samedi 2 janvier 2021

Le mouvement anarchiste des origines à nos jours par Jean Maitron

En 1888, L’idée ouvrière », publiée au Havre, applaudit aux placards révolutionnaires affichés dans la ville, quelques jours plus tôt :

« La justice ou la Mort,

Aux Travailleurs,

Vous qu’on exploite et qu’on vole journellement ; vous qui produisez toutes les richesses sociales ; vous qui êtes las de cette vie de misère et d’abrutissement, REVOLTEZ VOUS !

Forçats du travail, flambe le bagne industriel ! Etrangle le garde-chiourme ! Assomme le sergot qui t’arrête ! Crache à la gueule du magistrat qui te condamne ! Pends le propriétaire qui te jette à la rue aux heures de purée !

Forçat de la caserne, passe ta baïonnette à travers le corps de ton supérieur !

Boucher du peuple ! Futur maitre assassin ! Forçats de tous ordres, égorgez vos patrons !

Sortez de vos poches le couteau libérateur ! Pillez ! Incendiez ! Détruisez ! Anéantissez ! Purifiez !

Vive la révolte ! Vive l’incendie, mort aux exploiteurs !

 

Le comité exécutif. »

 

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Octave Mirbeau à propos de l’attentat commis par Emile Henry :

 

 « Un ennemi mortel de l’anarchie n’eut pas mieux agi que cet Emile Henry, lorsqu’il lança son inexplicable bombe, au milieu de tranquilles et anonymes personnes venus dans un café, pour y boire un bock, avant de s’en aller coucher…( on soupçonne une provocation policière). J’aime mieux croire que cet Emile Henry ne prit, en cette occasion, conseil que de lui-même, sans obéir à d’autres suggestions que celle de sa propre folie. Emile Henry dit, affirme, clame, qu’il est anarchiste. C’est possible. Mais l’anarchie a bon dos. Comme le papier elle souffre tout. C’est une mode, aujourd’hui, chez les criminels, de se réclamer d’elle, quand ils ont perpétré un beau coup…Chaque parti a ses criminels et ses fous, puisque chaque parti a ses hommes. »

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Les anarchistes et les syndicats :

 

« Dans l’esprit de ceux qui préconisent l’entrée dans les syndicats, il s’agit d’ailleurs d’un changement tactique et non doctrinal : aux yeux des anarchistes, les syndicats restent impuissants si leur but consiste à faire obtenir à l’ouvrier une augmentation de salaire ou une diminution du tremps de travail. Dans un cas comme dans l’autre, l’amélioration obtenue ne peut être que temporaire ou illusoire. L’augmentation du coût de la vie compensera, et souvent au-delà, l’augmentation des salaires , la réduction du temps de travail s’accompagnera d’une plus grande rapidité du rythme de production , source d’une fatigue accrue pour l’ouvrier. Cependant il est possible d’utiliser les syndicats. Jusqu’à ce jour, ils n’ont été aux mains des marxistes que de « petites chapelles autoritaires », ils deviendront , grâce aux anarchistes, des centres de libre discussion d’où seront bannies les controverses politiques ; ils n’ont servi qu’à endormir le prolétariat par la promesse d’impossibles réformes, ils deviendront, grâce aux compagnons, des foyers d’éducation où les ouvriers apprendront que l’émancipation économique ne se peut obtenir que par la révolution et la fin du salariat… »

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Note donnée par Nikitine à la police :

 

« Il faut tout faire pour détacher les masses ouvrières des soi-disant socialistes qui se servent aujourd’hui du peuple pour se faire une situation, et qui, maitres demain, se soumettraient à un joug plus lourd que celui de la bourgeoisie. Bien faire comprendre aux groupes que le salut de la révolution est là.

Pour y réussir, il faut bien pénétrer les camarades de cette grande et très urgente nécessité, afin que tous continuent à travailler comme ils ont déjà commencé de le faire, afin d’atteindre le but que nous nous proposons dans l’avenir le plus rapproché possible.

Il est donc indispensable d’entrer de plus en plus dans les syndicats et de montrer par les faits, aux prolétaires, nos frères, que les anarchistes n’entendent’ pas se mêler au mouvement pour obéir à un sentiment de vanité ou d’intérêt personnel, mais bien pour lutter avec eux et pour eux, dans l’intérêt de l’émancipation commune.

Là où il n’existe pas de syndicats, les anarchistes doivent en créer, et là où il en existe déjà, il faut se mêler aux adhérents.

Si l’entrée dans certains syndicats n’était pas rendue possible, il faut en instituer à côté de ceux existant déjà.

