L'éducation impartiale de l'enfant
apparait au premier abord difficultueuse parce qu'elle essaie de satisfaire
diverses tendances métaphysiques dont nous ne parvenons pas toujours à nous
libérer. C'est ainsi que les droits de l'enfant, sa liberté, le souci de
respecter sa personnalité arrêtent dès le début l'éducateur sincère et
profondément individualiste. Comme précisément le but de l'éducation consiste à
former et développer la personnalité de l'enfant, il y a une certaine contradiction
apparente entre le fait de respecter une personnalité et le fait de la former.
Si on veut respecter l'enfant et sa liberté, on doit le laisser tel qu'il est ;
si on l'influence que devient le principe d'impartialité et de neutralité! En
réalité la personnalité naissante de l'enfant a déjà été déterminée lors de la
fécondation de l'ovule maternel et si ses parents ne se sont point souciés de
lui assurer une bonne hérédité physiologique et psychique, il sera toujours un
produit malchanceux et taré entre les mains de l'éducateur. Même conçu
sainement, l'enfant est inévitablement déterminé par les lois de l'hérédité et
respecter strictement sa personnalité c'est respecter une combinaison
physico-chimique représentant le terme d'une longue série d'expériences évidemment
intéressantes puisqu'elles ont triomphé du milieu, mais dont quelques-unes
peuvent influencer fâcheusement le caractère de l'enfant. C'est dire que le
caractère d'un enfant ne saurait être quelque chose de sacré et que ses
anomalies psychiques ne sont pas plus admirables que ses malformations
physiques. D'autre part l'être humain est modifié, modelé par la succession des
évènements qu’il subit depuis sa naissance jusqu'à sa mort et cela constitue
véritablement une éducation. Comme cette éducation peut être néfaste à l'enfant
qui ignore précisément les causes de vie et de mort, l'éducateur représente le
résultat d'une longue évolution, d'une longue expérience de la vie transmises
par le savoir spécifique, héréditaire ou traditionnel évitant à l'enfant les
expériences douloureuses des ancêtres. Donc, au lieu de partir de
considérations métaphysiques sur le moi de l'enfant, il vaut mieux observer
l'évolution et le fonctionnement de la vie. Nous voyons que l'être est en
perpétuelle réaction contre le milieu ; que ces réactions suivent un certain
ordre logique dans l'espace et dans le temps et qu'un bon équilibre de toutes
ces réactions est nécessaire pour la vitabilité même de l'individu. Nous voyons
également que la succession de tous les phénomènes s'effectue invariablement
dans un ordre précis constituant un enchainement de nécessités universelles, et
que l'inversion de cet ordre et les erreurs en résultant restreignentl'activité
vitale et détruisent la vie. Le but de l'éducateur ne peut être que
l'adaptation intelligente de l'enfant à ces nécessités universelles, assurant
sa durée vitale et son bonheur. Développer l'acuité des sens, la précision des
mouvements, l'habileté tactile, l'endurance physique, l'esprit d'analyse et
d'observation, la compréhension de l'enchaînement des choses, le jugement, la
volonté, l'énergie créatrice ; voilà le véritable terrain impersonnel de
l’éducation. Parallèlement à l'évolution de ces facultés, l'éducation devrait
développer les conséquences logiques de l'amitié, de l'association, de
l'entraide, de la fraternité imposées aux hommes par les nécessités naturelles.
Ainsi comprise, l'éducation objective et impersonnelle n'imposerait point à
l'enfant l'immoralité des intérêts de tel individu, groupe, chapelle, parti ou
nationalité, mais l'harmoniserait avec les nécessités universelles faites de la
solidarité de tous les éléments. La personnalité de l'enfant se formerait et
s’harmoniserait d'elle-même par le développement et 1'équilibre intérieur de
toutes ses facultés et la compréhension de son propre fonctionnement. La
connaissance des causes déterminant les choses et les êtres, jointe à une vie
saine et un fort développement de la volonté feraient plus pour l'amélioration
ou l'évolution de son moi que tous les traités de morale de l'univers.
L'éducateur ne doit jouer qu'un rôle accélérateur. Il doit faciliter les
expériences, permettre à l'enfant de trouver lui-même le secret des choses et
lui laisser la joie des découvertes et des réalisations. Il ne doit pas être un
maitre qui impose, ordonne, récompense ou punit. Ce sont les résultats mêmes
des actes qui doivent punir ou récompenser l'enfant en lui enseignant le jeu
des causes et des effets. L'éducateur ne peut être qu'un grand ami qui sait
beaucoup de choses. Le but essentiel de cette éducation ne consisterait point à
faire de l'enfant un citoyen, un partisan, un enrôlé, une fraction d'homme,
admirateur de ses parents, de sa tribu ou de sa nation, mais au contraire un
individu fort, ayant sa fin en luimême, sa conception particulière de la vie,
sans obligation à venir envers le milieu qui lui doit la santé, le savoir et
l'aisance. Sa seule raison d'association doit être un avantage démontré, une
supériorité évidente d’une activité sur une autre et sa raison doit
suffisamment le déterminer pour lui permettre de concevoir, conclure et tenir
des engagements amplifiant sa vie. L'éducation ne saurait donc être libre
c’est-à-dire exercée par n'importe qui, soumise à la fantaisie, à l'ignorance
ou la malfaisance des éducateurs politiques ou religieux. Nous voyons les
résultats de cette éducation et nous en connaissons les méfaits. L'éducation
doit être impersonnelle, scientifique et objective et résulter d'une étude
profonde de la vie. Tous nos efforts doivent tendre à faire admettre ces
conceptions par les progéniteurs lesquels, comprenant enfin leur lourde
responsabilité favoriseront la création de milieux éducatifs rationnels, seules
sources possibles de transformations sociales profondes et durables.
- IXIGREC
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