Préface:
Il n’y
avait en tête des premières éditions de cet ouvrage, publié
d’abord sans nom d’auteur, que les quelques lignes qu’on va
lire :
« Il y a
deux manières de se rendre compte de l’existence de ce livre. Ou
il y a eu, en effet, une liasse de papiers jaunes et inégaux sur
lesquels on a trouvé, enregistrées une à une, les dernières
pensées d’un misérable ; ou il s’est rencontré un homme, un
rêveur occupé à observer la nature au profit de l’art, un
philosophe, un poëte, que sais-je ? dont cette idée a été la
fantaisie, qui l’a prise ou plutôt s’est laissé prendre par
elle, et n’a pu s’en débarrasser qu’en la jetant dans un
livre. » « De ces deux explications, le lecteur choisira celle
qu’il voudra. »
Comme on le
voit, à l’époque où ce livre fut publié, l’auteur ne jugea
pas à propos de dire dès lors toute sa pensée. Il aima mieux
attendre qu’elle fût comprise et voir si elle le serait. Elle l’a
été. L’auteur aujourd’hui peut démasquer l’idée politique,
l’idée sociale, qu’il avait voulu populariser sous cette
innocente et candide forme littéraire. Il déclare donc, ou plutôt
il avoue hautement que le Dernier Jour d’un Condamné n’est autre
chose qu’un plaidoyer, direct ou indirect, comme on voudra, pour
l’abolition de la peine de mort. Ce qu’il a eu dessein de faire,
ce qu’il voudrait que la postérité vît dans son œuvre, si
jamais elle s’occupe de si peu, ce n’est pas la défense
spéciale, et toujours facile, et toujours transitoire, de tel ou tel
criminel choisi, de tel ou tel accusé d’élection ; c’est la
plaidoirie générale et permanente pour tous les accusés présents
et à venir ; c’est le grand point de droit de l’humanité
allégué et plaidé à toute voix devant la société, qui est la
grande cour de cassation ; c’est cette suprême fin de
non-recevoir, abhorrescere a sanguine, construite à tout jamais en
avant de tous les procès criminels ; c’est la sombre et fatale
question qui palpite obscurément au fond de toutes les causes
capitales sous les triples épaisseurs de pathos dont l’enveloppe
la rhétorique sanglante des gens du roi ; c’est la question de vie
et de mort, dis-je, déshabillée, dénudée, dépouillée des
entortillages sonores du parquet, brutalement mise au jour, et posée
où il faut qu’on la voie, où il faut qu’elle soit, où elle est
réellement, dans son vrai milieu, dans son milieu horrible, non au
tribunal, mais à l’échafaud, non chez le juge, mais chez le
bourreau. Voilà ce qu’il a voulu faire. Si l’avenir lui
décernait un jour la gloire de l’avoir fait, ce qu’il n’ose
espérer, il ne voudrait pas d’autre couronne. Il le déclare donc,
et il le répète, il occupe, au nom de tous les accusés possibles,
innocents ou coupables, devant toutes les cours, tous les prétoires,
tous les jurys, toutes les justices. Ce livre est adressé à
quiconque juge. Et pour les justices. Ce livre est adressé à
quiconque juge. Et pour que le plaidoyer soit aussi vaste que la
cause, il a dû, et c’est pour cela que Le Dernier Jour d’un
Condamné est ainsi fait, élaguer de toutes parts dans son sujet le
contingent, l’accident, le particulier, le spécial, le relatif, le
modifiable, l’épisode, l’anecdote, l’événement, le nom
propre, et se borner (si c’est là se borner) à plaider la cause
d’un condamné quelconque, exécuté un jour quelconque, pour un
crime quelconque. Heureux si, sans autre outil que sa pensée, il a
fouillé assez avant pour faire saigner un cœur sous l’æs triplex
du magistrat ! heureux s’il a rendu pitoyables ceux qui se croient
justes ! heureux si, à force de creuser dans le juge, il a réussi
quelquefois à y retrouver un homme ! Il y a trois ans, quand ce
livre parut, quelques personnes imaginèrent que cela valait la peine
d’en contester l’idée à l’auteur. Les uns supposèrent un
livre anglais, les autres un livre américain. Singulière manie de
chercher à mille lieues les origines des choses, et de faire couler
des sources du Nil le ruisseau qui lave votre rue ! Hélas ! il n’y
a en ceci ni livre anglais, ni livre américain, ni livre chinois.
