Soulèvement
contre le pouvoir établi. Mouvement d'un peuple se dressant contre
le Gouvernement. La Grèce, l'Amérique, la France comptent de
mémorables insurrections. Près de nous, le XIXème siècle a vu
déjà des insurrections déborder le cadre politique : 1830, 1848,
1871. Explosions dues - par delà l'habituelle impéritie des
gouvernants - à la fois à l'insuffisance sociale de la Révolution
de 1789 et au joug réappesanti, avec des formes nouvelles et dans
une armature imprévue, sur les couches laborieuses de la nation...
La Convention avait déclaré (voir au mot Droit la Déclaration des
Droits de l'Homme et du Citoyen) que « quand le Gouvernement viole
les droits du peuple, l'insurrection est pour le peuple, et pour
chaque portion du peuple, le plus sacré des devoirs et le plus
indispensable des droits » (Article 37 de la Déclaration de 1793).
Ce texte affirme, de la façon la plus précise et la plus explicite,
que le recours à l'insurrection est non seulement un droit
imprescriptible, mais encore un devoir sacré. Néanmoins les
démocrates dont l'idéologie affirme s'inspirer des principes de la
déclaration précitée, répudient, en fait, eux aussi, le recours à
l'insurrection. Ayant apporté, prétendent-ils, avec le « suffrage
universel » les possibilités, pour le peuple, d'une émancipation
pacifique dans une « extensible légalité » ils ne sont pas loin
de croire, malgré les secousses croissantes infirmant cette
présomption, que la démocratie est grosse de toutes les libertés
possibles et qu'elle accouchera, dans le calme de progressives
évolutions, des bienfaits dont le désir peut passionner l'humanité.
Dans le cercle de leurs principes sont, semble-t-il, encloses, pour
les générations futures, les germes des plus vastes aspirations et
elles ne devront chercher, pour les réaliser, d'autres processus que
la voie lente - et seule admise des réformes. Vérités et moyens
sont ainsi comme un bloc de révélations et il devient impie
d'appeler la violence au secours d'une équité sans cesse différée.
Et cependant, comme le disait Eugène Suë, « il n'est pas, dans le
passé, une seule de nos libertés que nos pères n'aient été
forcés de conquérir par l'insurrection ». Et elle est appelée à
demeurer, pour les masses spoliées, - avec des formes variables et
une réussite plus ou moins heureuse -, un des leviers de leurs
espérances contestées tant que la force - ce droit d'Etat - figera
dans des institutions conservatrices le devenir des sociétés, Les
défenseurs du principe d'autorité - quel que soit le signe
politique de leur règne - nient le droit à l'insurrection. Même
dans le cas où les détenteurs du pouvoir ne se sont emparés de
celui-ci qu'en recourant à la violence insurrectionnelle, ils
refusent à leurs adversaires le droit de faire appel aux mêmes
moyens. Approuvant, mieux : glorifiant le mouvement insurrectionnel
qui leur a permis de confisquer au profit de leurs visées
ambitieuses la puissance gouvernementale, ils blâment, pire : ils
condamnent et répriment implacablement toute tentative
d'insurrection dirigée contre eux. Cette odieuse, mais trop
explicable contradiction est le fait, en France, des gouvernants
actuels qui, pourtant, se targuent sans vergogne d'être les
héritiers et les continuateurs de la Révolution Française. Il est
le fait, en Italie, d'un Mussolini qui, porté au pouvoir suprême
par les brigandages à main armée et la marche sur Rome des hordes
fascistes, considère comme le pire des crimes toute résistance à
ses volontés et punit des peines les plus sévères tout acte, tout
écrit, toute attitude hostile à sa personne et à ses volontés. Il
est le fait, en Russie, des gouvernants bolchevistes qui, après
avoir préconisé, préparé, organisé et exécuté, avec
l'intrépide concours de toutes les forces révolutionnaires de
Russie, le formidable mouvement populaire qui, en octobre 1917,
culbuta, par la violence, le gouvernement établi, ne tolèrent
aujourd'hui aucune propagande dirigée contre la dictature de leur
parti et traitent en malfaiteurs, emprisonnent, exilent et
assassinent tous ceux qui ne consentent pas à s'incliner devant les
méfaits de cette dictature. C'est le fait de tous les partis et de
