dimanche 1 septembre 2019

Introduction à l'ouvrage Le mythe bolchevique de Alexandre Berkman


« A lire A. Berkman , on pourrait rendre compte du bolchevisme comme le glissement d'une formule immortalisée par le livre de Lénine « L'état et la révolution » à une toute autre formule l'état est la révolution. Autant la première ouvre un espace de confrontation , voire d'affrontement polémique, dialectique , où s'opposent les contradictions entre les deux instances, l'état d'un côté, la révolution de l'autre , autant la seconde tourne le dos à cette confrontation dialectique , à la construction d'un champ de tensions, dans la mesure où elle substitue à un espace d'antagonisme un espace d'identification d'où sont évacuées du même coup les contradictions entre la logique de l'état et la logique de la révolution.
L'état est la révolution , la révolution c'est l'état réciproquement . Le glissement d'une formule à l'autre , glissement néfaste, funeste, dévastateur, entraîne aussitôt une série de mouvements irrésistibles. Si l'état est la révolution, cela veut dire qu'un immense lit de Procuste de l'état recouvre le corps polymorphe de la Révolution , et la mutile dans tous les sens pour la rendre identique à la machine étatique, pour aligner la logique de la révolution sur la logique de l'état, pour soumettre la révolution à l'état. »

« Mais le sans-précédent du bolchevisme est que cette contre-révolution s'exerce contre une inventivité révolutionnaire nouvelle -et non plus incohative -, contre des formes institutionnelles inédites, à savoir les conseils ouvriers et les conseils de paysans, les societs qui se constituent délibérément , consciemment , contre l'état et ses organes , contre la logique de l'état, logique hiérarchique, verticale, autoritaire, en donnant naissance à une logique autonome, horizontale, destinée à remplacer les organes, les institutions de l'état. Historiquement la particularité du bolchevisme est d'être contemporain de la forme institutionnelle qui le nie – les soviets contre l'état qui prétend à tort s'identifier à la Révolution. »

« Berkman permet de remonter jusqu'aux origines et de comprendre hors de toute idéologie comment l'historiographie qui s'est greffée sur le bolchevisme peut encore parler de cette expérience comme relevant volonté d'émancipation. Vous avez dit révolution ? Mais tout ce qui est ici présenté inscrit en lettres sanglantes une histoire qui pourrait être celle de la contre-révolution. Communisme ? Mais la finalité des transformations dont Berkman nous décrit les retombées dans la société ne se distingue par de celle d'un capitalisme qui au stade de l'accumulation primitive fait appel à la force de l'état pour accomplir son œuvre. Et, plus encore, il ramène à la juste réalité de la vie quotidienne du peuple russe tous les modes d'interprétation destinés à en présenter un tableau conforme à ce qu'on veut faire dire à cette histoire. »

Berkman écrit : « Déjà dans les premiers jours de la révolution, au début de 1918, orsque Lénine a annoncé au monde son programme socio-économique dans ses moindres détails, les rôles du peuple et du parti dans la reconstruction révolutionnaire étaient strictement séparés définitivement assignés. D'un côté, un troupeau socialiste d'une soumission absolue, un peuple muet ; de l'autre , un parti politique omniscient qui contrôle tout. Ce qui reste impénétrable à tout un chacun est pour lui un livre ouvert. Il n'existe qu'une source de vérité indiscutable : l'état . Mais l'état communiste, dans sa nature et sa pratique, est la dictature de son comité central. Chaque citoyen doit d'abord et avant tout être le serviteur de l'état , un fonctionnaire obéissant qui exécute la volonté du maître sans poser de questions. Toute libre initiative , qu'elle soit individuelle ou collective, est éliminée de la vision de l'état. Les soviets du peuple sont transformés en sections du parti dirigeant, les institutions soviétiques deviennent des bureaux sans âme, de simples transmetteurs de la volonté du centre vers la périphérie. Tout ce qui exprime l'activité de l'état doit être visé du sceau d'approbation du communisme tel que l'interprète la faction au pouvoir. Tout le reste est considéré superflu, inutile et dangereux.
Comme les masses sont inconscientes de leur propre intérêt, elles doivent être libérées « par la force. Pour les éduquer à la liberté il ne faut pas hésiter à employer la contrainte et de la violence. » , chose d'autant plus facile que les décrets «  lient l'ouvrier à l'usine, comme autrefois les paysans étaient enchaînes à la terre. » . Le paysan pauvre , principal intéressé de cette révolution prolétarienne , tirera la leçon de l'histoire : « avant , on nous traitait , comme du bétail, dit un paysan blond aux yeux bleus, et c'était au nom du petit père. Maintenant, ils nous parlent au nom du parti et du prolétariat , mais on continue à être traités comme du bétail, comme avant . On s'apercevra vite que le bétail pouvait avoir une autre fonction , et c'est à Ida Mett qu'il convient de se référer pour prendre la mesure du sort que la révolution russe a réservé à la paysannerie, épuisée par le « communisme de guerre » et qui , après la Nep, passera «  de la collectivisation à la famine ».

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