« L’époque du nationalisme pendant laquelle les ouvriers pouvaient être et vivre nationalement tout en ayant un discours internationaliste est finie. L’époque des discours internationaux et de la pratique nationale est terminée. »
« Aujourd’hui c’est le prolétariat qui est agressé. Il
est agressé aussi bien par sa propre bourgeoisie que par la bourgeoisie
étrangère. Bien sûr, le prolétariat doit se défendre contre son ennemi et même
le jeter à terre. Mais son ennemi n’est plus seulement l’étranger mais c’est
aussi l’impérialisme y compris celui de sa propre bourgeoisie. »
« Les temps ont changé. Le capitalisme s’est tellement
développé qu’il ne peut continuer à se développer ultérieurement qu’en
massacrant le prolétariat de tous les pays. Un capitalisme mondial est né et il
se retourne contre le prolétariat mondial. Donc il est faux que les intérêts du
prolétariat exigeassent d’approuver la guerre une fois que celle-ci fût
déclenchée. »
« La social-démocratie allemande soutient, qu’une fois
la guerre déclarée, le prolétariat doit repousser l’ennemi pour échapper à la
terreur de l’invasion, de l’assassinat, du saccage, de l’incendie ; et que les
ouvriers doivent se défendre pour l’amour de leur pays, de leur classe, de leur
nation. C’est leur argument le plus fort. Nous répondons que, par principe,
l’impérialisme en général est pour le prolétariat incomparablement plus
dangereux que la guerre et que l’invasion. En effet, l’impérialisme est quelque
chose de durable qui menace le prolétariat européen. Pour cette raison, à
n’importe quel prix, et peut-être même au prix d’une invasion, le prolétariat
doit s’opposer à l’impérialisme et à la guerre de l’impérialisme. De ceci
également nous apporterons la preuve détaillée. Vous dites : « C’est notre
instinct de conservation qui nous pousse à défendre notre patrie. » Nous
répondons à cela : l’impérialisme vous menace plus comme prolétaires que comme
allemands. Une série de guerres impérialistes pour la possession du monde, en
impérialisme toujours plus puissant menace votre classe. C’est donc votre
existence en tant que prolétaires qui est remise en cause. Vous utilisez donc
faussement, aveuglément et inconsciemment votre instinct de conservation - dans
ce cas votre patriotisme. Cet instinct de conservation vous devez l’employer
d’une autre façon, consciemment et opportunément ; et au lieu de combattre aux
côtés des Allemands pour l’impérialisme allemand, vous devez combattre avec les
prolétaires du monde entier contre l’impérialisme. »
« Vous dites : « Mais nos villes, nos terres seront
dévastées par l’ennemi si nous ne le repoussons pas. » Nous répondons que pour
le prolétariat international, à présent sous le joug de l’impérialisme du
vingtième siècle, si une ville ou une contrée est détruite, peu importe qu’elle
fût allemande, belge, française ou russe. Nous répondons que vous avez le choix
entre deux voies : ou vous approuvez la guerre et la dévastation de votre pays
ou d’un autre pays ; ou vous résistez collectivement avec tous les autres prolétariats
contre la guerre. Nous répondons que l’impérialisme menace de ruine l’Europe,
votre pays et le monde, non seulement maintenant mais pour de nombreuses
années. Nous répondons que vous devez décider : ou vous voulez vous associer
pendant de nombreuses années à la dévastation de pays entiers ou vous voulez
commencer, une fois pour toutes, à mettre fin à toutes les dévastations. Nous
répondons que vous devez vous unir au prolétariat international pour mettre un
frein à la dévastation du monde. Nous répondons qu’aujourd’hui, sous la
domination de l’impérialisme, l’internationalisme l’emporte sur la nationalité. »
« Et si vous ne faites pas attention, si vous faites la
guerre en tant que laquais de l’impérialisme, même après la paix l’impérialisme
allemand continuera à vous écraser en tant que classe. Il le fera grâce à de
nouveaux armements et une nouvelle guerre. Vous n’en êtes qu’au début. Toute la
préparation à la lutte de votre classe, de votre parti ouvrier allemand est
menacée par l’impérialisme mondial comme par l’impérialisme allemand. Nous
répondons : « L’impérialisme mondial menace la classe ouvrière du monde entier.
