Ce qui
importe à l’utilité de quelqu'un : c'est l'intérêt qui le
guide. Bénéfice qu'on retire de l'argent prêté : placer de
l'argent à 6 ou 9 % d'intérêts. On considère les intérêts
simples et les intérêts composés. Les intérêts simples sont ceux
perçus sur un capital fixe non accru de ses intérêts. Les intérêts
composés sont ceux perçus sur un capital formé du capital primitif
accru de ses intérêts accumulés et portant eux-mêmes intérêts
jusqu'à l'époque de l'échéance. Au figuré : Désir du bonheur de
quelqu'un, tendre sollicitude pour lui : ressentir un vif intérêt
pour quelqu'un. Ce qui, dans un ouvrage, charme l'esprit et touche le
cœur : histoire pleine d'intérêt. Sous le régime de propriété
individuelle, qui est le nôtre, tout produit devant être payé
avant que d'être consommé, nul individu ne peut exister sans
obtenir l'usage d'un certain capital. La nécessité de ce capital
étant absolue et antérieure à toute possibilité de consommer et,
d'autre part, le capital étant possédé en totalité par une classe
d'individus, cette classe est en réalité maîtresse de la vie des
prolétaires qui naissent sans capitaux. Mais comme le capital ne
peut être consommé, mais seulement servir à l'achat ou à la
fabrication de produits de consommation, les capitalistes prêtent
leurs capitaux aux producteurs… Voici comment s'exprime à ce sujet
l'économiste J.-B. Say : « L'impossibilité d'obtenir aucun produit
sans le concours d'un capital met les consommateurs dans l'obligation
de payer, pour chaque produit, un prix suffisant pour que
l'entrepreneur qui se charge de sa production puisse acheter le
service de cet instrument nécessaire. Ainsi, soit que le
propriétaire d'un capital l'emploie luimême dans une entreprise,
soit qu'étant entrepreneur, mais que n'ayant pas assez de fonds pour
faire aller son affaire, il en emprunte, la valeur de ses produits ne
l'indemnise de ses frais de production qu'autant que cette valeur,
indépendamment d'un profit qui le dédommage de ses peines, lui en
procure un autre qui soit la compensation du service rendu par son
capital. C'est la rétribution obtenue pour ce service, qui est
désignée ici par l'expression de revenu des capitaux. « Le revenu
d'un capitaliste est déterminé d'avance quand il prête son
instrument et en tire un intérêt convenu ; il est éventuel et
dépend de la valeur qu'aura le produit auquel le capital a concouru,
quand l'entrepreneur l'emploie pour son compte. Dans ce cas, le
capital, ou la portion du capital qu'il a emprunté, et qu'il fait
valoir, peut lui rendre plus ou moins que l'intérêt qu'il en paye
».
Obligé de
demander du capital, le non possédant doit s'astreindre aux lois de
l'usure, ou de l’intérêt. C'est-à en travail, non seulement le
capital prêté, mais encore une partie de capital, représentant le
loyer d'usage, de jouissance. Cette deuxième partie est l'intérêt,
appelé auparavant : usure. Il est certain que cet intérêt est
toujours en rapport étroit avec l'offre et la demande de capitaux ;
or la demande étant nécessairement toujours au maximum, il s'ensuit
que le taux de l'intérêt est, lui aussi, toujours au maximum. Livré
à lui-même, improductif, le capital finit par être dévoré par le
capitaliste qui est aussi consommateur. L'intérêt, ce prélèvement
sur la détresse des prolétaires, non seulement paye la consommation
du capitaliste, laissant ainsi intact le capital mais fortifie
agrandit, augmente le capital, ce qui fait dire aux économistes
bourgeois que le capital travaille, au même titre que le producteur
et, qu'ainsi, l'intérêt n'est que la rétribution de son travail. «
On s'imagine, dit J.-B. Say, que le crédit multiplie les capitaux.
