Contribution
exigée des citoyens pour assurer le service des charges publiques.
Charge quelconque incombant à un citoyen pour le service de l'Etat.
Dans son Système des Contradictions Economiques, PROUDHON a
magistralement décrit le caractère de l'impôt. Donnons-lui la
parole : « L'impôt, dans son essence et sa destination positive,
est la forme de répartition de cette espèce de fonctionnaires
qu'Adam Smith a désignés sous le nom d'improductifs. Par cette
qualification d'improductifs, Adam Smith entendait que le produit de
ces travailleurs est négatif et qu'en conséquence la répartition
suit à leur égard un autre mode que l'échange. Considérons, en
effet, ce qui se pose, au point de vue de la répartition dans les
quatre grandes divisions du travail collectif : extraction,
industrie, commerce, agriculture. Chaque producteur apporte sur le
marché un produit réel dont la qualité peut s'apprécier, la
quantité se mesurer, le prix se débattre et, finalement, la valeur
s'escompter soit contre d'autres services ou marchandises, soit en
numéraire. Pour toutes ces industries, la répartition n'est donc
pas autre chose que l'échange mutuel des produits, selon la loi de
proportionnalité des valeurs. Rien de semblable n'a lieu avec les
fonctionnaires dits publics. Ceux-ci obtiennent leur droit à la
subsistance, non par la production d'utilités réelles, mais par
l'improductivité même ou ils sont retenus. Pour eux, la loi de
proportionnalité est inverse : tandis que la richesse sociale se
forme et s'accroît en raison directe de la quantité, de la variété
et de la proportion des produits effectifs fournis, le développement
de cette même richesse, le perfectionnement de l'ordre social,
supposent au contraire, en ce qui regarde le personnel d'Etat, une
réduction progressive et indéfinie. En un mot, le salaire des
employés du gouvernement constitue pour la société un déficit ;
il doit être porté au compte des pertes que le but de
l'organisation industrielle doit être d'atténuer sans cesse. La
théorie synthétique de l'impôt c'est de faire vivre cette
cinquième roue du char de l'Humanité qui fait tant de bruit et
qu'on appelle, en style gouvernemental, l'Etat. - L'Etat, la police,
ou leur moyen d'existence l'impôt, c'est, je le répète, le nom
officiel de la chose qu'on désigne, en économie politique, sous le
nom d'improductifs, en un mot de la domesticité sociale. L'idée
originaire de l'impôt est celle d'un Rachat. Comme, par la loi de
Moïse, chaque premier-né était censé appartenir à Jéhovah et
devait être racheté par une offrande, ainsi l'impôt se présente
partout sous la forme d'une dîme ou d'un droit régalien par lequel
le propriétaire rachète chaque année de l'Etat le bénéfice
d'exploitation qu'il ne tient que de lui. Tous les impôts se
divisent en deux catégories: 1° l'impôt de répartition, ou le
privilège : ce sont les plus anciennement établis ; 2° impôts de
consommation ou de quotité, dont la tendance, en assimilant les
premiers, est d'égaliser entre tous les charges publiques. La
première espèce d'impôts qui comprend chez nous l'impôt foncier,
celui des portes et fenêtres, les patentes et les licences, les
droits de mutation, centièmes deniers, prestations en nature et
brevets - est la redevance que l'Etat se réserve sur tous les
monopoles qu'il concède ou tolère. Sous ce régime, l'impôt n'est
qu'un tribut payé par le détenteur au propriétaire ou
commanditaire universel : l'Etat. La deuxième sorte d'impôts
comprend en général tous ceux que l'on désigne, par une espèce
d'antiphrase, sous le nom de contributions indirectes, boissons,
sels, tabacs, douane, en un mot toutes les taxes qui affectent
directement le produit. Quoi qu'il en soit de la signification de
l'impôt de répartition ou de l'impôt de quotité, une chose
demeure positive et qu'il nous importe de savoir : c'est que pour la
proportionnalité de l'impôt, l'intention du Souverain a été de
faire contribuer les citoyens aux charges publiques au marc le franc
des capitaux. En deux mots, le but pratique et avoué de l'impôt est
d'exercer sur les riches, au profit du peuple, une reprise
proportionnelle au capital. Or, l'analyse des faits démontre : que
l'impôt de répartition, l'impôt du monopole, au lieu d'être payé
par ceux qui possèdent, l'est presque tout entier par ceux qui ne
possèdent pas ; que l'impôt de quotité, séparant le producteur du
consommateur, frappe uniquement sur ce dernier, ce qui ne laisse au
capitaliste que la part qu'il aurait à payer si les fortunes étaient
absolument égales ; enfin que l'armée, les tribunaux, la police,
les écoles, les hôpitaux, hospices, maisons de refuge, les emplois
publics, payés d'abord et entretenus par le prolétaire, sont
dirigés ensuite contre le prolétaire ou perdus pour lui ; en sorte
que le prolétariat qui, d'abord, ne travaillait que pour la classe
qui le dévore, celle des capitalistes, doit travailler encore pour
la caste qui le flagelle, celle des improductifs. Ces faits sont
désormais si connus, et les économistes les ont exposés avec une