tous les individus qui acclament l'insurrection quand elle leur est
profitable et la répudient lorsqu'elle dessert leurs intérêts,
leurs desseins d'ambition ou leurs rêves de domination, Il ne faut
pas confondre Insurrection et Révolution. La révolution est une
chose, l'insurrection en est une autre. L'idée de révolution
implique la nécessité de briser les rouages du régime établi,
afin d'instaurer sur les ruines de ce régime un régime non
seulement nouveau, mais dont les bases et la structure sont en
opposition totale avec les principes et les institutions du régime
effondré. L'idée d'insurrection ne va pas jusque-là : elle ne se
propose pas nécessairement un changement de régime ; elle se borne,
le plus souvent, à modifier la forme du pouvoir établi ; elle se
contente parfois de changer le personnel gouvernemental ; elle
s'attaque à une personne, à une institution ou même à un rouage
administratif ou directorial et, ce résultat partiel étant obtenu,
elle se déclare satisfaite. Bref : une révolution doit avoir pour
conséquence de déchirer le contrat social établi, d'en abolir
toutes les clauses, d'anéantir tous les principes qui vicient ledit
contrat et de proclamer un état de choses diamétralement opposé,
établi par un contrat social entièrement nouveau. C'est pourquoi
les anarchistes reconnaissent que l'histoire de l'humanité a
enregistré de très nombreuses insurrections, mais, jusqu'à ce
jour, pas une seule véritable Révolution. Toute insurrection
commence nécessairement par l'acte d'un seul individu ou de
quelques-uns : ceux qui, les premiers ou le plus douloureusement, ont
eu à souffrir d'un abus, d'une injustice, d'un crime du pouvoir
établi. Cet homme ou ces quelques hommes forment le dessein de
lutter contre le pouvoir, auteur ou complice de cet abus, de cette
injustice ou de ce crime. Ils communiquent leur projet aux personnes
susceptibles de s'y intéresser. De proche en proche, l'idée de
cette protestation contre le pouvoir établi se développe, elle
gagne du terrain, elle enrôle un nombre toujours croissant d'hommes
acquis au projet d'insurrection ; elle est, tôt ou tard, inscrite au
programme d'un de ces partis politiques qui sont incessamment à
l'affût de tout ce qui peut alimenter et accroître le
mécontentement de l'opinion publique ; tout ce qui fait partie de «
l'opposition » est emporté par le courant de plus en plus vaste et
tumultueux. Le pouvoir s'émeut, il n'attend pas que le mouvement ait
réuni des éléments et des forces susceptibles d'assurer son
succès. Il actionne son appareil répressif ; il fait appel aux
ressources, aux concours, aux appuis et aux moyens de violence qu'il
estime capables de disperser, de réduire au silence ou d'intimider
les initiateurs du mouvement. Le plus souvent, ces actes
d'étouffement et de violence ne font que fortifier la propagande que
le gouvernement entend museler et vaincre ; ils ne font
qu'intensifier l'irritation populaire et que stimuler le zèle,
l'ardeur, l'enthousiasme et l'énergie agissante des ennemis du
pouvoir établi. La situation se complique et s'aggrave ; l'heure
sonne des résolutions viriles et des actions décisives.
L'opposition ne peut plus reculer. Toute hésitation devient une
lâcheté, une capitulation, une défaite. L'insurrection éclate. De
deux choses : ou elle triomphe et, dans ce cas, les chefs de l'armée
insurrectionnelle sont des héros et leurs soldats de bons,
d'honnêtes, de glorieux combattants ; ou elle est écrasée et, dans
ce cas, les chefs sont des brigands et les soldats des malfaiteurs.
Elisée Reclus qui fut, en même temps que le plus illustre et le
plus savant des géographes (consulter ses ouvrages: La Géographie
Universelle, L'Homme et la Terre) un des meilleurs théoriciens
anarchistes, n'a pas hésité à déclarer que, « devant les abus et
les crimes incessants du pouvoir, les anarchistes sont en état
d'insurrection permanente ». Noble et forte affirmation! Pour les
êtres dignes, fiers et libres que nous tâchons d'être, cette
déclaration ne se borne pas à indiquer le droit ; elle trace aussi,
elle dicte l'attitude.
-
Sébastien FAURE.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire