« Or aujourd’hui ce n’est plus de moi que je prétends m’échapper, mais des autres au travers desquels j’avais commencé par vouloir me perdre »
«Pourquoi alors m’être rappelé l’existence des autres?
Serait-ce que je ne m’aime pas, du moins pas assez pour me suffire, pour me
souffrir? Solitude, la plus belle des fêtes, viendra-t-il, ton miracle? Il me faut
encore me répéter que je ne m’aime pas ce soir et n’y saurais parvenir, non
plus qu’à me reconnaître dans cette chambre. La chambre d’hôtel où je suis
seul. Comme du plus terrible péché, je m’accuse de penser aux autres, et non à
moi. Moi, les autres? «
« Demander secours à des présences extérieures c’est
croire au miracle des échanges. Or les créatures assemblées se prennent beaucoup
les unes aux autres et ne se donnent rien. Où va donc le fruit des larcins
réciproques? J’aimerais croire à quelque cagnotte de l’esprit, au patrimoine de
l’humanité. Et cependant de cette humanité je continue à ne pouvoir prendre notion
que si, libre de tout contact étranger, je suis enfin l’homme seul. Et qui donc n’a
pas senti que pour être un homme, pour être, il fallait être l’homme seul. Je
ne suis que par ce qui m’éloigne des autres et, me rendant incompréhensible aux
regards de leur intelligence, les rend aussi incompréhensibles à moi-même. »
«Condamné tout le jour à ignorer la sensation d’être, parce
que condamné à ne pas être seul, le soir, lorsque je me trouvais libre enfin, je n’avais pas le temps de m’habituer à moi-même.
Pour échapper au malaise initial de ma
propre rencontre, j’acceptais encore des présences. Et ainsi, afin que pût mieux
s’évaporer la première angoisse du contact avec moi-même, je cherchais quelque autre
pour, l’heure du sommeil enfin venue, laisser s’échapper, se transposer, sans
moyen choisi, le plus secret, le réel de mon être dont la révélation m’avait
été donnée par des états et non par des images ou des sensations. «
« Parce que je me révoltais d’avoir abdiqué, après des
heures dans le lit de quelque autre, je haïssais le corps à l’ombre duquel je venais
de reposer. Également, je haïssais l’esprit étranger nourri du mien—et qui, d’ailleurs,
mourrait au moins quelques instants, de s’en être nourri —, l’esprit que
j’avais cru miroir où je ne m’étais pas vu, où je ne m’étais pas noyé. Je
condamnais la dernière présence, me levais, me rhabillais, partais. Mais toujours
la bonne résolution était venue trop tard. J’avais commencé par céder. »
« Je ne ris pas, m’étonne de ne pas rire. Je ne suis
déjà plus avec les hommes. Je ne suis pas encore seul. Les autres, dont il
n’est rien qui ne me laisse indifférent, depuis que j’ai décidé de les fuir,
n’ont pas fini de me tenir en esclavage. N’irai-je donc jamais jusqu’à cette
belle liberté bien neuve, mon orgueil? Si je pars sans emmener personne, à qui
demander le secours de la chair, de la parole ou de l’esprit, c’est que j’ai
renoncé aux consolations anecdotiques. Des essais auparavant tentés, j’ai dû,
enfin, m’apercevoir que ne pouvait attendre aucune sensation de grandeur ou de vérité.
Clown, j’avais tout juste dans mon orgueil la triste récompense de sentir mon
cœur se briser. J’en offrais les morceaux à quelques-uns parmi les autres et, entre
deux éclats de rire faux, j’avais l’audace de croire à mon malheur. De toute
cette comédie, seule peut me laver la solitude. »
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