Le loup et ses rabatteurs
Curieux
pays que la France ! Il y a à peine dix-huit mois de cela, aux
lendemains du premier tour d’une élection présidentielle où il
avait créé (une fois de plus) la surprise en devançant le candidat
soi-disant socialiste, Le Pen se voyait conspué deux semaines durant
par des manifestations de rue, rassemblant des centaines de milliers
de personnes ; avant d’être rejeté, au second tour, par une
écrasante majorité de citoyens. Depuis lors, on l’a oublié,
comme s’il n’existait plus. Il faut dire qu’il a lui-même tout
fait pour se faire oublier. C’est que le cours des événements
politico-médiatiques, nationaux ou internationaux, ne lui a pas été
particulièrement favorable. Difficile de faire entendre sa
différence dans une opinion publique largement anti-guerre et
anti-Bush, lui qui a toujours curieusement manifesté une sympathie
active pour le régime de Saddam Hussein. Encore plus difficile de
jouer les grands écarts entre son appui à la politique
gouvernementale de remise en cause des acquis sociaux et toute la
partie, majoritaire, de sa propre base électorale que cette remise
en cause menace et inquiète directement. Tout juste est-il parvenu à
amuser un peu la galerie en organisant au bénéfice de sa fille
Marine une succession qu’il a refusée en son temps à son
lieutenant Megret et qu’il refuse à nouveau au successeur de ce
dernier (Gollnisch).
Pourtant,
ne nous y trompons pas. Le temps joue bel et bien pour lui. Et tel le
loup, tapi dans le bois, il lui suffit d’attendre son heure. Qui
risque bien de sonner à nouveau au printemps prochain, lors des
prochaines élections régionales et européennes. Car tout le monde,
ou presque, est en train de rouler pour lui. Raffarin en poursuivant
sa politique néo-libérale synonyme d’aggravation du chômage, de
la précarité, d’appauvrissement et de démantèlement des
équipements collectifs et des services publics, de creusement
généralisé des inégalités, autant d’éléments de cette
insécurité sociale grandissante qui nourrit le sentiment
d’insécurité sur lequel le Front national surfe depuis deux
décennies. Sarkozy en instrumentalisant ce même sentiment, en lui
donnant l’occasion de s’attacher à des boucs émissaires (les
«immigrés clandestins», les «jeunes de banlieues »,
la «grande criminalité», etc.) qui présentent tous en
définitive le même visage : celui de l’étranger ethnique (pour
ne pas dire racial) sur lequel le Front national focalise
l'impuissance et la rage haineuse de tous ceux qui sont devenus ou
craignent de devenir les laissés pour compte du néo-libéralisme.
Et qui, faute d’être capables de s’opposer réellement à ce
dernier, trouvent une compensation imaginaire à écraser encore plus
faibles qu’eux.
Mais
aussi toute la gauche laïcarde bien pensante qui, tous ces derniers
mois, en rajoute une couche, en activant un débat aussi futile que
pernicieux sur les soi-disant dangers que la présence de quelques
dizaines d’élèves « voilées » feraient courir à la République
et à son école. Sans compter – n’oublions pas de balayer devant
notre propre porte – ceux qui ne hurlent pas avec les loups
précédents et en dénoncent la meute ; mais qui s’avèrent encore
incapables de construire une alternative politique crédible au
tandem de la vraie droite et de la fausse gauche et au néolibéralisme
qui est leur commun dénominateur. Ou qui, parce qu’ils limitent
leurs ambitions à un anti-libéralisme bon teint, ne font
qu’entretenir l’apathie politique des couches populaires, en
rejetant une partie d’entre elles dans les bras de l’extrême
droite.
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