» Nous répondons que vous devez vous défendre jusqu’au bout, non pas avec la
bourgeoisie allemande contre l’anéantissement de la classe ouvrière allemande,
mais avec le prolétariat du monde contre l’anéantissement de la classe ouvrière
mondiale. »
« Nous répondons qu’aujourd’hui, alors que le capital
mondial s’apprête à conquérir la terre et qu’à cette fin il a déclenché la
première guerre mondiale impérialiste, au moment où commence la lutte entre le
capital et le travail et où le capital mondial se retourne contre le
prolétariat mondial au moyen d’une oppression, telle qu’il n’en exista jamais
auparavant, de la guerre, des destructions et de la mort, nous répondons donc
qu’avec cette nouvelle période le prolétariat, à moins qu’il ne veuille
succomber matériellement, spirituellement, et éthiquement, doit s’imposer comme
classe combattant pour la liberté. Nous répondons que le prolétariat doit
devenir fort et doit empêcher sa propre ruine voulue par l’impérialisme. Encore
une fois nous répondons : L’impérialisme national menace le prolétariat autant
que l’impérialisme des autres nations. Pour cette raison, pour le prolétariat
dans son ensemble, il est nécessaire de combattre d’égale façon, c’est-à-dire
avec la même énergie, tous les impérialismes, le sien propre comme l’étranger. »
« Nous répondons : « Le nationalisme – dans le sens de
nourrir des sentiments hostiles envers les autres nations – qui plus ou moins
est toujours vif dans le prolétariat, est complètement éliminé par
l’impérialisme dès que le prolétariat le comprend et le reconnaît. » Nous
répondons : « L’internationalisme, l’absence de patrie – dans le sens de
refuser la lutte contre toute autre nation – est un sentiment encore peu
répandu dans le prolétariat ; mais, grâce à l’impérialisme, il devient une
condition sine qua non, une condition vitale pour le prolétariat
révolutionnaire international. » La lutte internationale commune contre
l’impérialisme de toutes les nations devient une condition vitale pour tous les
prolétariats nationaux et pour le prolétariat mondial dans son entier. Nous
répondons : « La guerre vous menace d’une invasion. Votre instinct vous dit que
vous devez repousser l’agression. Si vous le faites spontanément, vous
renforcez l’impérialisme. » Mais l’impérialisme vous menace du danger de la
course aux armements, de l’oppression et de la ruine. »
« L’impérialisme est le grand problème d’aujourd’hui et
de son étude théorique comme des moyens de le combattre dépend, pour longtemps
et même pour toujours, tout l’avenir du prolétariat. C’est le noyau dont dépend
toute l’évolution de la lutte ouvrière. La révolution sociale et internationale
- elle ne peut être qu’internationale - dépend de la lutte contre
l’impérialisme. Non pas dans le sens où cette lutte nous apporterait
immédiatement le socialisme. Mais dans le sens où, de façon révolutionnaire,
elle peut nous faire avancer d’un important bond en avant sur la voie du
socialisme. »
« La vraie raison pour laquelle une grande partie
d’entre vous participa à la guerre n’est pas la lutte contre la Russie mais le
désir de collaborer à la politique coloniale et à l’impérialisme [Dans la
classe ouvrière européenne, dans une grande partie de cette classe, prédomine
un impérialisme et un nationalisme caché. Nous nous occuperons longuement de ce
problème quand nous parlerons du Réformisme.] en union avec la bourgeoisie ; et
pour une autre partie d’entre vous, la véritable raison est le manque de
courage pour s’opposer à la guerre. »
« Mais l’impérialisme, avec sa cruelle et sanguinaire
oppression des peuples les plus faibles et avec la stagnation de la législation
sociale qu’il cause, produit un accroissement général de la grossièreté, de la
brutalité et de la sauvagerie. Un stade élevé de la culture, d’ardeur de l’âme
et des esprits, de beauté spirituelle et morale est au contraire abaissé par
l’impérialisme à un niveau profond. »
« Culture ? Mais en quoi consiste la culture de la
période impérialiste ? Les individus et les Etats sont entraînés comme dans un
tourbillon dans une chasse effrénée à l’argent et au pouvoir. La brutale
puissance de l’argent et de la violence renverse tous les faibles. Tous les
peuples du monde, tous les individus, toutes les personnes, toutes les races -
jaunes, noires et brunes -, les sauvages et les civilisés y sont assujettis. Et
la grande masse d’entre eux devient des prolétaires. Que signifie tout ceci ?
Le bonheur et l’indépendance des hommes disparaissent. Leur liberté, toute
relative, s’évanouit. Ils deviennent des choses. Non plus des hommes, mais des
choses soumises au capital. Ils sont enlevés et entraînés par la furieuse
toute-puissance du capital et ils deviennent des appendices des machines. Mais
même dans le monde des capitalistes la cupidité effrénée d’argent, de pouvoir
et de jouissance croît. La corruption et le luxe démesuré croissent. La folie
et les maladies de nerf augmentent. Au contraire, les naissances diminuent et
la limitation artificielle du nombre d’enfants devient une chose générale. Dans
les classes ouvrières l’intensité du travail croît. Le travail des femmes et
des enfants croît avec l’exploitation. La violence de la lutte s’accroît. La
puissance des patrons, des gouvernements, des cartels et des monopoles
s’accroît également. Face à toutes ces puissances, la puissance des ouvriers,
elle, diminue, les charges qui pèsent sur eux augmentent et leur vie est de
plus en plus difficile. La lutte des syndicats s’avère toujours plus difficile,
la lutte parlementaire devient toujours plus problématique. La législation
sociale est à l’arrêt. Les capitalistes et les ouvriers poussés par la
puissance du capitalisme continuent leur course en un tourbillon furieux. Les
capitalistes cherchent argent et pouvoir, ils cherchent à écraser les hommes.
Ils sont eux-mêmes de pauvres esclaves : en effet - et cette guerre en offre
une nouvelle preuve - ils ne sont pas non plus maîtres de leur destin. Ils
doivent faire ce qu’ils ne voulaient pas faire et ce qu’ils craignaient de
faire. L’écrasante puissance du capital, maître du destin, les pousse en avant.
Le capital les chasse avec une rage folle, les uns contre les autres. Comme des
bêtes, lesquelles ne savent pas ce qu’elles font, ils tentent de se déchirer
les uns les autres. Contre leur volonté, contre leur espérance et contre leur
profond désir de vivre. Mais ils le doivent, car le capital dans sa phase
ultime et dans son expansion le veut ainsi. Appelez-vous culture un tel état de
chose et de telles conditions spirituelles ? Et la situation est la même dans
tous les pays. Il n’y a plus aucune différence entre la culture russe,
allemande, française et anglaise. Les différences qu’il y avait entre elles
sont maintenant nivelées par le capital. Et c’est partout la même barbarie. Les
ouvriers sont poussés eux aussi dans ce courant de folie. Ils cherchent en vain
à résister. Ils s’unissent et luttent pour leur émancipation en vain. Ils sont
emportés avec les autres. Ils sont faibles, sans intelligence, sans clarté et
sans courage pour la plus grande partie d’entre eux. »
« Nous avons jusqu’ici vu les raisons qui ont été
avancées par les socialistes eux-mêmes. Mais quelle est la véritable cause de
tout cela ? Comment le prolétariat peut-il renier d’une telle façon ses propres
intérêts et se mettre ainsi au service de la bourgeoisie ? Si nous en
recherchons la raison, nous trouvons comme première cause celle-ci : Le
prolétariat ne sait pas encore se mobiliser comme un tout international contre
la bourgeoisie. La seconde cause est celle-ci : Le prolétariat ne sait pas
encore combattre pour des buts lointains et élevés, mais seulement pour des
buts petits et proches. Pour cette raison, alors qu’il devait combattre à
l’échelle internationale pour ses buts non immédiats, il en fut incapable. Il
ne savait pas que faire. En un mot : il ne connaissait pas la lutte
internationale pour la suprême finalité qu’est le socialisme. En effet, la
lutte contre l’impérialisme maître du monde est la lutte contre l’expansion du
capital, contre la nature du capitalisme et la lutte pour le socialisme. Donc,
la raison pour laquelle le prolétariat international agit ainsi fut
l’ignorance. Avant tout l’ignorance. La classe ouvrière, le prolétariat
international ont besoin d’un niveau de conscience élevé s’ils veulent agir
internationalement. Le nationalisme du prolétariat est de toute autre nature
que celui de la bourgeoisie. La nation est pour le bourgeois l’organisation
politico-économique qui, au moyen de son unité et de sa puissance, lui donne la
possibilité de rendre productif son capital tant à l’intérieur qu’à
l’extérieur. La nation domine, dans son intérêt, les ouvriers à l’intérieur,
elle défend par les armes ses propres intérêts et elle agrandit sa propre
puissance à l’extérieur. Voici la raison du nationalisme bourgeois qui est
actif au plus haut degré comme le capital lui-même. Au contraire, l’ouvrier n’a
pas de capitaux, il reçoit seulement son salaire. L’ouvrier est nationaliste de
