dimanche 22 septembre 2019

Traite des trois imposteurs de Paul Henri Thiry, baron d'Holbach partie 1

"L’usage a prévalu, l’on se contente des préjugés de la naissance et l’on s’en rapporte sur les choses les plus essentielles à des personnes intéressées qui se font une loi de soutenir opiniâtrement les opinions reçues et qui n’osent les détruire de peur de se détruire eux-mêmes."

 "En effet, à parler sans fard et à dire la chose comme elle est, ne faut-il pas convenir que ces Docteurs n’étaient ni plus habiles, ni mieux instruits que le reste des hommes ; que bien loin de là, ce qu’ils disent au sujet de Dieu est si grossier, qu’il faut être tout à fait peuple pour le croire ? "

"Cela posé, examinons un peu l’idée que les Prophètes ont eu de Dieu. S’il faut les en croire, Dieu est un être purement corporel ; Michée le voit assis ; Daniel, vêtu de blanc et sous la forme d’un vieillard ; Ezéchiel le voit comme un feu, voilà pour le Vieux Testament. Quant au Nouveau, les Disciples de Jésus-Christ s’imaginent le voir sous la forme d’une colombe, les Apôtres sous celle de langues de feu, et saint Paul, enfin, comme une lumière qui l’éblouit et l’aveugle. Pour ce qui est de la contradiction de leurs sentiments, Samuel 3, croyait que Dieu ne se repentait jamais de ce qu’il avait résolu ; au contraire, Jérémie 4 nous dit que Dieu se repent des conseils qu’il a pris. Joël 5 nous apprend qu’il ne se repent que du mal qu’il a fait aux hommes : Jérémie dit qu’il ne s’en repent point. La Genèse 6 nous enseigne que l’homme est maître du péché et qu’il ne tient qu’à lui de bien faire, au lieu que Saint Paul 7 assure que les hommes n’ont aucun empire sur la concupiscence sans une grâce de Dieu toute particulière, etc. telles sont les idées fausses et contradictoires que ces prétendus inspirés nous donnent de Dieu, et que l’on veut que nous en ayons, sans considérer que ces idées nous représentent la Divinité comme un être sensible, matériel et sujet à toutes les passions humaines. Cependant on vient nous dire après cela que Dieu n’a rien de commun avec la matière, et qu’il est un être incompréhensible pour nous. Je souhaiterais fort savoir comment tout cela peut s’accorder, s’il est juste d’en croire des contradictions si visibles et si déraisonnables, et si l’on doit enfin s’en rapporter au témoignage d’hommes assez grossiers pour s’imaginer, nonobstant les sermons de Moïse, qu’un Veau était leur Dieu ! Mais sans nous arrêter aux rêveries d’un peuple élevé dans la servitude et dans l’absurdité, disons que l’ignorance a produit la croyance de toutes les impostures et les erreurs qui règnent aujourd’hui parmi nous. "

"Ceux qui ignorent les causes physiques ont une crainte naturelle qui procède de l’inquiétude et du doute où ils sont s’il existe un Etre ou une puissance qui ait le pouvoir de leur nuire ou de les conserver. De là le penchant qu’ils ont à feindre des causes invisibles, qui ne sont que des Fantômes de leur imagination, qu’ils invoquent dans l’adversité et qu’ils louent dans la prospérité. Ils s’en font des Dieux à la fin et cette crainte chimérique des puissances invisibles est la source des Religions que chacun se forme à sa mode. Ceux à qui il importait que le peuple fut contenu et arrêté par de semblables rêveries ont entretenu cette semence de religion, en ont fait une loi et ont enfin réduit les peuples, par les terreurs de l’avenir, à obéir aveuglément. "

