que Jésus-Christ fit incontinent après son baptême : car
les trois premiers Evangélistes disent qu'il fut aussitôt transporté par
l'esprit dans un désert, où il jeûna quarante jours & quarante nuits, &
où il fut plusieurs fois tenté par le Diable ; et, suivant ce que dit Jean, il
partit deux jours après son baptême pour aller en Galilée, où il fit son premier
miracle en y changeant l'eau en vin aux noces de Cana, où il se trouva trois
jours après son arrivée en Galilée, à plus de trente lieues de l'endroit où il
était.
A l'égard du lieu de sa
première retraite après sa sortie du désert, Matthieu dit, ch. IV, vers. 13,
qu'il s'en vint en Galilée, & que, laissant la ville de Nazareth, il vint
demeurer à Capharnaüm, ville maritime ; & Luc, ch. IV, vers. 16 & 31,
dit qu'il vint d'abord à Nazareth, & qu'ensuite il vint à Capharnaüm.
Ils se contredisent sur le
temps & la manière dont les Apôtres se mirent à sa suite : car les trois
premiers disent que Jésus passant sur le bord de la mer de Galilée, il vit
Simon & André son frère, & qu'un peu plus loin il vit Jacques &
Jean son frère avec leur père Zébédée. Jean, au contraire, dit que ce fut
André, frère de Simon Pierre, qui se joignit premièrement à Jésus, avec un
autre disciple de Jean-Baptiste, l'ayant vu passer devant eux lorsqu'ils
étaient avec leur maître sur les bords du Jourdain. Au sujet de la cène, les
trois premiers Evangélistes marquent que Jésus-Christ fit l'institution du
sacrement de son corps & de son sang, sous les espèces & apparences du
pain & du vin, comme parlent nos Christicoles romains ; & Jean ne fait
aucune mention de ce mystérieux sacrement. Jean dit, ch. XIII, vers. 5,
qu'après cette cène Jésus lava les pieds à ses Apôtres, qu'il leur commanda
expressément de se faire les uns aux autres la même chose, & rapporte un
long discours qu'il leur fit dans ce même temps. Mais les autres Evangélistes
ne parlent aucunement de ce lavement de pieds, ni d'un long discours qu'il leur
fit pour lors. Au contraire, ils témoignent qu'incontinent après cette cène, il
s'en alla avec ses Apôtres sur la montagne des Oliviers, où il abandonna son
âme à la tristesse, & qu'enfin il tomba en agonie, pendant que ses Apôtres
dormirent un peu plus loin.
Ils se contredisent
eux-mêmes sur le jour qu'ils disent qu'il fit cette cène : car d'un côté ils
marquent qu'il la fit le soir de la veille de Pâques, c'est-à-dire le soir du
premier jour des azymes, ou de l'usage des pains sans levain, comme il est
marqué dans l'Exode, XII, 18 ; Lévit., XXIII, 5 ; dans les Nomb., XXVIII, 16 ;
& d'un autre côté ils disent qu'il fut crucifié le lendemain du jour qu'il
fit cette cène, vers l'heure de midi, après que les Juifs lui eurent fait son
procès pendant toute la nuit & le matin. Or, suivant leur dire, le
lendemain qu'il fit cette cène n'aurait pas dû être la veille de Pâques. Donc,
s'il est mort la veille de Pâques vers le midi, ce n'était point le soir de la
veille de cette fête qu'il fit cette cène. Donc il y a erreur manifeste.
Ils se contredisent aussi
sur ce qu'ils rapportent des femmes, qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée,
car les trois premiers Evangélistes disent que ces femmes, & tous ceux de
sa connaissance, entre lesquelles étaient Marie Madeleine, & Marie, mère de
Jacques & de Joses, & la mère des enfants de Zébédée, regardaient de
loin ce qui se passait, lorsqu'il était pendu & attaché à la croix. Jean
dit au contraire, XIX, 25, que la mère de Jésus, & la soeur de sa mère,
& Marie Madeleine, étaient debout auprès de la croix, avec Jean son Apôtre.
La contrariété est manifeste : car si ces femmes & ce disciple étaient près
de lui, elles n'étaient donc pas éloignées, comme disent les autres.
