lundi 23 septembre 2019

Ravachol "Mémoires" Partie 4

"Cambrioleur N'ayant pas réussi, je songeai à trouver autre chose, et j'appris qu'à un petit village appelé « La Côte » il y avait une maison inhabitée appartenant à des riches. Je crus qu'il y avait de l'argent; je suis allé trois fois explorer les lieux de manière à opérer sûrement. Un soir j'y suis allé et ai essayé de faire sauter la pince. Comme je n'y parvins pas, je suis parti et y. retournai le lendemain emportant un vilebrequin et une mèche anglaise très large. J'ai escaladé le mur et j'ai sauté dans le jardin, je me suis dirigé vers la porte de derrière et me suis mis à l'oeuvre. Lorsque le trou fut assez grand pour y passer mon bras, je l'enfonçai, enlevai la barre et ouvrit la crémone, il a même fallu que je m'aide de ma pince pour faire effort afin de faire sauter le pêne de sa gâche. J'ai visité la cave où il y avait du vin, des liqueurs, etc., et où, par conséquent, je me suis rafraîchi, car j'avais eu beaucoup de mal à ouvrir la porte de la cave, ensuite j'ai visité toutes les chambres jusqu'au grenier. J'ai trouvé 4 ou 5 F, dans une poche de robe. J'ai pris des matelas, couvertures et quelques effets, des pendules, du vin, des liqueurs, de l'eaude-vie, une longue-vue, des jumelles, etc. Je suis retourné pendant trois semaines environ emportant chaque fois dans un appareil une vingtaine de litres de vin et des paquets de liqueurs fines. Ayant fait la contrebande, j'avais la facilité d'écouler les spiritueux. Ensuite je continuais, les ressources épuisées à vivre tout en faisant la contrebande soit en fabriquant de la fausse monnaie, jusqu'à l'affaire de l'Ermitage. Car ceci se passait en mars, et l'affaire de l'Ermite en juin. Assassin Poussé à bout, ne trouvant pas d'embauche nulle part, je ne voyais qu'un moyen de mettre fin à mes maux : aller à Notre-Dame-de-Grâce dépouiller l'ermite et son trésor. Avant de prendre définitivement cette décision, j'ai cherché à trouver un emploi, si pénible qu'il fût, dans les mines de Saint-Étienne. Là, comme chez mes anciens patrons, impossible de trouver de l'occupation. Ceux mêmes qui étaient du métier ne pouvaient pas rentrer. Alors désespéré, je partis seul un matin pour Notre-Dame-de-Grâce. Je pris le train vers 7 heures à Saint-Etienne pour Saint-Victor-sur-Loire, en changeant de train à Firminy. N'ayant exploré l'habitation de l'ermite que nuitamment, j'eus quelque hésitation pour me diriger, alors je demandai, en descendant du train, au chef de gare le chemin le plus court pour aller à Notre-Dame. En route, à Chambles, je rencontrai une petite fille à qui je demandai le nom du hameau que l'on voyait là-haut sur la montagne, et s'il n'y avait pas un ermite qui y vivait. La réponse ayant été explicative puisqu'elle me donna le nom du hameau : Notre-Dame-de-Grâce, et qu'elle me montra l'endroit où demeurait l'ermite, je lui donnai un sou. En gravissant la montagne, je me suis arrêté à mi-chemin pour casser la croûte. Je fus en ce moment interpellé par un prêtre qui me fit remarquer que j'avais tort de m'arrêter auprès d'un buisson, que la montagne était infestée de reptiles. Ce prêtre devait être, à mon avis, le curé de Chambles. Il descendit la montagne et moi je continuai à la gravir. Arrivé au hameau j'eus un instant d'hésitation ne reconnaissant pas très bien mon chemin. Je me mis alors en route cherchant à m'orienter et à