samedi 30 décembre 2017

Edito A Contre-Courant Décembre 2003

Le loup et ses rabatteurs

Curieux pays que la France ! Il y a à peine dix-huit mois de cela, aux lendemains du premier tour d’une élection présidentielle où il avait créé (une fois de plus) la surprise en devançant le candidat soi-disant socialiste, Le Pen se voyait conspué deux semaines durant par des manifestations de rue, rassemblant des centaines de milliers de personnes ; avant d’être rejeté, au second tour, par une écrasante majorité de citoyens. Depuis lors, on l’a oublié, comme s’il n’existait plus. Il faut dire qu’il a lui-même tout fait pour se faire oublier. C’est que le cours des événements politico-médiatiques, nationaux ou internationaux, ne lui a pas été particulièrement favorable. Difficile de faire entendre sa différence dans une opinion publique largement anti-guerre et anti-Bush, lui qui a toujours curieusement manifesté une sympathie active pour le régime de Saddam Hussein. Encore plus difficile de jouer les grands écarts entre son appui à la politique gouvernementale de remise en cause des acquis sociaux et toute la partie, majoritaire, de sa propre base électorale que cette remise en cause menace et inquiète directement. Tout juste est-il parvenu à amuser un peu la galerie en organisant au bénéfice de sa fille Marine une succession qu’il a refusée en son temps à son lieutenant Megret et qu’il refuse à nouveau au successeur de ce dernier (Gollnisch).
Pourtant, ne nous y trompons pas. Le temps joue bel et bien pour lui. Et tel le loup, tapi dans le bois, il lui suffit d’attendre son heure. Qui risque bien de sonner à nouveau au printemps prochain, lors des prochaines élections régionales et européennes. Car tout le monde, ou presque, est en train de rouler pour lui. Raffarin en poursuivant sa politique néo-libérale synonyme d’aggravation du chômage, de la précarité, d’appauvrissement et de démantèlement des équipements collectifs et des services publics, de creusement généralisé des inégalités, autant d’éléments de cette insécurité sociale grandissante qui nourrit le sentiment d’insécurité sur lequel le Front national surfe depuis deux décennies. Sarkozy en instrumentalisant ce même sentiment, en lui donnant l’occasion de s’attacher à des boucs émissaires (les «immigrés clandestins», les «jeunes de banlieues », la «grande criminalité», etc.) qui présentent tous en définitive le même visage : celui de l’étranger ethnique (pour ne pas dire racial) sur lequel le Front national focalise l'impuissance et la rage haineuse de tous ceux qui sont devenus ou craignent de devenir les laissés pour compte du néo-libéralisme. Et qui, faute d’être capables de s’opposer réellement à ce dernier, trouvent une compensation imaginaire à écraser encore plus faibles qu’eux.

Mais aussi toute la gauche laïcarde bien pensante qui, tous ces derniers mois, en rajoute une couche, en activant un débat aussi futile que pernicieux sur les soi-disant dangers que la présence de quelques dizaines d’élèves « voilées » feraient courir à la République et à son école. Sans compter – n’oublions pas de balayer devant notre propre porte – ceux qui ne hurlent pas avec les loups précédents et en dénoncent la meute ; mais qui s’avèrent encore incapables de construire une alternative politique crédible au tandem de la vraie droite et de la fausse gauche et au néolibéralisme qui est leur commun dénominateur. Ou qui, parce qu’ils limitent leurs ambitions à un anti-libéralisme bon teint, ne font qu’entretenir l’apathie politique des couches populaires, en rejetant une partie d’entre elles dans les bras de l’extrême droite.

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