Ils se contredisent sur les
prétendues apparitions qu'ils rapportent que Jésus-Christ fit après sa
prétendue résurrection, car Matthieu, ch. XXXVIII, vers. 9 & 16, ne parle
que de deux apparitions l'une, lorsqu'il apparut à Marie Madeleine & à une
autre femme nommée aussi Marie, & lorsqu'il apparut à ses onze disciples,
qui s'étaient rendus en Galilée sur la montagne qu'il leur avait marquée pour
le voir. Marc parle de trois apparitions la première, lorsqu'il apparut à Marie
Madeleine ; la seconde, lorsqu'il apparut à ses deux disciples, qui allaient à
Emmaüs ; & la troisième, lorsqu'il apparut à ses onze disciples, à qui il
fit reproche de leur incrédulité. Luc ne parle que des deux premières
apparitions comme Matthieu ; & Jean l'Evangéliste parle de quatre
apparitions, & ajoute aux trois de Marc celle qu'il fit à sept ou huit de
ses disciples, qui pêchaient sur la mer de Tibériade.
Ils se contredisent encore
sur le lieu de ces apparitions : car Mathieu dit que ce fut en Galilée, sur une
montagne ; Marc dit que ce fut lorsqu'ils étaient à table : Luc dit qu'il les
mena hors de Jérusalem, & qu'il les mena jusqu'en Béthanie, où il les
quitta en s'élevant au ciel ; & Jean dit que ce fut dans la ville de
Jérusalem, dans une maison dont ils avaient fermé les portes ; & une autre
fois sur la mer de Tibériade.
Voilà bien de la contrariété
dans le récit de ces prétendues apparitions. Ils se contredisent au sujet de sa
prétendue ascension au ciel : car Luc & Marc disent positivement qu'il
monta au ciel en présence de ses onze Apôtres ; mais ni Matthieu ni Jean ne
font aucune mention de cette prétendue ascension. Bien plus, Matthieu témoigne
assez clairement qu'il n'est point monté au ciel, puisqu'il dit positivement
que Jésus-Christ assura ses Apôtres qu'il serait & qu'il demeurerait
toujours avec eux jusqu'à la fin des siècles. « Allez donc, leur dit-il dans
cette prétendue apparition, enseignez toutes les nations, & soyez assurés
que je serai toujours avec vous jusqu'à la fin des siècles ». Luc se contredit
lui-même sur ce sujet : car dans son Evangile, ch. XXIV, v. 50, il dit que ce
fut en Béthanie qu'il monta au ciel en présence de ses Apôtres ; & dans ses
Actes des Apôtres, supposé qu'il en soit l'auteur, il dit que ce fut sur la
montagne des Oliviers. Il se contredit encore lui-même dans une autre
circonstance de cette ascension : car il marque dans son Evangile, que ce fut
le jour même de sa résurrection, ou la première nuit suivante, qu'il monta au
ciel ; & dans ses Actes des Apôtres il dit que ce fut quarante jours après
sa résurrection ; ce qui ne s'accorde certainement pas.
Si tous les Apôtres avaient
véritablement vu leur maître monter glorieusement au ciel, comment Matthieu
& Jean, qui l'auraient vu comme les autres, auraient-ils passé sous silence
un si glorieux mystère, & si avantageux à leur maître, vu qu'ils rapportent
quantité d'autres circonstances de sa vie & de ses actions qui sont
beaucoup moins considérables que celle-ci ? Comment Matthieu ne fait-il pas
mention expresse de cette ascension, & n'explique-t-il pas clairement de
quelle manière il demeurerait toujours avec eux, quoiqu'il les quittât
visiblement pour monter au ciel ? Il n'est pas facile de comprendre par quel
secret il pouvait demeurer avec ceux qu'il quittait.
Je passe sous silence
quantité d'autres contradictions : ce que je viens de dire suffit pour faire
voir que ces livres ne viennent d'aucune inspiration Divine, ni même d'aucune
sagesse humaine, & par conséquent qu'ils ne méritent pas qu'on y ajoute
aucune foi.