donner le change aux paysans qui auraient pu remarquer ma présence. Je m'amusai même en route à visiter les quelques ruines que je rencontrais. À midi, je me présentai à la porte d'entrée de l'habitation de l'ermite. Je frappai à plusieurs reprises afin de me rendre compte s'il y avait quelqu'un, et avoir un moyen d'introduction dans la maison, mais c'était en vain, je ne reçus aucune réponse. Je passai donc par le derrière, j'escaladai le mur du jardin, et m'introduisis dans la maison par la porte de la cave qui se trouvait entrouverte. Apercevant dans la cave un escalier, je m'y suis engagé. Cet escalier était fermé par une trappe. J'ai soulevé celle-ci, et me suis trouvé tout à coup dans une chambre où reposait l'ermite couché dans son lit. Réveillé par mes pas, l'ermite s'était assis sur son lit et me demanda : « Qui est là? » A cette interpellation, je répondis : « Je viens vous trouver pour faire dire des messes pour un de mes parents qui est mort. Voici un billet de cinquante francs; prenez vingt francs et rendez-moi la monnaie. » Ce billet de cinquante francs, je l'avais emprunté à un de mes camarades avant de quitter SaintÉtienne. Je pensais qu'en l'obligeant à changer un billet, je verrais l'endroit d'où il sortirait la monnaie à rendre, et qu'il me servirait comme cela, sans s'en douter, d'indicateur de la fameuse cachette de son trésor. Il me répondit d'un air méfiant ces mots entrecoupés : « Non... non! » Voyant cela, je me suis mis à examiner attentivement la chambre. L'ermite voulut se lever, mais je lui dis : « Restez au lit, mon brave, restez au lit. » Il voulut se lever malgré tout, je m'approche aussitôt du lit, et lui mettant la main sur la bouche, je lui dis : « Restez donc au lit, nom de Dieu. » Malgré cette injonction impérieuse, il voulut toujours se lever. Alors je lui ai appuyé plus fortement sur la bouche en me servant de mes deux mains. Comme il se débattait, j'ai saisi le traversin, le lui ai appliqué sur la bouche et ai sauté sur le lit. Alors par le poids de mon corps, la pression de mon genou sur sa poitrine, et celle de mes deux mains appuyant fortement sur le traversin, je parvins à le maîtriser. Mais ces moyens n'étaient pas assez expéditifs pour obtenir une suffocation capable de mettre hors de combat cet homme et l'empêcher de me nuire. Je pris alors mon propre mouchoir, et lui enfonçai dans la gorge aussi profondément que possible. Il commença bientôt à étirer ses membres avec des mouvements nerveux, fit même ses excréments pendant que je le tenais ainsi, et ne tarda pas à rester dans un état d'immobilité la plus complète. Quand je vis qu'il ne remuait plus, j'enlevai mon mouchoir, le remis en poche, et sautai au bas du lit. J'ôtai de suite mes chaussures, pour ne pas faire de bruit, et après avoir déposé mon revolver auprès du lit, j'ai visité tranquillement tous les meubles, garde-robe, etc. Partout je trouvais de l'argent de caché, je fis même sauter avec une pelle que j'ai trouvée sous ma main trois ou quatre buffets fermés à clef. Je monte au grenier, je trouve de l'argent partout, le long des murailles, sur les charpentes, dans des pots, je descends à la cave, même tableau, de l'argent, toujours de l'argent. Mais jamais, me dis-je en moi-même, jamais tu n'emporteras tout. Je pris les mouchoirs de l'ermite, en fis des espèces de sacs en les nouant, et j'emportai avec moi le plus d'argent possible.
