Caractère,
action de celui qui est impartial. En réalité, l'impartialité
n'existe pas. Il est impossible à un homme de juger, d'apprécier
une chose sans que cette appréciation, ce jugement ait été
déterminés par une foule de contingences : éducation, opinions,
préjugés héréditaires, etc. Au reste, il n'est pas à souhaiter
que l'impartialité existe. Demander à un homme d'être impartial,
c'est lui demander d'abdiquer pendant un laps de temps plus ou moins
court ses opinions politiques, philosophiques, scientifiques,
artistiques, littéraires ou autres. Certes quand un fait se produit
qui démontre l'erreur d'une conception, il est du devoir de tout
être de faire la constatation et d'en tirer les enseignements
adéquats, mais quelle que soit la bonne volonté dont l'homme peut
être doué, il ne peut en aucune manière se flatter d'être
impartial. L'être humain est trop déterminé (voir déterminisme)
pour pouvoir se vanter d'avoir la faculté d'être impartial.
L'impartialité dont se targuent certains n'est qu'une hypocrisie.
Quand on pense que des magistrats se vantent d'être impartiaux -
alors que l'on sait qu'ils jugent toujours selon les ordres donnés à
eux par le Pouvoir ou selon l'esprit de classe qui les anime - on ne
peut que rire avec mépris de l'impartialité judiciaire. Quand on
sait que les historiens quels qu'ils soient ne cherchent qu'à faire
servir les documents ou les faits qu'ils citent à la conception qui
leur est chère, on doit être très circonspect en ce qui concerne
l'impartialité de l'Histoire. Défendons, propageons nos idées,
analysons les théories, examinons les faits et les hommes d'une
manière objective la plus exacte possible, mais n'oublions pas que
notre objectivité dépend de trop de considérations pour qu'elle
soit impartiale. L'impartialité est un mot qui a été inventé par
des gens qui cherchaient des circonstances atténuantes à leurs
actes. Elle n'est qu'un paravent dont se servent certains hommes qui
n'ont pas le courage suffisant pour affirmer qu'ils jugent et
apprécient suivant leurs idées. Nous autres, anarchistes, nous
passons tous les faits, tous les événements, toutes les doctrines
philosophiques, religieuses ou politiques, au crible de la critique
anarchiste. Nous ne nous targuons pas d'impartialité parce que ce
serait mentir à nous-mêmes qui savons que dans tous nos actes, dans
toutes nos pensées nous essayons de rester le plus possible en
accord avec les théories anarchistes.
IMPARTIALITE
Il y a une impartialité minimum à laquelle nous demeurons
scrupuleusement attachés et qui se traduit par l'examen aussi
judicieux et la présentation aussi exacte que possible des idées et
des actes d'autrui. L'impartialité de relation doit s'accompagner
d'un essai consciencieux et circonstancié de compréhension si nous
voulons éviter la déformation des thèses ou des attitudes qui
n'ont pas nos préférences ou ne nous sont point familières. De
cette absence d'impartialité la critique prodigue en général un
exemple courant, qui se donne vaniteusement en spectacle à travers
les œuvres qu'elle a pour rôle de présenter au public et qui
encense ou fielleusement condamne - parmi d'autres légèretés et
des vices - sur le critérium arbitraire de ses vues… Nous
entendons faire - aussi bien vis-à généreux (au sens le plus riche
du terme) qui consiste à nous transporter par la pensée dans le
camp des activités étrangères pour en saisir mieux les mobiles et
l'inspiration, pour pénétrer le caractère des gestes et, derrière
l'argumentation, l'esprit même des théories. En ce sens, nous
visons à entourer nos jugements - si dépendants soient-ils de notre
déterminisme propre - de cette documentation, de cette atmosphère
d'authenticité sans laquelle nos convictions ne seraient que
d'aveugles et grossiers actes de foi… Si pénétrés que nous
soyons que nos intentions les plus pures sont impuissantes à nous
arracher assez de nous-mêmes, à nous dédoubler au point d'assurer
une impartialité rigoureuse, absolue, nous n'en affectionnons pas
