Qu'est
ce que le bolchevisme ?
« Et,
en effet, pendant plusieurs mois la Russie montra un spectacle
saisissant : un énorme pays s’étendant sur des centaines de
milliers de kilomètres, avec une population de près de deux cents
millions d’habitants, se passant de toute autorité, car déjà, au
mois de mars 1917, sur l’ordre du Gouvernement, dans tout le pays,
la police avait été supprimée sans qu’on l’ait remplacée par
quoi que ce soit d’autre ».
« Le
Gouvernement Provisoire évitait toute mesure plus on moins
rigoureuse, préférant agir par persuasion ».
« Il
faut admirer que, malgré une situation aussi exceptionnelle,
l’existence ait été après tout très supportable en Russie
jusqu’au coup d’État bolcheviste ».
« Et,
à ce point de vue, il faut dire que le Gouvernement Provisoire
essayait bien d’atteindre
un
but révolutionnaire, mais en créant en Russie une nature d’hommes
de vérité, quelque chose du genre de ce qu’avaient rêvé et dont
avaient parlé le comte Tolstoï, le prince Kropotkine, et qui
n’était apparemment pas étranger à nos Slavophiles. Je sais
évidemment fort bien que ni le prince Lwoff, ni Milioukoff, ni
Kerenski n’étaient assez naïfs pour tendre consciemment à la
réalisation en Russie de l’idéal anarchiste ; mais, en fait,
c’était bien l’anarchie qu’ils favorisaient ».
« Il
était clair que la Révolution était écrasée et que le
bolchevisme était, essentiellement, un mouvement profondément
réactionnaire, constituait même un pas en arrière sur Nicolas II,
car, très rapidement, les Bolchéviks comprirent que les méthodes
de Nicolas II ne pouvaient
leur
suffire et qu’il leur était nécessaire d’adopter la sagesse
gouvernementale de Nicolas Ier, voire même d’Araktcheieff ».
«
Mais les Bolchéviks russes, éduqués par le régime tsariste
d’asservissement, n’ont parlé de liberté que tant que le
pouvoir était entre les mains de leurs adversaires. Mais lorsque le
pouvoir eût passé entre leurs mains à eux, ils renoncèrent sans
aucun débat de conscience à toutes les libertés et déclarèrent
de la façon la plus désinvolte l’idée même de la liberté
bourgeoise, bonne pour la vieille Europe convertie, mais n’ayant
aucune valeur pour la Russie Un gouvernement, un pouvoir fort, c’est
ce qu’il faut au peuple pour son bien, et moins on consultera le
peuple, plus grand et plus solide sera son bonheur ».
« Admettons
que véritablement les Bolchéviks ne reprennent que ce qui a été
pris de force avant eux : cela ne change rien à l’affaire ; les
Bolchéviks demeurent des parasites, car, n’ajoutant rien à ce qui
a été créé avant eux, ils se nourrissent des sucs de l’organisme
auquel ils se sont attachés.Combien de temps peut-on vivre ainsi ?
Combien de temps la Russie peut-elle nourrir les Bolchéviks ? Je ne
saurais le dire. Peut-être le degré de patience et la capacité de
soumission de notre patrie tromperont-t-ils tous nos calculs ».
« Leur
tâche consistait à introduire dans l’esprit du peuple l’idée
d’une vérité sociale supérieure, et ils ont abouti à chasser de
l’âme populaire toute notion de vérité ».
« On
a supprimé le seau et le moujik s’est émancipé. Aucune
révolution sociale n’aurait pu apporter au moujik russe ce que lui
a donné la suppression du monopole de l’alcool. En d’autres
termes, c’est par une voie tout à fait particulière que s’est
préparée en Russie une révolution colossale, — révolution
politique et sociale ».
« Les
leaders idéologues du bolchevisme peuvent, autant qu’il leur
plaira, décliner et conjuguer les mots création et créer, ils sont
absolument incapables d’une création positive. Car l’esprit
d’asservissement dont est imbue toute leur activité, et même
toute leur idéologie simplifiée, tue toute création dans son
germe ».
« Voilà
ce que ne comprenaient pas les hommes politiques du régime tsariste
et voilà ce que ne comprennent pas non plus les Bolchéviks, bien
qu’aussi longtemps qu’ils furent dans l’opposition ils aient
disserté beaucoup sur ce sujet, tant à la Douma que dans leurs
publications clandestines. Mais toutes ces dissertations sont
oubliées comme si elles n’avaient jamais existé. À l’heure
actuelle, il n’y a en Russie que des journaux gouvernementaux et
des orateurs gouvernementaux ».
« Sous
les tsars on s’exprimait dans ce que nous appelions la langue
d’Ésope, mais l’on pouvait tout de même parler sans risquer la
liberté et même la vie. Quant à se taire, cela n’était défendu
à personne. Maintenant il est défendu même de se taire. Si l’on
veut vivre, il faut exprimer sa sympathie pour le gouvernement, il
faut le couvrir de fleurs ».
« On
raconte, il est vrai, que Lénine, lui aussi, aurait publiquement
déclaré que les Bolchéviks avaient fait une révolution de
salauds. Mais est-ce exact ? A-t-il vraiment prononcé de telles
paroles ? Je n’ai pu le vérifier. Je puis l’affirmer avec
certitude : la date du 7 novembre 1917 doit être considérée comme
celle de l’effondrement de la Révolution russe. Les Bolchéviks
n’ont pas sauvé, mais trahi la population ouvrière et paysanne ».
« Mais
il s’est déjà passé plus de deux ans, il y en aura bientôt
trois, et le bolchevisme subsiste. Il subsiste, bien que la faim, le
froid et les épidémies fassent rage. Ce n’est donc pas le bon
sens qui dirige les hommes ? ».
« Les
monarques ont tué la monarchie, les démocrates ont tué la
démocratie ; en Russie, les socialistes et les révolutionnaires
tuent, et ont déjà presque tué, et le socialisme et la
révolution ».
« Le
bolchevisme a commencé par la destruction, et est incapable d’aucune
autre chose que la destruction. Si Lénine et ceux de ses camarades
dont la conscience et le désintéressement sont hors de tout soupçon
étaient assez clairvoyants pour comprendre qu’ils sont devenus
eux-mêmes un jouet entre les mains de l’histoire, qui réalise
avec leurs bras à eux des plans directement contraires, non
seulement au socialisme et au communisme, mais à toute possibilité
pour plusieurs dizaines d’années d’améliorer d’une façon
quelconque la situation des classes opprimées, ils maudiraient le
jour où le destin railleur leur a remis le pouvoir de gouverner la
Russie ».
« En
Russie, les hommes tout jeunes et pas très intelligents prédisent
avec assurance que le bolchevisme se répandra à travers le monde
entier ».
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