façon passive comme il reçoit son salaire de façon passive. Mais les ouvriers,
dans leur écrasante majorité, vivent du capital national. Le capital national
est certes leur ennemi, mais c’est l’ennemi qui leur donne à manger. L’ouvrier
est donc nationaliste seulement passivement certes, mais il l’est jusqu’à un
point tel qu’il n’est plus réellement socialiste, il est et doit être
nécessairement… nationaliste. Puisque la nation, le capital national est la
base de son existence. Il croit donc, et tant qu’il n’est pas socialiste il
doit le croire, que l’intérêt du capital national est le sien et qu’il doit le
défendre contre ses ennemis puisque la sauvegarde du capital est aussi sa
propre sauvegarde. Le nationalisme de l’ouvrier consiste en un faisceau de
nombreuses sensations et d’instincts, la plupart infimes, qui s’unissent à
l’instinct de conservation et s’amalgament à lui. Il s’agit avant tout de
l’instinct de conservation de la vie au moyen du travail et du salaire. Et les
sentiments de la patrie, de la maison paternelle, de la famille, de la
tradition, de l’habitude, de l’amitié, des connaissances, du peuple, de la
classe et du parti s’unissent à ce sentiment de conservation et se fondent sur
lui. De plus ces sentiments se réfèrent immédiatement au moi et sont donc
strictement liés à l’instinct de conservation. Dans la vie quotidienne ces
instincts existent à l’état latent et plus ou moins endormis, ils se
manifestent avec grande force - précisément à cause de cette intime connexion
avec l’instinct de conservation - dès qu’un danger menace ou semble menacer.
Ces instincts éclatent dans un incendie de passion et de haine contre l’ennemi,
d’amour fanatique pour son propre pays quand l’instinct de conservation s’unit
avec les instincts sociaux de communauté avec les compatriotes, les camarades
de classe de la même nationalité. Il faut un haut niveau de connaissance pour
que, à un moment donné, et en fait à tout moment, cet instinct et ces
sentiments soient continuellement surmontés et pour que la lutte des classes ne
soit pas mise de côté au profit de la guerre pour l’amour de la nation.
L’ouvrier doit savoir que le nationalisme sous la domination du capitalisme lui
apportera beaucoup plus de dommages que d’avantages. Il doit savoir quels sont
ces avantages et quels sont ces dommages et il doit les avoir mesurés. Et cette
pensée et ce savoir doivent être de telle nature et avoir pénétré dans sa
conscience de telle façon qu’il puisse non seulement surmonter mais également
remplacer les instincts nationalistes. C’est une tâche extraordinairement
difficile et qui demande beaucoup de temps. A une telle fin, en effet, il est
indispensable qu’existe dans la classe ouvrière et en chaque ouvrier, un degré
élevé de conscience et de connaissance de l’impérialisme. Le capitalisme est
face à l’ouvrier à l’usine, au bureau et dans l’Etat. Il est donc national.
L’impérialisme est face à l’ouvrier dans la politique extérieure de l’Etat,
dans la haute finance, dans les trusts capitalistes, dans l’armement mondial et
dans la politique mondiale. Il faut un degré de connaissance élevé pour pouvoir
saisir le lien entre les questions de la lutte du prolétariat - aussi bien
syndicale que politique - et la politique mondiale et l’impérialisme
international. L’ouvrier doit savoir que l’impérialisme domine toute la politique
et il doit savoir comment il la domine. Il doit savoir qu’en provoquant des
guerres à l’infini l’impérialisme menace de ruine et de scission le
prolétariat. Il doit savoir que, sous l’impérialisme, il ne peut y avoir de
guerres de défense. Il doit enfin et principalement savoir que l’impérialisme
(et sur ce point, il est si strictement lié au nationalisme qu’il lui est
inextricablement mêlé) unit tous les capitalismes nationaux contre le
prolétariat mondial qui doit à son tour être uni contre lui. L’ouvrier doit
savoir, par conséquent, que la lutte contre l’impérialisme est la lutte pour le
socialisme. C’est tout ceci que l’ouvrier doit savoir. Il doit le savoir non au
moyen d’une connaissance livresque ou bavarde, non d’une connaissance vaine,
superficielle et fugace mais au moyen d’une connaissance profonde et parfaite ;
cette conception doit devenir le sang de son sang. »
« Plus les réformistes promettaient des réformes et
plus les masses étaient démoralisées. Rien n’est en effet plus démoralisant et
plus ruineux que de faire aux masses de fausses promesses alors que rien ne se
produit et que les masses attendent toujours avec confiance les réformes. »
«
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