dimanche 3 décembre 2017

Léon Chestov 1866-1938



Qu'est ce que le bolchevisme ?


« Et, en effet, pendant plusieurs mois la Russie montra un spectacle saisissant : un énorme pays s’étendant sur des centaines de milliers de kilomètres, avec une population de près de deux cents millions d’habitants, se passant de toute autorité, car déjà, au mois de mars 1917, sur l’ordre du Gouvernement, dans tout le pays, la police avait été supprimée sans qu’on l’ait remplacée par quoi que ce soit d’autre ».
« Le Gouvernement Provisoire évitait toute mesure plus on moins rigoureuse, préférant agir par persuasion ».

« Il faut admirer que, malgré une situation aussi exceptionnelle, l’existence ait été après tout très supportable en Russie jusqu’au coup d’État bolcheviste ».

« Et, à ce point de vue, il faut dire que le Gouvernement Provisoire essayait bien d’atteindre
un but révolutionnaire, mais en créant en Russie une nature d’hommes de vérité, quelque chose du genre de ce qu’avaient rêvé et dont avaient parlé le comte Tolstoï, le prince Kropotkine, et qui n’était apparemment pas étranger à nos Slavophiles. Je sais évidemment fort bien que ni le prince Lwoff, ni Milioukoff, ni Kerenski n’étaient assez naïfs pour tendre consciemment à la réalisation en Russie de l’idéal anarchiste ; mais, en fait, c’était bien l’anarchie qu’ils favorisaient ».

« Il était clair que la Révolution était écrasée et que le bolchevisme était, essentiellement, un mouvement profondément réactionnaire, constituait même un pas en arrière sur Nicolas II, car, très rapidement, les Bolchéviks comprirent que les méthodes de Nicolas II ne pouvaient
leur suffire et qu’il leur était nécessaire d’adopter la sagesse gouvernementale de Nicolas Ier, voire même d’Araktcheieff ».

«  Mais les Bolchéviks russes, éduqués par le régime tsariste d’asservissement, n’ont parlé de liberté que tant que le pouvoir était entre les mains de leurs adversaires. Mais lorsque le pouvoir eût passé entre leurs mains à eux, ils renoncèrent sans aucun débat de conscience à toutes les libertés et déclarèrent de la façon la plus désinvolte l’idée même de la liberté bourgeoise, bonne pour la vieille Europe convertie, mais n’ayant aucune valeur pour la Russie Un gouvernement, un pouvoir fort, c’est ce qu’il faut au peuple pour son bien, et moins on consultera le peuple, plus grand et plus solide sera son bonheur ».

« Admettons que véritablement les Bolchéviks ne reprennent que ce qui a été pris de force avant eux : cela ne change rien à l’affaire ; les Bolchéviks demeurent des parasites, car, n’ajoutant rien à ce qui a été créé avant eux, ils se nourrissent des sucs de l’organisme auquel ils se sont attachés.Combien de temps peut-on vivre ainsi ? Combien de temps la Russie peut-elle nourrir les Bolchéviks ? Je ne saurais le dire. Peut-être le degré de patience et la capacité de soumission de notre patrie tromperont-t-ils tous nos calculs ».

« Leur tâche consistait à introduire dans l’esprit du peuple l’idée d’une vérité sociale supérieure, et ils ont abouti à chasser de l’âme populaire toute notion de vérité ».
« On a supprimé le seau et le moujik s’est émancipé. Aucune révolution sociale n’aurait pu apporter au moujik russe ce que lui a donné la suppression du monopole de l’alcool. En d’autres termes, c’est par une voie tout à fait particulière que s’est préparée en Russie une révolution colossale, — révolution politique et sociale ».

« Les leaders idéologues du bolchevisme peuvent, autant qu’il leur plaira, décliner et conjuguer les mots création et créer, ils sont absolument incapables d’une création positive. Car l’esprit d’asservissement dont est imbue toute leur activité, et même toute leur idéologie simplifiée, tue toute création dans son germe ».

« Voilà ce que ne comprenaient pas les hommes politiques du régime tsariste et voilà ce que ne comprennent pas non plus les Bolchéviks, bien qu’aussi longtemps qu’ils furent dans l’opposition ils aient disserté beaucoup sur ce sujet, tant à la Douma que dans leurs publications clandestines. Mais toutes ces dissertations sont oubliées comme si elles n’avaient jamais existé. À l’heure actuelle, il n’y a en Russie que des journaux gouvernementaux et des orateurs gouvernementaux ».

« Sous les tsars on s’exprimait dans ce que nous appelions la langue d’Ésope, mais l’on pouvait tout de même parler sans risquer la liberté et même la vie. Quant à se taire, cela n’était défendu à personne. Maintenant il est défendu même de se taire. Si l’on veut vivre, il faut exprimer sa sympathie pour le gouvernement, il faut le couvrir de fleurs ».

« On raconte, il est vrai, que Lénine, lui aussi, aurait publiquement déclaré que les Bolchéviks avaient fait une révolution de salauds. Mais est-ce exact ? A-t-il vraiment prononcé de telles paroles ? Je n’ai pu le vérifier. Je puis l’affirmer avec certitude : la date du 7 novembre 1917 doit être considérée comme celle de l’effondrement de la Révolution russe. Les Bolchéviks n’ont pas sauvé, mais trahi la population ouvrière et paysanne ».

« Mais il s’est déjà passé plus de deux ans, il y en aura bientôt trois, et le bolchevisme subsiste. Il subsiste, bien que la faim, le froid et les épidémies fassent rage. Ce n’est donc pas le bon sens qui dirige les hommes ? ».

« Les monarques ont tué la monarchie, les démocrates ont tué la démocratie ; en Russie, les socialistes et les révolutionnaires tuent, et ont déjà presque tué, et le socialisme et la révolution ».

« Le bolchevisme a commencé par la destruction, et est incapable d’aucune autre chose que la destruction. Si Lénine et ceux de ses camarades dont la conscience et le désintéressement sont hors de tout soupçon étaient assez clairvoyants pour comprendre qu’ils sont devenus eux-mêmes un jouet entre les mains de l’histoire, qui réalise avec leurs bras à eux des plans directement contraires, non seulement au socialisme et au communisme, mais à toute possibilité pour plusieurs dizaines d’années d’améliorer d’une façon quelconque la situation des classes opprimées, ils maudiraient le jour où le destin railleur leur a remis le pouvoir de gouverner la Russie ».


« En Russie, les hommes tout jeunes et pas très intelligents prédisent avec assurance que le bolchevisme se répandra à travers le monde entier ».

Aucun commentaire: