L'imitation
consiste dans la reproduction d'une chose semblable : mouvement,
œuvre, etc. Parmi les êtres animés qui avoisinent l'homme, le
singe nous donne les exemples les plus parfaits, aux confins de la
conscience, de l'imitation humaine susceptible d'éducation. On
obtient de curieuses imitations du même ordre avec les animaux les
plus divers : chiens, chats, chevaux, oiseaux, otaries, jusqu'aux
grenouilles. Chaque catégorie d'animaux a, du reste, ses imitations
spécifiques. Mais l'imitation qui nous intéresse le plus ici est
celle qui se fait parmi nos semblables… Elle est, pour l'enfant,
aux portes mêmes de la vie et parmi les premières effectivités de
la connaissance. Avec elle se vainquent les premières timidités et
se fait l’apprentissage de l'action, les tâtonnants essais du
langage. L'imitation le poursuit d'ailleurs inéluctablement.
Jusqu'au terme éducation qui désigne la codification savante de ses
influences et renferme le dessein d'amener à imiter. Tout concourt à
retenir la jeunesse dans les lisières de l'imitation et l'homme fait
ne s'en évade jamais complètement... L'imitation est à l'origine
de presque tous nos édifices et c'est une condition de nos
habitudes. Les arts mêmes lui doivent leur essor. « L'esprit
d'imitation a produit les beaux-arts », rappelle Rousseau. Peinture,
sculpture ont conservé cette désignation même « d'arts
d'imitation ». Néanmoins, l'art qui, dans ses éléments, ne peut
couper les ponts autour de lui, s'élève et s'épure à mesure qu'il
se personnalise et conquiert ses propres formes d'expression comme la
liberté même de ses sujets. « Trop d'imitation éteint le génie
», disait Voltaire. « La faculté d'imitation est tellement
inhérente à la nature humaine qu'on la considère généralement
comme le résultat d'un mécanisme tout simple. Or il n'en est pas de
plus complexe dans la physiologie. C'est une question encore
controversée que de savoir, dans telle manifestation d'un individu
quelle est la part de l'hérédité et quelle est la part de
l'imitation. Beaucoup d'auteurs ont affirmé que les oiseaux, par
exemple, chantent et font leur nid par simple instinct héréditaire.
Wallace prétend, au contraire, que les jeunes oiseaux apprennent de
leurs parents le chant spécifique et la nidification... Quoi qu'il
en soit, si l'on ignore encore quelle est la part de l'hérédité
dans le chant spécifique des oiseaux, du moins est-il bien certain
que beaucoup d'oiseaux peuvent apprendre à chanter comme d'autres
oiseaux, quand ils sont assez jeunes. Là, il y a sûrement
imitation, comme dans le cas de l'enfant qui apprend à parler la
langue qu'on lui enseigne, même si ce n'est pas la langue de ses
parents. » (Larousse.) Si féconde, à l'aube, soit l'imitation, il
faut savoir, dans la vie individuelle et sociale, s'affranchir de sa
paralysie, de sa stagnation. Rien ne mesure la faiblesse d'une
époque, d'une race comme l'étendue de sa capacité imitative : «
N'attends rien de bon du peuple imitateur », disait La Fontaine. Il
entendait ainsi la foule, telle encore que nous la connaissons
aujourd'hui, avec ses terribles flux et reflux moutonniers. Le grand
nombre a besoin qu'on lui trace un chemin, qu'on lui assigne un but,
qu'on l'enserre dans une série de gestes collectifs, qu'on galvanise
sa marche par des exemples. L'humanité suiveuse (cette vaste
enfance), qui se regarde dans autrui et y cherche le signe de son
destin, enferme son horizon aux bornes de la copie. La masse amorphe,
crédule et tremblante, encline à s'immobiliser dans les préjugés
et l'accoutumance, attachée à dire, à reproduire imitativement
plus qu'à modifier, à innover, à révolutionner, n'a guère qu'une
vie répéteuse et sensiblement mécanique. Les anarchistes se
heurtent, en l'esprit d'imitation, à un des obstacles les plus
sérieux dressés devant leur propagande. Penser, agir par soi-même
exige des intéressés la mise en œuvre d'une somme d'énergie que
la plupart trouve plus commode (loi du moindre effort) d'user en
contraintes au jour le jour. L'imitation, si elle a pour rançon la
souffrance collective, 1a misère et l'oppression, ne leur demande
pas de sortir du troupeau. Elle n'appelle pas un acte volontaire qui
est pour eux un véritable arrachement. Elle répond au contraire à
leur apathie foncière, à un besoin insurmontable peut-être - du
moins insurmonté - d'effacement, de nivellement. Ceux-là qui
sortent de la masse en arrivistes ne cessent pas, à leur manière,
d'être des imitateurs quoiqu'ils mettent quelque ténacité à
resserrer leur zone - une zone admise - d'adaptation. Car l'idée
d'émerger vraiment, d'être autre, d'être un, de s'exposer aux feux
croisés du sarcasme et de la réprobation, de la répression
peut-être, donne à la généralité le vertige. Elle s'étonne
d'ailleurs qu'on dépense son courage pour une originalité dont elle
n'a pas le goût et dont elle conçoit à peine les joies…
Augmenter toujours le nombre de ceux que passionne une vie
personnelle, fière et libre, est cependant la tâche à laquelle est
lié l'avenir même de l'anarchisme.
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