« Le prolétariat ne commence à se constituer en Allemagne que grâce au mouvement industriel qui s’annonce partout. En effet, ce qui forme le prolétariat, ce n’est pas la pauvreté naturellement existante, mais la pauvreté produite artificiellement ; ce n’est pas la masse machinalement opprimée par le poids de la société, mais la masse résultant de la décomposition aiguë de la société, et surtout de la décomposition aiguë de la classe moyenne. Ce qui n’empêche pas, cela va de soi, la pauvreté naturelle et le servage germano-chrétien de grossir peu à peu les rangs du prolétariat. »
« Résumons le résultat. L’émancipation de l’Allemagne
n’est pratiquement possible que si l’on se place au point de vue de la théorie
qui déclare que l’homme est l’essence suprême de l’homme. L’Allemagne ne pourra
s’émanciper du Moyen Age qu’en s’émancipant en même temps des victoires
partielles remportées sur le Moyen Age. En Allemagne, aucune espèce d’esclavage
ne peut être détruite, sans la destruction de tout esclavage. L’Allemagne qui
aime aller au fond des choses ne peut faire de révolution sans tout bouleverser
de fond en comble. L’émancipation de l’Allemand, c’est l’émancipation de
l’homme. La philosophie est la tète de cette émancipation, le prolétariat en
est le cœur. La philosophie ne peut être réalisée sans la suppression du
prolétariat, et le prolétariat ne peut être supprimé sans la réalisation de la
philosophie. »
« On peut se demander si les efforts tentés aujourd'hui
pour civiliser les classes ouvrières produiront de bons résultats; j'ai grand
peur qu'on ne les embourgeoise et j'entends par là qu'on ne diminue la
puissance des liens qui rattachent les travailleurs à leur métier. Il n'est pas
douteux que si ce phénomène se produit, il n'en résulte une notable diminution
dans la valeur effective du sentiment juridique dans la vie. Il est désirable,
en effet, que l'homme s'assimile si bien les notions du droit qu'elles
deviennent comme des conséquences des activités normales de son existence,
qu'elles soient soustraites, en majeure partie, aux caprices de l'imagination,
qu'elles soient fortement concentrées dans le cercle des préoccupations
professionnelles. Or, ce cercle se dissout dès que l'on s'élève aux régions
aristocratiques. L'embourgeoisement de l'ouvrier anglais, qui imite tous les
ridicules de classes supérieures de son pays, a été signalé avec raison par
Kautsky comme ayant entraîné « une décadence intellectuelle et morale de
l'élite des ouvriers anglais », dont se plaignent les écrivains bourgeois
[Kautsky, La révolution sociale, trad. franç. p. 123]. »
« On peut affirmer que la démocratie constitue un
danger pour l'avenir du prolétariat, dès qu'elle occupe le premier rang dans
les préoccupations ouvrières ; car la démocratie mêle les classes et par suite
tend à faire considérer les idées de métier comme étant indignes d'occuper
l'homme éclairé. Corbon n'a peut-être pas, lui-même, évité ce défaut [Il paraît
considérer comme heureux que l'ouvrier parisien soit dévoré d'idéalisme quelque
peu bourgeois (Corbon, op. cit.. p. 184)] qui était, d'ailleurs, général dans
sa génération et dont nous ne comprenons bien l'importance que depuis Marx.
Mais ceci demanderait d'amples développements qui ne peuvent trouver place ici. »
«
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