L’auteur a pris l’idée du Dernier Jour d’un Condamné, non
dans un livre, il n’a pas l’habitude d’aller chercher ses idées
si loin, mais là où vous pouviez tous la prendre, où vous l’aviez
prise peut-être (car qui n’a fait ou rêvé dans son esprit le
Dernier Jour d’un condamné ?), tout bonnement sur la place
publique, sur la place de Grève. C’est là qu’un jour en passant
il a ramassé cette idée fatale, gisante dans une mare de sang sous
les rouges moignons de la guillotine. Depuis, chaque fois qu’au gré
des funèbres jeudis de la cour de cassation, il arrivait un de ces
jours où le cri d’un arrêt de mort se fait dans Paris, chaque
fois que l’auteur entendait passer sous ses fenêtres ces
hurlements enroués qui ameutent des spectateurs pour la Grève,
chaque fois, la douloureuse idée lui revenait, s’emparait de lui,
lui emplissait la tête de gendarmes, de bourreaux et de foule, lui
expliquait heure par heure les dernières souffrances du misérable
agonisant, – en ce moment on le confesse, en ce moment on lui coupe
les cheveux, en ce moment on lui lie les mains, – le sommait, lui
pauvre poëte, de dire tout cela à la société, qui fait ses
affaires pendant que cette chose monstrueuse s’accomplit, le
pressait, le poussait, le secouait, lui arrachait ses vers de
l’esprit, s’il était en train d’en faire, et les tuait à
peine ébauchés, barrait tous ses travaux, se mettait en travers de
tout, l’investissait, l’obsédait, l’assiégeait. C’était un
supplice, un supplice qui commençait avec le jour, et qui durait,
comme celui du misérable qu’on torturait au même moment, jusqu’à
quatre heures. Alors seulement, une fois le ponens caput expiravit
crié par la voix sinistre de l’horloge, l’auteur respirait et
retrouvait quelque liberté d’esprit. Un jour enfin, c’était, à
ce qu’il croit, le lendemain de l’exécution d’Ulbach, il se
mit à écrire ce livre. Depuis lors il a été soulagé. Quand un de
ces crimes publics, qu’on nomme exécutions judiciaires, a été
commis, sa conscience lui a dit qu’il n’en était plus solidaire
; et il n’a plus senti à son front cette goutte de sang qui
rejaillit de la Grève sur la tête de tous les membres de la
communauté sociale. Toutefois, cela ne suffit pas. Se laver les
mains est bien, empêcher le sang de couler serait mieux. Aussi ne
connaîtrait-il pas de but plus élevé, plus saint, plus auguste que
celui-là : concourir à l’abolition de la peine de mort. Aussi
est-ce du fond du cœur qu’il adhère aux vœux et aux efforts des
hommes généreux de toutes les nations qui travaillent depuis
plusieurs années à jeter bas l’arbre patibulaire, le seul arbre
que les révolutions ne déracinent pas. C’est avec joie qu’il
vient à son tour, lui chétif, donner son coup de cognée, et
élargir de son mieux l’entaille que Beccaria a faite, il y a
soixante-six ans, au vieux gibet dressé depuis tant de siècles sur
la chrétienté. Nous venons de dire que l’échafaud est le seul
édifice que les révolutions ne démolissent pas. Il est rare, en
effet, que les révolutions soient sobres de sang humain, et, venues
qu’elles sont pour émonder, pour ébrancher, pour étêter la
société, la peine de mort est une des serpes dont elles se
dessaisissent le plus malaisément. Nous l’avouerons cependant, si
jamais révolution nous parut digne et capable d’abolir la peine de
mort, c’est la révolution de juillet. Il semble, en effet, qu’il
appartenait au mouvement populaire le plus clément des temps
modernes de raturer la pénalité barbare de Louis XI, de Richelieu
et de Robespierre, et d’inscrire au front de la loi l’inviolabilité
de la vie humaine. 1830 méritait de briser le couperet de 93. Nous
l’avons espéré un moment. En août 1830, il y avait tant de
générosité dans l’air, un tel esprit de douceur et de
civilisation flottait dans les masses, on se sentait le cœur si bien
épanoui par l’approche d’un bel avenir, qu’il nous sembla que
la peine de mort était abolie de droit, d’emblée, d’un
consentement tacite et unanime, comme le reste des choses mauvaises
qui nous avaient gênés. Le peuple venait de faire un feu de joie
des guenilles de l’ancien régime. Celle-là était la guenille
sanglante. Nous la crûmes dans le tas. Nous la crûmes brûlée
comme les autres. Et pendant quelques semaines, confiant et crédule,
nous eûmes foi pour l’avenir à l’inviolabilité de la vie,
comme à l’inviolabilité de la liberté. Et en effet deux mois
s’étaient à peine écoulés qu’une tentative fut faite pour
résoudre en réalité légale l’utopie sublime de César Bonesana.