"Chacun doit demeurer d’accord que tous les hommes sont dans une profonde ignorance en naissant, et que la seule chose qui leur soit naturelle, est de chercher ce qui leur est utile et profitable : de là vient : 1° qu’on croît qu’il suffit d’être libre de sentir par soi-même qu’on peut vouloir et souhaiter sans se mettre nullement en peine des causes qui disposent à vouloir et à souhaiter, parce qu’on ne les connaît pas ; 2° comme les hommes ne font rien que pour une fin qu’ils préfèrent à toute autre, et ils n’ont pour but que de connaître les causes finales de leurs actions, et ils imaginent qu’après cela ils n’ont plus aucun sujet de doute, et comme ils trouvent en eux-mêmes et hors d’eux plusieurs moyens de parvenir à ce qu’ils se proposent, vu qu’ils ont, par exemple, un soleil pour les éclairer, etc., ils ont conclu qu’il n’y a rien dans la nature qui ne soit fait pour eux, et dont ils ne puissent jouir et disposer ; mais comme ils savent que ce n’est point eux qui ont fait toutes ces choses, ils se sont cru bien fondés à imaginer un être suprême auteur de tout, en un mot, ils ont pensé que tout ce qui existe était l’ouvrage d’une ou de plusieurs Divinités. D’un autre côté, la nature des Dieux que les hommes ont admis leur étant inconnue, ils en ont jugé par eux-mêmes, s’imaginant qu’ils étaient susceptibles des mêmes passions qu’eux ; et comme les inclinations des hommes sont différentes, chacun a rendu à sa Divinité un culte selon son humeur, dans la vue d’attirer ses bénédiction et de la faire servir par là toute la nature à ses propres désirs."

"Ce préjugé les a conduits à un autre, qui est de croire que les jugements de Dieu étaient incompréhensibles, et que par cette raison, la connaissance de la vérité était au-dessus des forces de l’esprit humain ; erreur où l’on serait encore, si les mathématique la physique et quelques autres sciences ne l’avaient détruite. "

" C’est là-dessus qu’ils ont formé des notions qui leur servent à expliquer la nature des choses, à juger du bien et du mal, de l’ordre et du désordre, du chaud et du froid, de la beauté et de la laideur, etc., qui dans le fond ne sont point ce qu’ils s’imaginent : maîtres de former ainsi leurs idées, ils se flattèrent d’être libres ; ils se crurent en droit de décider de la louange et du blâme, du bien et du mal ; ils ont appelé bien ce qui tourne à leur profit et ce qui regarde le culte divin et mal, au contraire, ce qui ne convient ni à l’un ni à l’autre et comme les ignorants ne sont capables de juger de rien, et n’ont aucune idée des choses que par le secours de l’imagination, qu’ils prennent pour le jugement, ils nous disent que l’on ne connaît rien dans la nature, et se figurent un ordre particulier dans le monde. Enfin, ils croient les choses bien ou mal ordonnées, suivant qu’ils ont de la facilité ou de la peine à les imaginer, quand le sens les leur représente ; et comme n s’arrêter volontiers à ce qui fatigue le moins le cerveau, on se persuade d’être bien fondé à préférer l’ordre à la confusion ; comme si l’ordre était autre chose qu’un pur effet de l’imagination des hommes. Ainsi, dire que Dieu a tout fait avec ordre, c’est prétendre que c’est en faveur de l’imagination humaine qu’il a créé le monde, de la manière la plus facile à être conçue par elle : ou, ce qui, au fond est la même chose, que l’on connaît avec certitude les rapports et les fins de tout ce qui existe, assertion trop absurde pour mériter d’être réfutée sérieusement. "

"On consulte la Bible, comme si Dieu et la nature s’y expliquaient d’une façon particulière ; quoique ce livre ne soit qu’un tissu de fragments cousus ensemble en divers temps, ramassés par diverses personnes et publiés de l’aveu des rabbins, qui ont décidé, suivant leur fantaisie, de ce qui devait être approuvé ou rejeté, selon qu’ils l’ont trouvé conforme ou opposé à la Loi de Moïse 1.  Telle est la malice et la stupidité des hommes. Ils passent leur vie à chicaner et persistent à respecter un livre où il n’y a guère plus d’ordre que dans l’Alcoran de Mahomet ; un livre, dis-je, que personne n’entend, tant il est obscur et mal conçu ; un livre qui ne sert qu’à fomenter des divisions. Les Juifs et les Chrétiens aiment mieux consulter ce grimoire que d’écouter la Loi naturelle que Dieu, c’est-à-dire la Nature, en tant qu’elle est le principe de toutes choses, a écrit dans le cœur des hommes. Toutes les autres lois ne sont que des fictions humaines, et de pures illusions mises au jour, non par les Démons ou mauvais Esprits, qui n’existèrent jamais qu’en idée, mais par la politique des Princes et des Prêtres. Les premiers nt voulu par là donner plus de poids à leur autorité, et ceux-ci ont voulu s’enrichir par le débit d’une infinité de chimères qu’ils vendent cher aux ignorants. "

