dimanche 10 janvier 2021

Textes de sorel

« Le prolétariat ne commence à se constituer en Allemagne que grâce au mouvement industriel qui s’annonce partout. En effet, ce qui forme le prolétariat, ce n’est pas la pauvreté naturellement existante, mais la pauvreté produite artificiellement ; ce n’est pas la masse machinalement opprimée par le poids de la société, mais la masse résultant de la décomposition aiguë de la société, et surtout de la décomposition aiguë de la classe moyenne. Ce qui n’empêche pas, cela va de soi, la pauvreté naturelle et le servage germano-chrétien de grossir peu à peu les rangs du prolétariat. »

 

« Résumons le résultat. L’émancipation de l’Allemagne n’est pratiquement possible que si l’on se place au point de vue de la théorie qui déclare que l’homme est l’essence suprême de l’homme. L’Allemagne ne pourra s’émanciper du Moyen Age qu’en s’émancipant en même temps des victoires partielles remportées sur le Moyen Age. En Allemagne, aucune espèce d’esclavage ne peut être détruite, sans la destruction de tout esclavage. L’Allemagne qui aime aller au fond des choses ne peut faire de révolution sans tout bouleverser de fond en comble. L’émancipation de l’Allemand, c’est l’émancipation de l’homme. La philosophie est la tète de cette émancipation, le prolétariat en est le cœur. La philosophie ne peut être réalisée sans la suppression du prolétariat, et le prolétariat ne peut être supprimé sans la réalisation de la philosophie. »

 

« On peut se demander si les efforts tentés aujourd'hui pour civiliser les classes ouvrières produiront de bons résultats; j'ai grand peur qu'on ne les embourgeoise et j'entends par là qu'on ne diminue la puissance des liens qui rattachent les travailleurs à leur métier. Il n'est pas douteux que si ce phénomène se produit, il n'en résulte une notable diminution dans la valeur effective du sentiment juridique dans la vie. Il est désirable, en effet, que l'homme s'assimile si bien les notions du droit qu'elles deviennent comme des conséquences des activités normales de son existence, qu'elles soient soustraites, en majeure partie, aux caprices de l'imagination, qu'elles soient fortement concentrées dans le cercle des préoccupations professionnelles. Or, ce cercle se dissout dès que l'on s'élève aux régions aristocratiques. L'embourgeoisement de l'ouvrier anglais, qui imite tous les ridicules de classes supérieures de son pays, a été signalé avec raison par Kautsky comme ayant entraîné « une décadence intellectuelle et morale de l'élite des ouvriers anglais », dont se plaignent les écrivains bourgeois [Kautsky, La révolution sociale, trad. franç. p. 123]. »

 

« On peut affirmer que la démocratie constitue un danger pour l'avenir du prolétariat, dès qu'elle occupe le premier rang dans les préoccupations ouvrières ; car la démocratie mêle les classes et par suite tend à faire considérer les idées de métier comme étant indignes d'occuper l'homme éclairé. Corbon n'a peut-être pas, lui-même, évité ce défaut [Il paraît considérer comme heureux que l'ouvrier parisien soit dévoré d'idéalisme quelque peu bourgeois (Corbon, op. cit.. p. 184)] qui était, d'ailleurs, général dans sa génération et dont nous ne comprenons bien l'importance que depuis Marx. Mais ceci demanderait d'amples développements qui ne peuvent trouver place ici. »

 

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