Dans le cours de mes perquisitions, j'entendis frapper à la porte d'entrée en descendant l'escalier du grenier : j'ai sauté de suite sur mon revolver que je mis dans ma poche et je prêtai l'oreille un instant. Comprenant qu'on s'en retournait, je me suis mis à poursuivre mon œuvre. Cependant je me demandais qui pouvait être venu. Je pensai bientôt que ça ne pouvait être que la femme du voisin, dont j'entendais à travers la cloison les pas et le bruit de la voix qui venait voir si l'ermite n'avait pas besoin de quelque chose, car sans doute cet homme que j'avais trouvé encore au lit à midi, devait être indisposé. Vers cinq heures du soir je suis sorti par le même chemin que j'étais venu, emportant avec moi une charge d'argent et d'or d'au moins vingt kilos. Je me suis dirigé de suite vers la gare SaintVictor. Le train avait beaucoup de retard. Ce retard me permit de me livrer à mes réflexions. Je compris qu'il n'était pas prudent de continuer la route avec mon fardeau d'autant plus que le chef de gare avait l'air de me regarder. Je partis donc au village situé à un kilomètre ou deux, et sur la route ayant rencontré un conduit qui la traversait, j'y mis de suite mon butin. Arrivé au village, j'ai soupé copieusement. La patronne de l'établissement chercha à lier conversation avec moi en me demandant où j'allais et d'où je venais. Je lui répondis : « Madame je n'aime pas d'être interrogé, il n'est pas convenable de faire de telles questions aux gens, sans savoir si cette manière d'agir leur plaira. » Après souper, et avoir réglé mon compte, je retournai à Notre-Dame-de-Grâce. Là, je retournai cinq ou six fois chez l'ermite par les mêmes procédés que la première fois. A chaque voyage, j'emportais dans mes mouchoirs de l'argent que je cachais à vingt minutes de là, dans les blés, en ayant soin toutefois d'écarter les épis, afin de ne laisser aucune trace de mon passage. Le matin, je descendis prendre le premier train à Saint-Victor, en emportant avec moi un paquet rempli de pièces d'argent ou d'or, paquet que j'ai déposé dans ma chambre en arrivant à SaintÉtienne. C'était le vendredi. Dans la journée, je vis ma maîtresse et lui demandai si elle voulait venir avec moi faire une excursion dans la nuit, à la montagne. Je lui avais dit de prime abord, de ne demander aucune explication au sujet de cette promenade nocturne. Elle consentit. Je louai donc une voiture pour toute la nuit. Au départ, je dis au cocher de prendre la route de Saint-Just-sur-Loire, en ne lui donnant pas d'autres indications. Arrivé non loin de mes cachettes, je le fis arrêter et le priai de m'attendre, en laissant ma maîtresse dans la voiture. J'avais emporté avec moi une sacoche et une valise en quittant Saint-Étienne. Je pris ces deux objets avec moi et j'allai vivement chercher les paquets d'argent que j'avais cachés. A mon retour, je déposai mes fardeaux sur la route, fis avancer la voiture afin de m'éviter un parcours plus grand et les déposai dans l'intérieur du véhicule. Le cocher remarquant que j'avais de la peine à soulever ces trois objets, me fit remarquer que si c'était de l'argent que je portais, il y aurait là une somme considérable. Nous reprîmes de suite le chemin de Saint-Étienne. Tout cela avait demandé beaucoup de temps, d'autant plus que j'avais été visiter les abords de la maison du crime pour voir s'il n'y avait rien d'anormal. Le jour commençait donc à poindre. En route le cocher me dit : « Gare à l'octroi! » — Je lui répondis : « Je ne crains rien, je n'ai rien avec moi de soumis aux droits. » Arrivé à l'octroi, un employé me demanda si j'avais quelque chose à déclarer. Je lui répondis « Non. » « Du reste, ai-je ajouté : Regardez. » Il me fit ouvrir la valise, je m'exécutai de suite; il ne vit que des paquets faits avec des mouchoirs, les tâta et crut sentir un corps dur. Comme il demandait des explications, je lui répondis que c'était du métal. Nous reprîmes alors notre route. La voiture traversa une partie de Saint-Étienne, et me conduisit au hameau appelé Le