lundi 9 septembre 2019

Lignes N°59: Les gilets jaunes: une querelle d'interprétations

Eric Clémens: L(a ré-) ' invention d'une démocratie horizontale

"Ce refus du " dialogue" piégé avec le "haut " mérite de s'y arrêter. Il entame une critique des conceptions équivoques de la démocratie, en particulier des illusions du "compromis" censé solutionner les conflits selon la raison (l'homo oeconomicus imaginaire des experts, désormais mesuré numériquement en vue d'être le plus possible remplacé robotiquement). Balayant de fait les socio-philosophies habermassiennes de la communication rationnelle ou rawsiennes de l'accord raisonnable, le leurre de la "consultation" fait aussi partie des dénonciations des gilets jaunes. Une nouvelle exigence dans le débat démocratique en résulte. Ce ne sont plus les représentants directs des révoltés qui doivent parler - paroles impossibles, piégées par la fameuse "no alternative" de l'éco-technie mondiale qui sert de paravent aux détenteurs des richesses et des pouvoirs. Avec les gilets jaunes, la démocratie recommence dans l'autonomie du débat horizontal, à la base déclassé du peuple où les divisions n'empêchent pas la convergence dans l'absence de toute dérive violente entre eux malgré leur diversité, abc démocratique. Si l'on peut reprendre un vocabulaire maoïste, mais avec une condition d'exercice radicalement opposée: les contradictions au sein du peuple se règlent b'abord au sein du peuple - elles n'ont pas à être "traitées" par on ne sait quelle instance supérieure, syndicat, parti ou gouvernement. De la sorte, la démocratie horizontale ne peut exister que sans délégation, ce que tant de commentateurs n'ont pas compris, enkystés dans la déploration du "manque de relais" entre la "base" et le "sommet". La protestation s'adresse bien sûr à tous, donc aussi aux gouvernants, mais sans les soutenir et encore moins participer à leur pouvoir, laissant visible la séparation entre l'état et la société civile, la division cruciale mise en lumière au XX) siècles, après la tentative totalitaire de l'effacer en identifiant au "peuple" les "dirigeants", sans opposition possible."

"Reste que cette situation inédite d'une démocratie directe et horizontale, apolitique au sens coupée du pouvoir, mais plutôt antipolitique parce que sceptique quant à ses détenteurs ne supprime pas, mais ajoute son exigence à la "démocratie" representative inévitable, sans doute du fait des sociétés du grand nombre, surtout du fait que la décision implique la responsabilité générale, laquelle échappe aux revendications particulières des révoltés. A quoi s'objecte que, depuis plusieurs décennies, cette démocratie représentative est passée de l'impuissance croissante à la déliquescence inquiétante, sinon suicidaire: les populismes avides de "démocratures" sont à l'affût! A moins que les groupes sociaux en voie de repolitisation, par delà leur repli autonome nécessaire, ne donnent droit à de nouvelles réinstitutions démocratiques , entre autres possibles, par l'alternance divergente  d'une assemblée de partis (bancalement représentative, pais surtout responsable) et d'une assemblée tirée au sort ( bancalement responsable mais surtout représentative) ou de celle, rêvons, d'une assemblée de conseils, d'activités et de localités, dans l'alternance simultanée du revenu de base universel  et du droit au travail, conjoint au droit permanent à la formation supérieure...
Mai 68 commence à peine."


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