Malheureusement, cette tentative fut gauche, maladroite, presque
hypocrite, et faite dans un autre intérêt que l’intérêt
général. Au mois d’octobre 1830, on se le rappelle, quelques
jours après avoir écarté par l’ordre du jour la proposition
d’ensevelir Napoléon sous la colonne, la Chambre tout entière se
mit à pleurer et à bramer. La question de la peine de mort fut mise
sur le tapis, nous allons dire quelques lignes plus bas à quelle
occasion ; et alors il sembla que toutes ces entrailles de
législateurs étaient prises d’une subite et merveilleuse
miséricorde. Ce fut à qui parlerait, à qui gémirait, à qui
lèverait les mains au ciel. La peine de mort, grand Dieu ! quelle
horreur ! Tel vieux procureur général, blanchi dans la robe rouge,
qui avait mangé toute sa vie le pain trempé de sang des
réquisitoires, se composa tout à coup un air piteux et attesta les
dieux qu’il était indigné de la guillotine. Pendant deux jours la
tribune ne désemplit pas de harangueurs en pleureuses. Ce fut une
lamentation, une myriologie, un concert de psaumes lugubres, un Super
flumina Babylonis, un Stabat mater dolorosa, une grande symphonie en
ut, avec chœurs, exécutée par tout cet orchestre d’orateurs qui
garnit les premiers bancs de la Chambre, et rend de si beaux sons
dans les grands jours. Tel vint avec sa basse, tel avec son fausset.
Rien n’y manqua. La chose fut on ne peut plus pathétique et
pitoyable. La séance de nuit surtout fut tendre, paterne et
déchirante comme un cinquième acte de Lachaussée. Le bon public,
qui n’y comprenait rien, avait les larmes aux yeux{1}. De quoi
s’agissait-il donc ? d’abolir la peine de mort ? Oui et non.
Voici le fait : Quatre hommes du monde, quatre hommes comme il faut,
de ces hommes qu’on a pu rencontrer dans un salon, et avec qui
peut-être on a échangé quelques paroles polies ; quatre de ces
hommes, dis-je, avaient tenté, dans les hautes régions politiques,
un de ces coups hardis que Bacon appelle crimes, et que Machiavel
appelle entreprises. Or, crime ou entreprise, la loi, brutale pour
tous, punit cela de mort. Et les quatre malheureux étaient là,
prisonniers, captifs de la loi, gardés par trois cents cocardes
tricolores sous les belles ogives de Vincennes. Que faire et comment
faire ? Vous comprenez qu’il est impossible d’envoyer à la
Grève, dans une charrette, ignoblement liés avec de grosses cordes,
dos à dos avec ce fonctionnaire qu’il ne faut pas seulement
nommer, quatre hommes comme vous et moi, quatre hommes du monde ?
Encore s’il y avait une guillotine en acajou ! Hé ! il n’y a
qu’à abolir la peine de mort ! Et là-dessus, la Chambre se met en
besogne. Remarquez, messieurs, qu’hier encore vous traitiez cette
abolition d’utopie, de théorie, de rêve, de folie, de poésie.
Remarquez que ce n’est pas la première fois qu’on cherche à
appeler votre attention sur la charrette, sur les grosses cordes et
sur l’horrible machine écarlate, et qu’il est étrange que ce
hideux attirail vous saute ainsi aux yeux tout à coup. Bah ! c’est
bien de cela qu’il s’agit ! Ce n’est pas à cause de vous,
peuple, que nous abolissons la peine de mort, mais à cause de nous,
députés qui pouvons être ministres. Nous ne voulons pas que la
mécanique de Guillotin morde les hautes classes. Nous la brisons.
