jeudi 28 janvier 2021

Lignes N° 61 collection de Michel Surya

 De l'internationale à l'internationalisme- des entrelignes

Par Marcia Cavalcante Schuback


"Pourquoi, alors que la famine, la misère, l'exploitation, les mécanismes de ségrégation, les catastrophes sociales et naturelles deviennent exponentiels, la gauche se rétrécit-elle, et pourquoi est-ce la droite et l'extrême droite qui crient: "Droites de tous les pays, unissez-vous!""

"Une voie consisterait à préciser la langue du national-(isme) et celle de l'international-(isme). Car, de même qu'il est nécessaire de "dénationaliser" le national, l'internationalisme recherché doit aussi se "dés-internationaliser", au sens en tout cas de l'internationalisme économique, mondialisé, infinitésimalement calculateur, algorithmiquement programmateur. Car c'est cet internationalisme " impropre" qui se trouve justement à la bases "des nouveaux" vieux nationalismes. Mais ceci serait plus décisif encore, il nous semble, qui consisterait à entendre cet appel comme une invitation, hardie, à apprendre à parler une autre langue, une langue d'entre-plusieurs langues, une langue d'entre-langues.

Pour préciser les sens de cette demande, il faudrait commencer par où nous en sommes aujourd'hui: dans la situation d'une totale ambiguïté du sens, où ce n'est plus le "monolinguisme de l'autre) qui parle mais, plutôt, l'équivolinguisme du même. Une des caractéristiques les plus marquantes des politiques d'extrêmes droites et néofascistes d'aujourd'hui, c'est leur stratégie de rendre tous les sens ambigus à commencer par le sens d'"ambiguïté" et de "fascisme". C'est par une mise en ambiguïté du sens, émulant et émulé par les réseaux médiatiques et les technologies de l'information, que ces politiques mobilisent et avancent. L'oscillation terminologique autour de ces mouvements en est déjà le signe: s'agit-il de nationalismes de droite, de populismes nationaux, ou de para/proto/quasi/post/néo/fascismes? Cette hésitation doit au fait qu'ils sont, et ne sont pas, populismes ou fascismes, ils sont tous à droite mais non extrême, car aujourd'hui l'extrême se trouve partout; ils sont plutôt une extra-droite par rapport à celle que l'on connait déjà. Le renvoi incessant au déjà connu aveugle, quand il s'agit d'identifier et de décroire ce qui est inconnu, le "nouveau" dans ce qui arrive à présent.

Fascisme semble plus propre à exprimer ce "nouveau" parce qu'il désigne les nouvelles façons de réunir les "gens" en les séparant et en les polarisant, en les rendant con-fus-ionnés Ce sont les nouvelles formes de "faisceaux" qu'il faut prendre en compte. Peut-être la nouveauté de ces nouvelles formes de fascisme, c'est justement de ne pas se laisser définir distinctement. Le fascisme d'aujourd'hui se trouve précisément dans ce constant:" c'est ...mais ce n'est pas..."

"C'est une politique qui n'a pas besoin de dissoudre la démocratie qui l'a élue, d'une part parce que cette démocratie n'était pas encore assez démocratique dans son processus de consolidation après vingt et un ans de dictature militaire et, d'autre part, parce que cette politique se présente comme une démocratie plus démocratique que la démocratie. Elle s'affiche cultivant une liberté d'expression beaucoup lus libre que celle défendue dans la tradition moderne, car au lieu d'interdire la liberté d'expression, elle dit n'importe quoi et se vanté de faire un usage public des mots les plus violents, grossiers, humiliants, plein de haine, homophobes, racistes, bas et ordinaires."

"La démocratie se défait ainsi non par dissolution dictatoriale, mais en se préservant par la désarticulation du langage par le langage dans les , par l'activité de voter à tout instant pour n'importe quoi, l'excès des votes annulant le sens politique d'une votation, en provoquant l'impression d'une "agency" hyperactive dans une démocratie toujours en ligne. Le propre de la mise en ambiguïté du sens, c'est de vider le sens du sens par son excès. Le jugement et la condamnation de l'ex-président Lula, pour prendre un autre exemple brésilien , ont bien montré comment la specalurisation de la justice sert à légitimer l'injustice. Et si depuis toujours, le pouvoir de légitimer l'injustice appartient à l'appareil judiciaire, la différence maintenant c'est que cette légitimisation se fait devant tous, sans même déguiser les mécanismes du déguisement. La mise en ambiguïté de tout sens et l'instrument de contrôle et de censure le plus puissant de ce nouveau type de fascisme, lorsque le sens censure le sens et la "sensure" prend la place de la censure."

"Peut-être était-ce quelque chose comme cela signifiaient les paroles d'Aimé Césaire lorsqu'il découvre, au bout du petit matin [...toujours à même distance de mirage - mille fois plus natale et dorée d'un soleil que n'entame nul prisme - la terre où tout est libre et fraternel, ma terre". Cette "ma terre" qui peut être découverte "au bout du petit matin" , la terre du mien, de mon appartenance, "mille fois plus natale et dorée d'un soleil que n'entame nul prisme", "libre et fraternel" ne se trouve à vrai dire nulle part que dans l'en train d'exister. Exister dans cette terre sans terre, celle qui touche le naissant de l'existence et se

Nul dans ce sens, le plus propre, est sans doute "le plus difficile à apprendre" (Holderlin).Apprendre à appartenir à l'en train d'exister, à ce qui nous touche naissant en dépit de tout spectacle, apprendre cette présente plus proche que tout présence, à parler les entre-langues, est l'entreligne à maintenir contre les fascismes de l'ambiguïté."

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