"Avant que le mot Religion se fût introduit dans le monde, on n’était obligé qu’à suivre la loi naturelle, c’est-à-dire à se conformer à la droite raison. Ce seul instinct était le lien auquel les hommes étaient attachés ; et ce lien, tout simple qu’il est, les unissait de telle sorte que les divisions étaient rares. Mais dès que la crainte eût fait soupçonner qu’il y a des Dieux et des Puissances invisibles, ils s’élèvent des autels à ces êtres imaginaires, et, secouant le joug de la nature et de la raison, ils se lièrent par de vaines cérémonies et par un culte superstitieux aux vains fantômes de l’imagination."

"Les honneurs et les grands revenus qu’on a attachés au Sacerdoce, ou aux Ministères des Dieux, ont flatté l’ambition et l’avarice de ces hommes rusés qui ont su profiter de la stupidité des peuples ; ceux-ci ont si bien donné dans leurs pièges qu’ils se sont fait insensiblement une habitude d’encenser le mensonge et de haïr la vérité."

" Ceux qui feignaient d’avoir un commerce familier avec les morts étaient nommés Nécromanciens ; d’autres prétendaient connaître l’avenir par le vol des oiseaux ou par les entrailles des bêtes. Enfin, les yeux, les mains, le visage, un objet extraordinaire, tout leur semble d’un bon ou mauvais augure, tant il est vrai que l’ignorance reçoit telle impression qu’on veut, quand on a trouvé le secret de s’en prévaloir. "

"Parmi un grand nombre, l’Asie en a vu naître trois qui se sont distingués tant par les lois et les cultes qu’ils ont institués, que par l’idée qu’ils ont donnée de la Divinité et par la manière dont ils s’y sont pris pour faire recevoir cette idée et rendre leur lois sacrées. Moïse fut le plus ancien. Jésus-Christ, venu depuis, travailla sous son plan et en conservant le fond de ses lois, il abolit le reste. Mahomet, qui a paru le dernier sur la scène, a pris dans l’une et dans l’autre Religion de quoi composer la sienne et s’est ensuite déclaré l’ennemi de toutes les deux. Voyons les caractères de ces trois législateurs, examinons leur conduite, afin qu’on juge après cela lesquels sont les mieux fondés, ou ceux qui les révèrent comme des hommes divins, ou ceux qui les traitent de fourbes ou d’imposteurs. "

"On peut remarquer surtout qu’il crut avoir trouvé un moyen sûr de tenir les Hébreux soumis à ses ordres en leur persuadant que Dieu était lui-même conducteur de nuit sous la figure d’une colonne de feu, et de jour sous la forme d’une nuée. Mais aussi on peut prouver que ce fut là la fourberie la plus grossière de cet imposteur. Il avait appris, pendant le séjour qu’il avait fait en Arabie, que, comme le pays était vaste et inhabité, c’était la coutume de ceux qui voyageaient par troupes de prendre des guides qui les conduisaient, la nuit, par le moyen d’un brasier dont ils suivaient la flamme, et, de jour, par la fumée du même brasier, que tous les membres de la caravane pouvaient découvrir, et, par conséquent, ne se point égarer. "

"Jésus-Christ, qui n’ignorait ni les maximes ni la science des Egyptiens, donna cours à cette opinion ; il la crut propre à son dessein. Considérant combien Moïse s’était rendu célèbre, quoiqu’il n’eût commandé qu’un peuple d’ignorants, il entreprit de bâtir sur ce fondement et se fit suivre par quelques imbéciles auxquels il persuada que le Saint-Esprit était son père, et sa mère une Vierge. Ces bonnes gens, accoutumés à se payer de songes et de rêveries, adoptèrent ces notions et crurent tout ce qu’il voulut, d’autant plus qu’une pareille naissance n’était pas véritablement quelque chose de trop merveilleux pour eux."

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