Haut Villebeuf jusqu'à la porte de mon habitation, où nous arrivâmes vers quatre heures du matin. J'ai payé la voiture et ai donné dix francs de pourboire au cocher, sans toutefois lui faire aucune observation. Je montai mon butin dans ma chambre et ma maîtresse me quitta bien vite afin de rentrer le plus promptement chez elle. Dans la nuit du samedi, je suis retourné à Notre-Dame-de-Grâce, je pris le train pour aller et revenir jusqu'à Saint-Rambert, le reste de la route je le fis à pied. J'avais avec moi une sacoche, je rentrai à la maison de l'ermite par les mêmes moyens, et la rapportai bondée d'argent. Dans l'après-midi du lendemain, qui était le dimanche, j'appris par des personnes que le crime était connu, et que c'était le perruquier de l'ermite qui en allant pour le raser, avait découvert l'affaire. J'étais heureux d'être sorti, car je m'apprêtais à retourner le soir à Notre-Dame-deGrâce et mal m'en aurait pris, car j'aurais été évidemment arrêté sur le fait. Recherché J'achetai de suite des journaux et j'appris alors que l'on avait su par des employés de l'octroi qu'une voiture était passée la nuit et qu'on avait déclaré de la ferraille, qu'on supposait que c'était celle qui contenait le produit du vol, et qu'actuellement on recherchait le conducteur de cette voiture. Comprenant qu'on ne tarderait pas à le trouver, je louai de suite une chambre, et j'y portai toutes les valeurs que j'avais dans celle que j'occupais alors en portant toutefois une partie de l'argent chez ma maîtresse, en l'absence de son mari, et l'autre dans ma nouvelle résidence. Je résolus d'aller voir le cocher pour le supprimer dans le cas où il ne serait pas entré dans la voie des aveux, car lui mort, la piste de la police se trouvait égarée. En allant pour le voir, je le rencontrai en route avec sa voiture, se dirigeant sur Firminy. Je l'appelai et lui demandai s'il voulait me conduire à cette localité. Je pensais qu'il ne pouvait me reconnaître, ayant changé de costume. Il accepta. Une fois sur la voiture, j'entrai en conversation, et l'amenai sur le chapitre de l'actualité, je veux dire du crime. « Savez-vous ce que c'est que cette histoire d'ermite dont on parle? » Il feignit de ne rien savoir; alors je lui demandai s'il ne pourrait pas me conduire à Saint-Just-sur-Loire. Je lui faisais la même question que lorsque je le pris dans la nuit, afin de voir s'il me reconnaîtrait à la voix, ou encore s'il avouerait quelque chose. Il me répondit négativement, mais que son patron m'y conduirait. Alors je lui dis : « Ce n'est pas la peine que vous vous dérangiez pour cela, je ne tiens pas absolument à aller de suite là-bas, je préfère me rendre immédiatement à Saint-Étienne pour régler mes affaires. » A un moment donné, il prétexta avoir oublié quelque chose, me pria de descendre, et rebroussa chemin en me disant : « Je vais chercher une note que j'ai oubliée. » Pas plutôt descendu, je compris que j'étais reconnu, je me mis à suivre la voiture que je perdis bientôt de vue. Dans ma précipitation et mes doutes sur l'endroit exact de sa demeure, je dépassai de beaucoup son habitation, et m'apercevant de mon erreur, j'eus bientôt son adresse exacte par les habitants du pays, d'autant plus que je connaissais son nom. Je l'attendis un instant et, ne le voyant pas sortir de chez lui où je faisais le guet, je compris que le meilleur parti à prendre, était de m'en retourner chez moi, tout en me tenant sur mes gardes. Je m'en retournai à pied, ayant mes mains sur les deux revolvers que je portais, et au moindre bruit, je me mettais sur la défensive. Tout me portait ombrage et je ne voulus pas me rendre à la gare, craignant d'être pris, bien que j'avais sur moi un billet de retour pour Saint-Etienne. En réfléchissant de plus en plus sur la conversation du cocher et sur ses agissements, je compris qu'il avait déjà depuis longtemps dévoilé tout ce qu'il savait. Mon plan était de ne plus retourner à la chambre où il m'avait conduit.

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