Tous ceux
dont l'adolescence - et une partie de la jeunesse, et l'enfance
parfois dès six ans - a connu la longue théorie des études, des
réfectoires, des « récréations », des classes et des dortoirs,
les promenades alignées sous les ordres du « pion » et les rondes
de bêtes en cage sous les galeries et les préaux des cours, et
soupçonné, comme dit Mabilly : « …derrière la porte La vie qui
passe Dans la rue qui s'essouffle. Les grands espaces Illimités ...
Et le vent de la liberté Qui souffle », toutes ces années hachées
de régularité morne et tyrannique qui défilent sur l'écran du «
pensionnaire » ; tous ceux qui ont ensuite - boursiers, étudiants
pauvres - tournant la médaille aux faces conjuguées, ajouté leur
nom à la liste des « Petit Chose » et des « Amédée Lobuse »,
qui sont allés, comme disait André Barre, « dans les cavernes de
l'Université servir les salamandres », ceux-là ont acquis le
triste privilège d'exercer contre l'internat de légitimes
représailles. Ils ont tâté, sur le vif, la mise hors le mouvement
des corps assoiffés de détente exubérante, touché les effets de
la claustration physique et de l'isolement moral à l'âge des élans
et des poussées expansives, senti les déformations qu'un régime
scolaire anormal fait peser sur des générations cloîtrées pour de
stériles travaux, vécu ou côtoyé les perversions qui, de la boîte
congréganiste au lycée officiel, ont brisé l'évolution de plus
d'un Sébastien Roch... Et ils se dressent en ennemis contre une
institution qui perdure, semble-t-il, par l'absurdité chronique de
ses méthodes et l'engrenage de ses vices. Il est superflu de refaire
ici - pédagogiquement que le conçoit encore notre Université
rétrograde. Il est une aggravation et comme le couronnement d'un
système dont cette Encyclopédie précise en divers endroits la
redoutable nocivité... Rappelons que, dès 1793, après avoir
dispersé les Jésuites mais gardé la congrégation, l'Université
confie à l'internat quelque deux mille prisonniers. Elle ne pouvait
que s'avancer davantage - la réaction aidant - dans uns voie si en
harmonie avec « la poussée centralisatrice et l’intervention de
l'Etat ». Plus tard, sous l'Empire, les libéraux - de Laprade à
Jules Simon - incorporeront la réforme de l'internat à une refonte
de l'enseignement secondaire : soixante ans de République en ont si
bien entretenu la vitalité que les esprits libres du temps, secourus
par quelques praticiens sagaces de la puériculture et une poignée
de patriotes inquiets pour « notre » recul en face des nations
d'affaires, en sont encore à le dénoncer! Que la bourgeoisie
surtout subisse les atteintes d'un mal qui se répercute d'ailleurs
en difficultés générales, d'accord, mais rien de ce qui peut
délivrer les petits ne nous est étranger et nous traînons la peine
solidaire des atteintes faites dans le monde à la liberté et le
bien de tous périclite quand est étranglée l'initiative dès les
premiers pas juvéniles... Il semblerait, à regarder l'internat
tenace, que la source de la culture fût tarie chez nous si croulait
la tradition d'encaserner l'enfance pour l'instruire. Et cela est
vrai en un sens, car « nous continuons, comme l'observe Ed. Demolins
dans son A quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons, à former
des hommes pour une société qui est définitivement morte ». Dans
nos « sociétés à formation communautaire, caractérisées par la
tendance à s'appuyer non sur soi-même mais sur le groupe : famille,
tribu, clan, pouvoirs publics », l'éducation demeure tournée vers
le passé. Les autres, les « sociétés à formation particulariste
», qui marquent la tendance au self-control, l'éducation cesse
d'être une transposition dans le souvenir pour faire corps avec 1a
vie pratique. Et ses produits, qu'animent l'audace et l'esprit
d'entreprise, sont en train de conquérir allègrement le monde. Nos
maîtres cependant continuent d'ignorer que la force d'un peuple est
dans l'indépendance et l'initiative de ses unités. Et l'éducation,
aggravée d'internat, ne cesse, sous leurs auspices, d'être un
bourrage et un écrasement. « Au collège, en Angleterre, nous
n'apprenons pas grand-chose, si ce n'est peut-être à nous conduire
dans la vie ». Que diraient de l'aveu de ce jeune Anglais nos
mentors universitaires dont tout l'idéal est de paralyser nos
esprits - dans les enceintes où ils retiennent nos pauvres corps -
sous le lourd fatras d'un savoir pratiquement sans objet. L'internat?
« S'il n'existait pas, disait Georges Renard, d'abord les parents
seraient condamnés à garder leurs enfants chez eux une partie de la
journée et qui, pis est, à les élever. Monsieur et Madame seraient
forcés d'avoir une vie de famille et de se respecter l'un l'autre...
Monsieur devrait prendre sur les heureux moments qu'il coule en paix
au café, au club, dans les coulisses. Madame ne pourrait plus
suffire à la multitude de ses occupations, visites, bals, soirées,
concerts, spectacles, conférences avec la couturière ou le tailleur
pour dames. Quoi de plus triste!, quoi de plus peuple! Avoir des
enfants, passe encore! Les nourrir, il le faut bien. Mais donner une
part de son temps et de son cœur à leur éducation, c'est un luxe
qui ne convient qu'aux pauvres ». On peut attaquer la famille, le
milieu courant, souligner leurs tares et leur insuffisance, s'élever
contre leurs réactions souvent pernicieuses, mais on n'empêchera
pas que - face aux geôles où nous avons langui et qui ont comprimé
notre essor - ils ne soient la vie et quelque chose de cette liberté
que pleurent les oiselets tourneurs derrière les grilles de
l'internat. A l'heure des rires, des jeux, des escapades à travers
champs et bois, toute une jeunesse - dont je n'ai pas à connaître
la classe sociale - végète entre les murs du cloître ou du
collège, de l'orphelinat ou de la maison de redressement, à
l'orphelinat, l'établissement de correction : les plus terribles
visages d'un internat sous toutes ses faces exécré!... Les
bourgeoisies saxonnes, les Scandinaves ont depuis longtemps donné de
l'air à leur progéniture. Les « pensions de famille » anglaises
(dont certaines sont des types remarquablement modernes) ont des
allures de grandes personnes émancipées près des « institutions »
privées ou gouvernementales où nos Latins anémient « la promesse
de leur gloire ». Regardez, par exemple, la Suisse ou l'Amérique. «
Là aussi, l'enfant va au collège et il arrive, là aussi, que le
collège est loin. Impossible de rentrer chaque soir. Que faire?
L'enfant va-t-il être parqué avec mille ou quinze cents autres dans
un énorme et lugubre bâtiment? Non, il change de foyer, voilà
tout. Sa famille le confie à une autre famille... Et, le
croiriez-vous, chez ces peuples-là, les gens préfèrent mille fois
cette façon d'agir à ces grands internats qui sont l'honneur de
notre pays. Mais les imiter, fi donc! Voyez-vous la France prendre
modèle sur un pays neuf, comme l'Amérique, ou sur un pays nain,
comme la Suisse? Emprunter à l'étranger, quelle humiliation! » (G.
Renard). Et l'internat continue à nous réduire et à nous avilir.
Et la déchéance, et les stigmates du troupeau y trouvent leur
compte... Si l'internat - élargi, épuré, désencaserné, et tel
que plus rien n'y survive du « bahut » de nos souvenirs (car nous
n'oserons plus, que diable, parler, au sens actuel, d'école pour
l'enfant!) qu'il se rapproche le plus possible de ce noyau éducatif
à la fois chaud, riche et fécond qu'est la famille d'affinité. Car
nous ne ferions que soustraire l'enfant à la tyrannie du milieu
domestique autoritaire, obtus et inharmonique, pour le rejeter dans
la prison déprimante, étouffeuse de vie naissante si devaient s'y
dérouler, dans une forme et un esprit voisin de l'internat
d'aujourd'hui, les années de prime jeunesse, si lourdement,
prématurément, exagérément studieuses…
- LANARQUE.
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