moins cette envergure des opérations intellectuelles - prélude
d'actes adéquats - assez dégagées des sphères restrictives où se
débat le moi coutumier pour être, au dehors, d'abord de probes
incursions, ensuite des tentatives capables de se muer en lumineuses
moissons. Nous aimons telles qualités dont s'entourent nos approches
relatives et qui décèlent l'avance ouverte, nous aimons cette
quiétude morale et les bienfaits positifs des voyages tentés dans
la mentalité d'autrui. Car elles sont de nature à nous garder de
l'injustice et de l'erreur, et elles sont aussi susceptibles de
favoriser la découverte de quelques clartés inattendues. Il faut
avoir le courage d'aller au-devant des démentis justifiés dût en
crouler le cher et reposant bagage de nos « vérités»
enregistrées, il faut avoir la volonté d'exposer à l'étincelle
peut-être destructrice cet édifice de nos idéologies favorites,
cet assemblage de conceptions et de méthodes qui, en nous, à la
longue, finissent par se cristalliser et auxquelles nous tenons pour
elles-mêmes, par adhésion conservée, par mécanique, par mille
chaînes inconscientes. Rien ne nous exerce à nous tenir en éveil,
en alerte permanente contre nous-mêmes, à maintenir sur le
salutaire qui-vive un libre- examen que les enlisements de
l'existence ont tendance à rendre somnolent, comme d'aller
délibérément, désentravé de ces restrictions mentales qui sont
des ombres embusquées sur le chemin de notre indépendance,
au-devant des chocs désillusionnants de la pensée voisine. Malheur
au convaincu refermé sur ses convictions et qui tremble pour leur
légitimité, cramponné peureusement à leur bien-fondé! Malheur à
la sincérité qui cèle, pour une paix menteuse, l'éclair
destructeur d'un plausible purement provisoire et qui, devant
l'erreur patente, se refuse à l'abandon. L'unité de l'être, ce
jour-là, n'est plus qu'un fossile autour duquel l'abdication se
serre en sédiments. On admire peut-être, au dehors, sa ferveur
immuable. Mais l'homme libre est mort et survit seul, homme replié,
le partisan... Sans cet élémentaire souci d'impartialité qui nous
fait rechercher la vérité et la dire - partout où elle se trouve,
l'anarchisme ne pourrait prétendre s'élever audessus des
préventions étroites des partis et du credo fermé des sectes.
L'impartialité - la tendance en tout cas à tout ce qu'il nous est
humainement possible d'en réaliser - réside dans la volonté
éclairée de sortir assez de soi pour voir autrui sous le jour qui
lui est particulier. Et elle participe ainsi à la fois de la loyauté
dans les rapports humains et de la fécondité des investigations
affranchies du parti-pris. C'est une des vertus de l'anarchisme
(critérium avant que d'être l'instrument de la doctrine), et celle
qui assure sa jeunesse dans le temps, que de diriger sa lucidité et
un esprit critique aussi dégagé qu'il se peut des préventions et
des faiblesses, jusqu'au cœur de ses théories les plus chères et
d'être résolu à les dénoncer délibérément si les faits, la
science ou la raison en révèlent la caducité. Il n'est pas
question, par contre, de préconiser pour l'homme l'instabilité
absurde de celui qui flotte entre les opinions, comme l'âne de
Buridan entre ses bottes de foin, sans parvenir à opter ou sans oser
prendre parti. Pareille « impartialité» comporte l'inaction et
frise l'inertie. C'est elle qui faisait dire à Renouvier : « Un
homme impartial est un homme neutre. Un homme neutre est un homme nul
». Si le doute et la circonspection sont, dans le domaine de la
connaissance, la prudence du sage, et si la réserve doit faire
cortège même à l'évidence, il est des choix qui s'imposent et des
interventions qu'on n'évite pas sans déchéance. L'indifférence
est une abdication de la personnalité. Nous ne pouvons tenir pour
nôtre l'impartialité qui ne serait qu'un amorphisme intellectuel ou
une impuissance de la volonté. L'homme fort ne peut être une épave
aboulique.
- LANARQUE
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