Il est très utile de prendre une part active aux grèves comme à toutes les agitations ouvrières de se refuser constamment à accepter toute situation en vedette. Il faut notamment être toujours les premiers à la peine et au danger. Il faut profiter de tout pour faire de la propagande anarchiste et mettre constamment en garde les ouvriers contre les socialistes autoritaires qui seront leurs oppresseurs de demain.

Quand des compagnons voudront faire des actes individuels, il est utile que ces actes soient tels que les masses puissent facilement y reconnaitre l’œuvre de gens qui luttent et se sacrifient pour le bien de tous.

On doit, parmi nous, rester toujours pénétré de cette vérité, qu’il ne faut pas attendre que les ouvriers soient devenus anarchistes pour aller parmi eux, mais qu’on doit y aller précisément pour tâcher, par tous les moyens de les amener à nous.

Ne pas se rebuter surtout à raison de ce qui, dans les mœurs ouvrières, est contraire à nos idées et à nos habitudes, mais faire, parmi les travailleurs, de la propagande adroitement, pénétrés de ce principe que, pour convaincre, il faut d’abord savoir se faire écouter, sans idées préconçues et sans prétentions. »

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Pelloutier dans les « temps nouveaux « :

« Personne ne croit ou n’espère que la prochaine révolution, si formidable qu’elle doive être, réalise le communisme anarchique pur. Mais l’état transitoire à subir doit-il être nécessairement, fatalement la geôle collectiviste ? Ne peut-il consister en une organisation libertaire limitée exclusivement aux besoins de la production et de la consommation, toutes intuitions politiques ayant disparu ?...

Or, qu’est-ce qu’un syndicat ? Une association, d’accès ou d’abandon libre, sans président, ayant pour tous fonctionnaires un secrétaire et un trésorier révocables dans l’instant, d’hommes qui étudient et débattent des intérêts professionnels semblables. Que sont-ils ces hommes ? Des producteurs, ceux-là même qui créent toute la richesse publique. Attendent-ils pour se réunir, se concerter, agir, l’agrément des lois ? Non ; leur constitution légale n’est pour eux qu’un amusant moyen de faire de la propagande révolutionnaire avec la garantie du gouvernement, et d’ailleurs combien d’entre eux ne figurent pas et ne figureront jamais sur l’annuaire officiel des syndicats. Usent-ils du mécanisme parlementaire pour prendre leurs résolutions ? Pas davantage ; ils discutent et l’opinion la plus répandue fait loi, mais une loi sans sanction, exécutée précisément parce qu’elle est subordonnée à l’acceptation individuelle  - sauf le cas bien entendu, où il s’agit de résister au patronat. Enfin, s’ils nomment à chaque séance un président, un délégué à l’ordre, ce n’est plus que par l’effet de l’habitude, car une fois nommé, ce président est parfaitement oublié et oublie fréquemment lui-même la fonction dont ses camarades l’ont investi. Laboratoire des luttes économiques, détaché des compétitions électorales, favorable à la grève générale avec toutes ses conséquences, s’administrant anarchiquement, le syndicat est donc bien l’organisation à la fois révolutionnaire et libertaire qui pourra seule contrebalancer et arriver à détruire la néfaste influence des politiciens collectivistes.

Supposons maintenant que, le jour où éclatera la révolution, la presque totalité des producteurs soit groupée dans les syndicats ; n’y aurait-il pas là, prête à succéder à l’organisation actuelle, une organisation quasi libertaire, supprimant de fait tout pouvoir politique, et dont chaque partie, maitresse des instruments de production, règlerait toutes ses affaires elle-même, souverainement par le libre consentement de ses membres ?  Et ne serait-ce pas l’association libre des producteurs libres ? »

 

Pouget dans « Le père Peinard »

« La syndicale a pour but de faire la guerre aux patrons, et non de s’occuper de politique…S’il est assez finaud pour pas prêter le flanc aux mensonges des aspirants bouffe-galette, qui ne manqueront pas d’en baver pis que pendre sur son compte , il se verra vivement écouté. »

« Le problème est celui-ci : je suis anarcho, je veux semer mes idées, quel est le terrain où elles germeront le mieux ? J’ai déjà l’usine, le bistrot…, je voudrais quéque chose de mieux : un coin où je trouve des prolos se rendant un peu compte de l’exploitation que nous subissons et se creusant la tête pour y porter remède. Ce coin existe-t-il ? Oui, nom de Dieu ! Et il est unique : c’est le groupe corporatif ! »

« Quel doit être le turbin de la Syndicale ? Primo, elle doit constamment guigner le patron, empêcher les réductions de salaire et autres crapuleries qu’il rumine. Si les prolos n’étaient pas toujours sur le qui-vive, les singes les auraient vite réduits à boulotter des briques à la sauce des cailloux.

Deuxièmo, outre ce turbin journalier, qui est la popote courante, y’a une autre besogne, bougrement chouette : préparer le terrain à la Sociale.

