mercredi 22 janvier 2020

Lignes N° 60 de Michel Surya

"Appel d'air", attractivité libérale et inhospitalité absolue  Par Jérôme Lèbre

"Nous entendons cependant montrer que "l'appel d'air" n'est pas seulement un discours d'extrême droite qui viendrait "contaminer" la rhétorique des courants politiques chassant sur les mêmes terres. Il est surtout, et à l'inverse, la version caricaturale et donc révélatrice de l'attractivité économique, concept clef de l'économie libérale. Cette attractivité est en effet indissociable de son effet pervers, que l'on nomme "l'effet d'aubaine" ou d'"opportunité": une mesure ciblant une certaine catégorie d'acteurs ( individus ou entreprises) peut aussi bien en attirer d'autres, qui profitent de l'opportunité offerte par cette mesure."

"Il en découle que si toute une tradition xénophobe ou même raciste se donne une apparence d'acceptabilité dans le discours sur "l'appel d'air", cette acceptabilité est celle du libéralisme: cette théorie qui semble humaniste, et même égalitaire, puisqu'elle attribue à chacun la même raison calculatrice, théorise également sa propre perversion au contact du monde par le calcul. Ce dernier n'a alors d'humaniste que son absence de haine, son dernier vis à vis de l'humanité, qui s'accorde tout à fait avec la froide constatation que l'attractivité économique doit toujours être ciblée, donc exclure la majeure partie des hommes, voire la cibler négativement. Ce ciblage négatif détruit tout bavardage sur le libéralisme "inclusif"; il ouvre bien plutôt la voie d'une inhospitalité sans limite, d'une inhospitalité absolue."

"Il couvre bientôt aussi le champ entier du politique, guidé par l'objectif de la plus grande absence de solidarité interne. C'est ainsi que les démocraties peuvent prendre ce chemin autodestructeur consistant à afficher et à pratiquer une inhospitalité sans limiter, qui a, non pas son horizon, mais sa réalité dans sa minière de favoriser le traitement sans humanité des populations étrangères par les gouvernements non démocratiques. L'aspect antisocial et déshumanisant, au niveau mondial, du libéralisme rend alors incontournable l'impératif de cohabiter dans le même monde, version, qui nous semble la plus pertinente, du devoir inconditionnel d'hospitalité."

"Cela veut dire, avant tout, échapper à la guerre civile ou extérieure. Supposer un benchmarking des systèmes sociaux de la part des migrants apparaît particulièrement sordide de la part d'états qui ont construit et construisent leur richesse et leur bien-être social par leur implication directe ou indirecte, immédiate ou historique, dans des guerres qui ont rendu des zones entières du globe inhabitables."

"L'attractivité d'un pays devrait expliquer que les migrants non seulement choisissent d'atteindre un pays, mais aussi d'y rester. Or, l'exemple français montre que dix ans après leur arrivée, de 30% à 50% des migrants sont déjà repartis, ces départs ayant augmenté entre 2006 et 2013 au point de diminuer le solde migratoire."

"C'est évident dans le cas de la "campagne" , renforcée plus qu'initiée par Trump, contre l'immigration sud-américaine: la séparation brutale des familles à la frontière, les parents clandestins étant transférés vers les prisons fédérales tandis que les enfants sont maintenus dans des centres pour mineurs, assume pleinement son rôle dissuasif. les vidéos montrant les enfants appelant en pleurant leur père ou leur mère devant la police des frontières, ou montrant d'autres enfermés dans de véritables cages en fer, dévoilent une violence réelle aussi bien faite pour être dévoilée, une violence  sans limite parce qu'elle se veut spectaculaire. La souffrance infligée aux enfants est d'autant plus violente qu'elle s'adresse, à travers leurs corps, à des parents imaginaires bouclant la valise de leurs enfants dans un bidonville de Caracas. Il en va exactement de même dans la gestion des camps à Calais ou à Paris. Ces camps sont maintenus dans un état de précarité maximale par l'absence ou la destruction de sanitaires, la détérioration de la nourriture fournie par les associations, la confiscation d'effets personnels. De temps à autre, ils sont brusquement démantelés. Les migrants sont alors officiellement relogés, mais il est essentiel à la stratégie inhospitalière qu'ils soient mal logés, qu'ils ne le soient pas tous, et que cela se sache. Le pire, dans ce contexte, serait que le relogement rende les migrants invisibles, que l'effacement de leur souffrance crée un vide dans la politique d'inhospitalité. Cette politique rythmée par le remplissage des camps, leur démantèlement et le prétendu relogement peut alors très bien cohabiter avec une politique favorisant l'attractivité économique et touristique du pays, si l'on entend par cohabitation la stricte répartition spatiale, si nette à Paris, entre les quartiers de finances, les quartiers touristiques et les quartiers du nord-est qui conjuguent population gentrifiés, logements sociaux et lieux inhabitables où se trouvent les migrants. Ainsi" la plus belle ville du monde" peut-elle aussi tenir une place "honorable" dans le marché mondial de l'inhospitalité."





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