Qui
ne peut être touché ; qui échappe au sens du tout et, par
extension, à qui il ne peut et ne doit être touché. C'est dans ce
sens qu'on dit de certains principes proclamés évidents, de
certaines affirmations considérées comme incontestables, de
certaines vérités estimées définitives et absolues, que ces
principes ; affirmations et vérités sont intangibles. En matière
de religion, les croyances fondamentales sont déclarées intangibles
; les personnes qui ont la foi doivent s'interdire de les discuter ou
d'y apporter une modification quelconque. Les doctrines enseignées
par l'Eglise catholique, doctrines auxquelles les écrivains
catholiques appliquent le mot « Dogme », doivent être tenues pour
indiscutables ; elles sont placées au-dessus et en dehors de toute
controverse et de tout examen, contrôle ou vérification. Elles ont
pour caractère l'immutabilité qui exclut toute retouche ou
modification. En morale, en philosophie et en sociologie, les Maîtres
de tous les temps ont tenté de présenter ou, plus exactement,
d'imposer comme étant d'une certitude absolue certains principes
servant de fondement à leur système de domination. Ces principes
une fois admis, la doctrine tout entière se développe, de
conséquence en conséquence, à la façon d'une chaîne dont les
anneaux se déroulent indissolublement liés. Si, par exemple, en
sociologie, on consent à admettre comme étant d'une nécessité
absolue le principe fondamental d'Autorité et de Propriété privée,
les théoriciens pourront imaginer à l'infini les formes
d'organisation sociales, ils auront beau épuiser l'interminable
théorie des systèmes d'agencement politiques et économiques, ils
se trouveront fatalement enfermés dans le cercle vicieux où les
emprisonnera le point de départ : le principe d'Autorité et de
Propriété servant de base à la structure de toute société
humaine et tenu pour nécessaire. Les philosophes et sociologues qui
proclament l'intangibilité du principe d'Autorité se condamnent,
sciemment ou à leur insu, à ne jamais sortir de 1'ornière.
Vainement, ils parlent, en les exaltant, du Droit, de la Justice, de
la Solidarité, de la Liberté ; vainement ils se flattent
d'appliquer ces belles et nobles choses dans les systèmes plus ou
moins ingénieux d'organisation sociale qu'ils préconisent ; les
faits leur infligent le démenti le plus brutal et le plus
catégorique. Dans les sociétés qu'ils bâtissent, il ne saurait y
avoir ni véritable justice, ni droit équitable, ni solidarité
réelle, ni liberté positive, parce que l'exercice du droit, de la
justice, de la solidarité et de la liberté implique, à l'origine,
et à toute époque, un contrat social librement débattu et consenti
entre égaux. Or ne sont égaux et ne peuvent l'être - je défie
qu'il soit raisonnablement possible de les concevoir ou imaginer
égaux - des hommes dont les uns commandent et les autres obéissent
(Principe d'Autorité), dont ceux-ci sont riches et ceux-là pauvres
(Principe de Propriété privée). Cette vérité, les anarchistes ne
sont pas les seuls qui l'aient comprise ; mais seuls ils en ont
poussé jusqu'à leur terme les inéluctables conséquences. Seuls,
ils ont la conviction que les bases sur lesquelles les sociétés
humaines ont reposé jusqu'à ce jour, sur lesquelles elles sont
encore édifiées ne sont pas intangibles et qu'elles forment un
cercle vicieux qu'il est indispensable de briser ; seuls, ils sont
certains que, si violente, si formidable et si victorieuse qu'elle
soit, toute révolution qui ne fera pas table rase des principes qui
régissent la société bourgeoise, qui n'osera pas toucher à ces
principes, parce qu'elle les considérera comme nécessaires et, par
conséquent intangibles, aboutira à un avortement et non à la
naissance d'un monde nouveau. En vérité, rien n'est sacré ni «
tabou » parce que rien, n'est fixe ni éternel. La vie se développe
à travers d'innombrables transformations ; elle s'affirme par voie
de modifications et changements indéfinis ; elle donne naissance à
des formes constamment nouvelles faisant suite à des structures
périmées. Rien donc, n’étant immuable, n'est intangible.
-
Sébastien FAURE.
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