Nous subissons le patron, parce qu’il n’y a pas de mèche de faire autrement. Nous savons que c’est de notre travail qu’il s’engraisse. Si, pour le moment, nous nous contentons de le tenir en respect, nous espérons bien, un de ces quatre matins, être assez à la hauteur pour le foutre carrément à la porte.

C’est  cela qu’à la Syndicale nous devons expliquer aux nouveaux venus qui y rappliquent pour se garantir contre l’exploitation.

L’usine est à nous tous : chaque brique des murs est cimentée de notre sueur ; chaque rouage des machines est graissé de notre sang.

Quel beau jour, celui où nous pourrons reprendre notre bien, -faire la grande expropriation.

Ça fait, nous nous alignerons pour turbiner en frangins. Et, si l’ex-patron ne fait pas le rouspéteur, on lui fera une place à l’usine : il travaillera à égalité ; kif-kif les camaros. »

 

Grandidier :

« Cessons d’être les gardiens farouches d’un dogme intangible, soyons, pour une fois, quelque peu pratiques ; sortons enfin de cette tour d’ivoire dans laquelle nous étouffons ; allons dans les syndicats ; insufflons leur un peu de notre foi en un meilleur devenir social : travaillons à donner à ces groupements d’hommes sincères et de bonne volonté une plus grande conscience d’eux-mêmes. Nous aurons ainsi beaucoup œuvré pour la prochaine révolution d’où sortira la société future qui ne sera que ce que seront les individus qui la composent. »

 

En 1869  Bakounine écrivait dans l’égalité : 

« Il n’en est qu’une seule [méthode d’émancipation] . C’est celle de la lutte solidaire des ouvriers contre les patrons. C’est l’organisation et la fédération des caisses de résistance. »

 

James Guillaume :

 

« Considérant que les grèves partielles, recommande aux ouvriers de consacrer leurs efforts à achever l’organisation internationale des corps de métier, qui leur permettra d’entreprendre un jour une grève générale, seule grève réellement efficace pour réaliser l’émancipation complète du travail. »

« Nous ne nous faisons pas d’illusion sur la valeur réelle des grèves. Nous savons que c’est un mode de combat qui est imposé aux ouvriers par les conditions actuelles, la seule arme qu’ils aient entre les mains jusqu’à présent pour faire valoir leurs intérêts contre leurs patrons ; nous savons que ses résultats, même les plus positifs, n’aboutissent qu’à améliorer quelque peu la condition des ouvriers, sans changer en rien les bases des conditions sociales actuelles…L’idée d’une grève générale des travailleurs, qui mettrait fin aux misères qu’ils subissent, commence à être sérieusement discutée par les associations ouvrières mieux organisées que les nôtres. Ce serait certainement là un acte révolutionnaire capable de produire une liquidation de l’ordre social actuel et une réorganisation conforme aux aspirations socialistes des ouvriers. »

 

Pelloutier :

« Les bourgeois sont ce que les évènements les obligent d’être, tour à tour monarchistes, républicains modérés, voire même socialistes : ils s’entendent à merveille pour savoir, sous tous les régimes, conserver leurs privilèges et monopoles.

Pouvons-nous réagir ; oui et non ! Non si nous nous laissons berner par le parlementarisme.

Travailleurs, séparez-vous, nettement des politiciens qui vous trompent…Il faut nous instruire, serrer les rangs, et ne compter que sur nous-mêmes. »

 

Pelloutier :

« Service d’enseignement. La bourse du travail veut être l’université de l’ouvrier, et les anarchistes, qui ont toujours préconisé l’instruction et l’éducation comme facteurs d’émancipation, s’attacheront à la création et au développement des services culturels les plus variés comme ces musées du travail, dont les muettes leçons sont plus éloquentes que les vaines clameurs révolutionnaires à quoi s’essoufflent les orateurs d’estaminet. »

 

« Nous ne devrions jamais discuter une loi ; car la discuter, c’est la reconnaitre. »

« Accepter de discuter avec ses exploiteurs, c’est leur reconnaitre le droit d’exploitation. »

 

Fernand Pelloutier :

« En autorisant les syndicats à faire des actes de commerce et d’industrie, elle [la loi] a pour but (avoué ou non) de donner le pas sur les minorités militantes des syndicats à ces majorités d’hommes syndiqués, uniquement par esprit de lucre […]. Dans chaque syndicat, il y a un militant pour neuf égoïstes […], les syndicats les plus riches sont ceux qui pratiquent le moins le devoir de solidarité. Combien de syndicats consentiront à faire grève ou à soutenir des grèves, quand, ayant acquis des biens et engagé leurs capitaux dans des opérations commerciales, ils auront pris le goût de la propriété. »

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