Tant mieux si cela arrange tout le monde, mais nous n’avons songé
qu’à nous. Ucalégon brûle. Éteignons le feu. Vite, supprimons
le bourreau, biffons le code. Et c’est ainsi qu’un alliage
d’égoïsme altère et dénature les plus belles combinaisons
sociales. C’est la veine noire dans le marbre blanc ; elle circule
partout, et apparaît à tout moment à l’improviste sous le
ciseau. Votre statue est à refaire. Certes, il n’est pas besoin
que nous le déclarions ici, nous ne sommes pas de ceux qui
réclamaient les têtes des quatre ministres. Une fois ces infortunés
arrêtés, la colère indignée que nous avait inspirée leur
attentat s’est changée, chez nous comme chez tout le monde, en une
profonde pitié. Nous avons songé aux préjugés d’éducation de
quelques-uns d’entre eux, au cerveau peu développé de leur chef,
relaps fanatique et obstiné des conspirations de 1804, blanchi avant
l’âge sous l’ombre humide des prisons d’État, aux nécessités
fatales de leur position commune, à l’impossibilité d’enrayer
sur cette pente rapide où la monarchie s’était lancée elle-même
à toute bride le 8 août 1829, à l’influence trop peu calculée
par nous jusqu’alors de la personne royale, surtout à la dignité
que l’un d’entre eux répandait comme un manteau de pourpre sur
leur malheur. Nous sommes de ceux qui leur souhaitaient bien
sincèrement la vie sauve, et qui étaient prêts à se dévouer pour
cela. Si jamais, par impossible, leur échafaud eût été dressé un
jour en Grève, nous ne doutons pas, et si c’est une illusion nous
voulons la conserver, nous ne doutons pas qu’il n’y eût eu une
émeute pour le renverser, et celui qui écrit ces lignes eût été
de cette sainte émeute. Car, il faut bien le dire aussi, dans les
crises sociales, de tous les échafauds, l’échafaud politique est
le plus abominable, le plus funeste, le plus vénéneux, le plus
nécessaire à extirper. Cette espèce de guillotine-là prend racine
dans le pavé, et en peu de temps repousse de bouture sur tous les
points du sol. En temps de révolution, prenez garde à la première
tête qui tombe. Elle met le peuple en appétit. Nous étions donc
personnellement d’accord avec ceux qui voulaient épargner les
quatre ministres, et d’accord de toutes manières, par les raisons
sentimentales comme par les raisons politiques. Seulement, nous
eussions mieux aimé que la Chambre choisît une autre occasion pour
proposer l’abolition de la peine de mort. Si on l’avait proposée,
cette souhaitable abolition, non à propos de quatre ministres tombés
des Tuileries à Vincennes, mais à propos du premier voleur de
grands chemins venu, à propos d’un de ces misérables que vous
regardez à peine quand ils passent près de vous dans la rue,
auxquels vous ne parlez pas, dont vous évitez instinctivement le
coudoiement poudreux ; malheureux dont l’enfance déguenillée a
couru pieds nus dans la boue des carrefours, grelottant l’hiver au
rebord des quais, se chauffant au soupirail des cuisines de M. Véfour
chez qui vous dînez, déterrant çà et là une croûte de pain dans
un tas d’ordures et l’essuyant avant de la manger, grattant tout
le jour le ruisseau avec un clou pour y trouver un liard, n’ayant
d’autre amusement que le spectacle gratis de la fête du roi et les
exécutions en Grève, cet autre spectacle gratis ; pauvres diables,
que la faim pousse au vol, et le vol au reste ; enfants déshérités
d’une société marâtre, que la maison de force prend à douze
ans, le bagne à dix-huit, l’échafaud à quarante ; infortunés
qu’avec une école et un atelier vous auriez pu rendre bons,
moraux, utiles, et dont vous ne savez que faire, les versant, comme
un fardeau inutile, tantôt dans la rouge fourmilière de Toulon,
tantôt dans le muet enclos de Clamart, leur retranchant la vie après
leur avoir ôté la liberté ; si c’eût été à propos d’un de
ces hommes que vous eussiez proposé d’abolir la peine de mort, oh
! Alors, votre séance eût été vraiment digne, grande, sainte,
majestueuse, vénérable. Depuis les augustes pères de Trente
invitant les hérétiques au concile au nom des entrailles de Dieu,
per viscera Dei, parce qu’on espère leur conversion, quoniam
sancta synodus sperat hæreticorum conversionem, jamais assemblée
d’hommes n’aurait présenté au monde spectacle plus sublime,
plus illustre et plus miséricordieux. Il a toujours appartenu à
ceux qui sont vraiment forts et vraiment grands d’avoir souci du
faible et du petit. Un conseil de brahmines serait beau prenant en
main la cause du paria. Et ici, la cause du paria, c’était la
cause du peuple. En abolissant la peine de mort, à cause de lui et
sans attendre que vous fussiez intéressés dans la question, vous
faisiez plus qu’une œuvre politique, vous faisiez une œuvre
sociale. Tandis que vous n’avez pas même fait une œuvre politique
en essayant de l’abolir, non pour l’abolir, mais pour sauver
quatre malheureux ministres pris la main dans le sac des coups d’État
! Qu’est-il arrivé ? c’est que, comme vous n’étiez pas
sincères, on a été défiant. Quand le peuple a vu qu’on voulait
lui donner le change, il s’est fâché contre toute la question en
masse, et, chose remarquable ! il a pris fait et cause pour cette
peine de mort dont il supporte pourtant tout le poids. C’est votre
maladresse qui l’a amené là. En abordant la question de biais et
sans franchise, vous l’avez compromise pour longtemps. Vous jouiez
une comédie. On l’a sifflée. Cette farce pourtant, quelques
esprits avaient eu la bonté de la prendre au sérieux. Immédiatement
après la fameuse séance, ordre avait été donné aux procureurs
généraux, par un garde des sceaux honnête homme, de suspendre
indéfiniment toutes exécutions capitales. C’était en apparence
un grand pas. Les adversaires de la peine de mort respirèrent. Mais
leur illusion fut de courte durée. Le procès des ministres fut mené
à fin. Je ne sais quel arrêt fut rendu. Les quatre vies furent
épargnées. Ham fut choisi comme juste milieu entre la mort et la
liberté. Ces divers arrangements une fois faits, toute peur
s’évanouit dans l’esprit des hommes d’État dirigeants, et,
avec la peur, l’humanité s’en alla. Il ne fut plus question
d’abolir le supplice capital ; et une fois qu’on n’eut plus
besoin d’elle, l’utopie redevint utopie, la théorie, théorie,
la poésie, poésie. Il y avait pourtant toujours dans les prisons
quelques malheureux condamnés vulgaires qui se promenaient dans les
préaux depuis cinq ou six mois, respirant l’air, tranquilles
désormais, sûrs de vivre, prenant leur sursis pour leur grâce.
