mercredi 22 janvier 2020

Ligne N°60 de Michel Surya

Souviens toi que tu as été étranger   par Jacob Rogozinski

"En 1995, Jacques Derrida entamait une réflexion sur l'hospitalité, sur l'éthique comme hospitalité. Il prenait publiquement position pour dénoncer l'apparition d'un délit d'hospitalité, l'évolution toujours plus restrictive du droit d'asile et l'extension sans limite d'un système policier d'inquisition, de fichage, de quadrillage des migrants. Les frontières, déclarait-il, ne sont plus des lieux de passage, ce sont des lieux d'interdiction[...], des figures menaçantes de l’ostracisme, de l'expulsion, du bannissement, de la persécution" et il avouait sa honte d'être pris en otage par ceux qui n'admettent pas que le chez soi d'une maison d'une culture, d'une société suppose aussi l’ouverture hospitalière. En approfondissant son analyse, il allait insister sur l'antinomie entre les lois politico-juridiques qui réglementent l'accueil des étrangers,des lois toujours restrictives, menacées de se compromettre avec l'injustice, et la loi éthique d'une hospitalité absolue, inconditionnelle, hyperbolique qui exige un accueil sans calcul et sans conditions."

"Peut-être aurait-il objecté que, certes, "la loi a besoin des lois" pour s'inscrire dans le réel, mais que, sans une idée de l'hospitalité inconditionnelle qui puisse la guider, une "politique de l'hospitalité" se limiterait  à une simple riposte, au coup par coup, à des situations d'urgence. Dépourvus d'une orientation éthique, d'un impératif catégorique de justice, les dispositifs d'accueil risqueraient alors de se soumettre aux impératifs pragmatiques que leur dicteraient la conjoncture et les politiques d'états."

"On prétend souvent de nos jours que seul un peuple jouissant d'une identité nationale forte, un peuple enraciné dans son sol natal et bien protégé par des frontières stables, pourrait sans danger se montrer "hospitalier". Si il y a une leçon à retenir du récit de l'Exode, ce serait exactement l'inverse: c'est au contraire la migrance du peuple, son absence de patrie et de frontières, son caractère désincorporé et détéritorialisé qui sont la condition d'une hospitalité radicale."

"En reprenant la traduction inspirée que Lévinas donnait de l'énoncé biblique: "aime ton prochain comme toi-même", peut-être faudrait-il dire: "aime l'étranger, c'est toi-même".  Car l'étranger que je rencontre dans le monde me renvoie à cet étranger  que je suis d'abord pour moi-même. Celui qui ne tolère pas cette étrangeté en lui-sa part maudite, le restant de sa chair- et cherche à l'anéantir , comment éviterait-il de haïr l'étranger qu'il découvre hors de lui?"

"Que faut-il en conclure? Nous savons que l'hospitalité biblique et la mémoire d'une migrance originaire qui la fonde peuvent aussi s'accompagner d'une violence inhospitalière, lorsque le peuple-'am devient goy, s'incorpore dans un état, s'installe sur une terre en en chassant les autres habitants. De cette violence, les Palestiniens font aujourd'hui la dure expérience. Nous savons aussi que le mirage de l'autochtonie, s'il alimente parfois le fantasme d'une race pure, ne conduit pas forcément à la xénophobie; qu'il peut soutenir au contraire la dynamique hospitalière de la démocratie."





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