Cette erreur, qui se trouve fréquemment reproduite dans une foule
d'ouvrages, dont quelques-uns sont même écrits ex-professo sur
l'Economie Politique, suppose une ignorance absolue de la nature et
des fonctions des capitaux. Un capital est toujours une valeur très
réelle et fixée dans une matière, car les produits immatériels ne
sont pas susceptibles d'accumulation. Or, un produit matériel ne
saurait être en deux endroits à la fois et servir à deux personnes
en même temps. Les constructions, les machines, les provisions, les
marchandises qui composent mon capital, peuvent en totalité être
des valeurs que j'ai empruntées ; dans ce cas, j'exerce une
industrie avec un capital qui ne m'appartient pas et que je loue ;
mais, à coup sûr, ce capital que j'emploie n'est pas employé par
un autre. Celui qui me le prête s'est interdit le pouvoir de le
faire travailler ailleurs… ». Or, le capital : sol, machines,
constructions, monnaies, ne travaille pas. Nul ne fait donc
travailler le capital. Le capital n'est qu'un instrument de travail.
L'intérêt ne saurait donc représenter le « salaire » du capital
- le producteur seul devant percevoir un salaire - mais seulement le
loyer d'usage d'une matière, d'un outil approprié par qui ne s'en
sert pas. « La légitimité du fermage et du loyer, dit Ch. Gide,
n'ont été attaquées que du jour où la légitimité de la
propriété foncière et de la propriété des maisons ont été
elles-mêmes mises en question. Mais, chose curieuse, la légitimité
de l'intérêt a été vivement attaquée longtemps avant que l'on
eut songé à contester la propriété individuelle des capitaux,
longtemps même avant qu'il y eut des socialistes... Un sentiment si
général doit avoir assurément une cause. Elle n'est pas difficile
à découvrir. Dans le bail à ferme, on voit le revenu sortir de
terre, en quelque sorte, sous forme de récoltes, et l'on sent bien
que la rente payée au propriétaire n'est pas prise dans la poche du
fermier. On comprend que celui-ci ne fait que restituer les produits
de l'instrument producteur qui lui a été confié et que, comme il
n'en restitue qu'une partie, il doit lui rester un profit.
Dans le
prêt, au contraire, on ne voit pas le revenu sortir, sous forme
d'intérêt, du sac d'écus prêté : « Un écu n'a jamais enfanté
un autre écu », disait Aristote. L'intérêt ne peut donc sortir,
pensait-on, que de la poche de l'emprunteur ». Et c'est sur de
telles logomachies qu'est basée toute l'Economie Politique. Comme si
dans la production agricole, le sol était autre chose que le «
patient » sur lequel s'exerce l'activité du cultivateur. Comme si
le sol, par lui-même, sans le travail du paysan armé de sa charrue,
sa bêche, etc., sans l'ensemencement de graines triées, améliorées
par les hommes, pourrait produire quoi que ce soit susceptible de
payer la rente du propriétaire. Considérer le sol, au même titre
que les constructions, les outils, les machines, les monnaies valeurs
d'échange, c'est un non-sens sur lequel est érigée toute la vie
sociale depuis que le premier fossé ou pieu servit à délimiter le
droit de propriété du sol pour un ou plusieurs individus : premiers
occupants ou premiers chefs. C'est vraiment chose curieuse qu'on ait
pu assimiler si longtemps le sol au capital, produit amassé par
l'homme. Et c'est cette assimilation et l'appropriation individuelle
qui s'ensuit qui a régi l'ordre économique des sociétés, jusqu'à
nos jours. L'appropriation individuelle du sol ne se justifie
d'aucune façon, soit qu'on parle de droit du premier occupant
(pourquoi pas du dernier ?), soit qu'on parle du droit de fait acquis
(pourquoi pas de droit à des faits nouveaux ?). Quant au droit du
plus fort, sophistiqué ou avoué, le mode d'appropriation du sol ne
serait qu'une question de circonstances, la force étant, par
définition, changement, mouvement. Toute richesse, tout capital, est
le produit de deux facteurs : le sol, agent passif, et le travail,
agent actif. En dernière analyse, c'est du sol que vient toute
production. Le sol étant propriété de quelques individus, les
autres sont, nécessairement, privés de liberté, de vie, tant que
les propriétaires ne leur louent pas le sol. Mais les sociétés, en
industrialisant leur production, vivent surtout du travail : sur les
produits du sol. Les produits bruts, non ouvrés, sont un capital
nécessaire, absolument indispensable, ainsi que les machines et
outils qui serviront à les transformer. Quiconque ne possède pas de
sol et ne peut en louer, est obligé pour vivre, de louer le capital
industriel sans quoi nul travail ne peut être. Le propriétaire de
ce capital, comme le propriétaire foncier, loue à de très forts
intérêts, toujours au maximum possible des circonstances. Le
locataire de tout capital, sous forme d'intérêts, prélève, sur
les produits de son travail sur la matière, une part assez forte,
qui va grossir le capital du propriétaire. Il arrive presque
toujours que le locataire d'un capital, qui paye intérêts au
capitaliste, sous-loue les capitaux empruntés et fait payer au
sous-locataire un nouvel intérêt, évidemment plus élevé que
celui qu'il a payé lui-même. Des organismes excessivement
puissants, les banques, sociétés de crédit, etc., se sont créés
à l'effet de drainer les capitaux disponibles dont ils payeront
intérêt, et de placer ces capitaux, à leur compte, percevant un
intérêt supérieur, chez des nonpossédants. Aussi, des individus,
qui ont un capital, ou qui empruntent un capital, au lieu de louer ou
sous-louer à d'autres moyennant intérêts, préfèrent louer des
hommes non-possédants, pour travailler sur leur capital-sol, ou sur
les produits du sol. Gardant les produits nets, de cette association
de leur capital et du travail des autres, pour eux et payant aux
travailleurs un salaire qui veut être l'intérêt du capital-travail
et qui est déterminé comme le taux de l'intérêt du capital, par
la loi de l'offre et de la demande, ces producteurs capitalistes sont
les maîtres réels des ouvriers qu'ils emploient. Toutefois, les
produits ainsi obtenus, ne peuvent être consommés par le
capitaliste qui doit les échanger contre de la monnaie,
c'est-à-dire, qui doit vendre ses produits aux consommateurs. Or, il
y a concurrence, pour cette vente, entre les divers capitalistes
vendeurs du même produit. Celui qui vend le meilleur marché est sûr
de posséder tous les marchés. D'où nécessité d'avoir une
production peu coûteuse. Nécessité de donner aux prolétaires
l'intérêt le plus réduit pour leur capital-travail. Obligé de
travailler toujours plus, pour un salaire lui permettant à peine de
se sustenter, le prolétaire réfléchit et se révolte. Il examine
les bases de l'ordre social et découvre : « L'intérêt général
s'opposant à celui des individus est le produit d'une société
basée sur l'antagonisme des intérêts, sur l'égoïsme étroit et
injuste organisé et érigé en système social. Dans la société
socialiste, l'intérêt général est la totalisation des intérêts
de chacun. Dans notre société, le malheur des uns fait le bonheur
des autres. La maladie fait vivre le médecin. La police ne saurait
exister sans le criminel. La lutte de tous contre tous crée un titre
de légitimité relative à l'Etat chargé de veiller à ce que les
hommes se dévorent entre eux selon les règles, les convenances et
les lois. L'expropriation des moyens de production et la misère sont
la condition préalable de l'industrie capitaliste. Il faut chasser
l'artisan de son atelier, le paysan de son lopin de terre pour que
l'industrie trouve « des bras ». Le « moraliste » anglais Bernard
de Mandeville a prêché ouvertement la misère et l'ignorance du
peuple dans le but d'assurer de la chair à exploitation au régime
capitaliste. Nous n'en finirions pas si nous voulions énumérer
toutes les contradictions dont vit et dont, certainement, mourra le
régime capitaliste » (Ch. Rappoport). Puisque l'appropriation
individuelle du sol et des instruments de travail, dresse constamment
les individus les uns contre les autres ; puisque ce mode
d'appropriation est cause des guerres, des grèves, des famines, de
la misère psychologique et physiologique ; puisque l'intérêt de
chacun est sans cesse contraire à celui de tous : abolissons la
propriété individuelle du sol et des instruments de travail. Que le
capital amassé par les générations qui nous ont précédés et que
le sol soient la propriété de tous, l'immense réservoir où les
producteurs viendront puiser la vie et la liberté.
Que
l'individu, débarrassé du souci de payer l'intérêt ou de crever,
laisse grandir en lui ses tendances à la sociabilité, à l'amitié,
à l'amour, que ne terniront plus les vils calculs du tant pour cent.
Grandissant dans un milieu ainsi rénové, l'intérêt moral
disparaissant avec l'intérêt matériel, l'homme apparaîtra sur la
scène du monde nouveau, noble et moral (voir Morale) et il jettera
un regard effaré sur l'histoire qui montrera ses ancêtres du XXème
siècle, lâches, vils, rampants, vénaux, agenouillés devant le
veau d'or et les sacro-saints principes de l'Economie Politique.
- A. LAPEYRE
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