telle évidence, que je m'abstiendrai de reprendre en sous-œuvre
leurs démonstrations. Ce que je veux mettre en lumière, et que les
économistes ne me semblent pas avoir suffisamment compris, c'est que
cette condition faite au travailleur par cette nouvelle phase de
l'économie sociale n'est susceptible d'aucune amélioration tant que
l'Etat existera, quelque forme qu'il affecte, aristocratique ou
théocratique, monarchique ou républicaine. D'après la théorie que
nous venons de voir, l'impôt est la réaction de la société contre
le monopole. Peuple et législateur, économistes, journalistes et
vaudevillistes, traduisant chacun dans sa langue la pensée sociale,
publient à l'envi que l'impôt doit tomber sur les riches, frapper
le superflu et les objets de luxe, et laisser francs ceux de première
nécessité. Bref, on a fait de l'impôt une sorte de privilège pour
les privilégiés. Pensée mauvaise, puisque c'était par le fait
reconnaître la légitimité du privilège qui, dans aucun cas et
sous quelque forme qu'il se montre, ne vaut rien. D'après l'opinion
générale et d'après le témoignage des économistes, deux choses
sont avérées : l'une que, dans son principe, l'impôt est
réactionnaire au monopole ; l'autre que, dans la pratique, ce même
impôt est infidèle à son but, qu'en frappant le pauvre de
préférence, il commet une injustice ». Mais laissons-là Proudhon
disserter sur la manière la plus logique de prélever l'impôt. Pour
nous autres, anarchistes, cela n'a qu'une importance secondaire. Que
ce soit un impôt de capitation ou un impôt progressif ; qu'on le
nomme impôt sur le revenu ou impôt sur le capital, l'impôt est une
chose inique et insoutenable aux yeux de tout être sincère et
loyal. L'impôt qui pèse lourdement sur le peuple - et qui, de
quelque façon qu'il soit prélevé, retombera toujours sur les
épaules du peuple - l'impôt n'a de raison d'exister que dans les
sociétés policées, étatisées. L'impôt n'existe que parce que la
propriété, le salariat, le commerce, l'autorité, - en un mot
l'exploitation matérielle ou morale de l'homme par l'homme -
existent. Contribution des citoyens aux charges publiques? du
prolétariat aux charges des institutions qui sont uniquement
dirigées contre lui. L'impôt sert à payer toute cette armée de
gouvernants : députés, sénateurs, ministres et chefs d'Etat -
ainsi que leur cohorte de fonctionnaires, employés d'administration,
flics, mouchards, soldats, qui vivent de leur nocivité. L'impôt
sert non seulement à payer les improductifs, il sert encore à faire
vivre les destructeurs. L'impôt fait vivre l'armée, les fabriques
de munitions ; l'impôt rend seul possible les guerres ruineuses et
dévastatrices. L'impôt, c'est ce dont l'Etat frustre le
consommateur au profit de la mort, de la répression et de cet abus
de confiance qu'est la politique. Dans tous les pays, même en Russie
où règne un gouvernement prétendu prolétarien - l'impôt, c'est
cette « princesse » qui paie tous les achats de conscience, toutes
les sportules, toutes les munificences avec lesquelles les
politiciens se congratulent, toutes les dépenses somptuaires, toutes
les réceptions spectaculaires de souverains ou visiteurs étrangers.
L'impôt, c'est ce que le peuple paie pour entretenir une police, une
gendarmerie, une magistrature ; un système pénitentiaire, l'armée
; toutes institutions renforcées pour réprimer impitoyablement et
même exterminer le peuple en cas de révolte. Aux mots budget, dette
publique, grand-livre (voir ces mots), il est démontré que la plus
grande partie des impôts vont aux œuvres de guerre, de police et de
fonds secrets. Les impôts qui devraient servir à l'entretien des
hôpitaux, des travaux publics, à toutes les œuvres d'amélioration
sociale, les impôts sont accordés avec ladrerie, on marchande, on
lésine pour donner des crédits à l'Assistance publique, aux
laboratoires, à l'instruction. Tout est destiné à l'armée et à
la répression en général. L'impôt ne sert qu'à forger des
chaînes avec lesquelles on maintient le prolétariat dans son sort
misérable. Tout par le peuple et contre le peuple ; voilà la
vérité. L'impôt disparaitra, au lendemain de la révolution, avec
l'argent, la propriété, le patronat et l'autorité. Dans une
société libertaire, l'impôt sera remplacé par la coopération
volontaire de tous les individus aux œuvres d'intérêt public. Il y
aussi l'impôt du sang. Mot pompeux inventé par les hystériques de
la patrie pour désigner l'obligation du service militaire. Comme les
autres impôts, c'est encore le peuple qui en fait tous les frais,
contre lui-même. Des êtres courageux et clairvoyants opposent à
cet impôt du sang l'objection de conscience (voir conscience et
objection). Ce serait, en effet, un pas en avant de fait que
l'obtention du droit de ne pas être soldat pour qui professe des
idées anti guerrières. Mais nous n'attendons pas grand-chose du
législateur. L'impôt du sang cessera d'exister le jour où les
frontières et l'autorité auront disparu.
-
Louis LORÉAL.
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