Mais attendez. Le bourreau, à vrai dire, avait eu grand’peur. Le
jour où il avait entendu nos faiseurs de lois parler humanité,
philanthropie, progrès, il s’était cru perdu. Il s’était
caché, le misérable, il s’était blotti sous sa guillotine, mal à
l’aise au soleil de juillet comme un oiseau de nuit en plein jour,
tâchant de se faire oublier, se bouchant les oreilles et n’osant
souffler. On ne le voyait plus depuis six mois. Il ne donnait plus
signe de vie. Peu à peu cependant il s’était rassuré dans ses
ténèbres. Il avait écouté du côté des Chambres et n’avait
plus entendu prononcer son nom. Plus de ces grands mots sonores dont
il avait eu si grande frayeur. Plus de commentaires déclamatoires du
Traité des Délits et des Peines. On s’occupait de toute autre
chose, de quelque grave intérêt social, d’un chemin vicinal,
d’une subvention pour l’Opéra-Comique, ou d’une saignée de
cent mille francs sur un budget apoplectique de quinze cents
millions. Personne ne songeait plus à lui, coupe-tête. Ce que
voyant, l’homme se tranquillise, il met sa tête hors de son trou,
et regarde de tous côtés ; il fait un pas, puis deux, comme je ne
sais plus quelle souris de La Fontaine, puis il se hasarde à sortir
tout à fait de dessous son échafaudage, puis il saute dessus, le
raccommode, le restaure, le fourbit, le caresse, le fait jouer, le
fait reluire, se remet à suifer la vieille mécanique rouillée que
l’oisiveté détraquait ; tout à coup il se retourne, saisit au
hasard par les cheveux dans la première prison venue un de ces
infortunés qui comptaient sur la vie, le tire à lui, le dépouille,
l’attache, le boucle, et voilà les exécutions qui recommencent.
Tout cela est affreux, mais c’est de l’histoire. Oui, il y a eu
un sursis de six mois accordé à de malheureux captifs, dont on a
gratuitement aggravé la peine de cette façon en les faisant
reprendre à la vie ; puis, sans raison, sans nécessité, sans trop
savoir pourquoi, pour le plaisir, on a un beau matin révoqué le
sursis et l’on a remis froidement toutes ces créatures humaines en
coupe réglée. Eh ! mon Dieu ! je vous le demande, qu’est-ce que
cela nous faisait à tous que ces hommes vécussent ? Est-ce qu’il
n’y a pas en France assez d’air à respirer pour tout le monde ?
Pour qu’un jour un misérable commis de la chancellerie, à qui
cela était égal, se soit levé de sa chaise en disant : – Allons
! personne ne songe plus à l’abolition de la peine de mort. Il est
temps de se remettre à guillotiner ! – il faut qu’il se soit
passé dans le cœur de cet homme-là quelque chose de bien
monstrueux. Du reste, disons-le, jamais les exécutions n’ont été
accompagnées de circonstances plus atroces que depuis cette
révocation du sursis de juillet, jamais l’anecdote de la Grève
n’a été plus révoltante et n’a mieux prouvé l’exécration
de la peine de mort. Ce redoublement d’horreur est le juste
châtiment des hommes qui ont remis le code du sang en vigueur.
Qu’ils soient punis par leur œuvre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire