Nous
avons jusqu'à présent considéré le gouvernement tel qu'il est et
tel qu'il doit nécessairement être dans une
société fondée sur le privilège, sur l'exploitation et
l'oppression de l'homme par l'homme, sur l'antagonisme des intérêts,
sur la lutte au sein même de la société, en un mot, sur la
propriété individuelle.
Nous
avons vu que loin d'être une condition nécessaire de la vie
humaine, l'état de lutte est contraire aux intérêts des individus
et de l'espèce humaine. Nous avons vu que la loi du progrès humain,
c'est la coopération, la solidarité et nous en avons conclu que si
on abolit la propriété individuelle et toute domination de l'homme
par l'homme, le gouvernement n'a plus aucune raison d'exister et doit
être aboli.
Mais
(pourrait-on nous dire) une fois modifié le principe sur
lequel repose aujourd'hui l'organisation sociale, une fois la lutte
remplacée par la solidarité et la propriété individuelle par la
propriété commune, la nature du gouvernement changerait, et au lieu
d'être le représentant et le défenseur des intérêts d'une
classe, il serait le représentant des intérêts de la société
toute entière, puisqu'il n'y aurait plus de classes. Il aurait pour
mission de garantir et de réglementer la coopération sociale, dans
l'intérêt de tous ; d'assurer les services publics d'importance
générale ; de défendre la société contre d'éventuelles
tentatives visant à rétablir le privilège, de prévenir ce qui
peut attenter à la vie, au bien-être et à la liberté de chacun et
d'en réprimer les auteurs, quels qu'ils soient.
Il
y a dans la société des fonctions qui sont trop importantes et qui
exigent trop de constance, trop de régularité, pour qu'elles
puissent être laissées à la libre volonté des individus sans
qu'il y ait de risque que tout s'en aille à vau-l'eau. S'il n'y a
pas de gouvernement, qui organiserait et qui garantirait le bon
fonctionnement de ces services : l'approvisionnement, la
distribution, la santé, la poste, le télégraphe, les chemins de
fer, etc.? Qui veillerait à l'instruction du peuple ? Qui
entreprendrait les grands travaux qui changent la face de la terre et
multiplient les forces de l'homme : les explorations, les
assainissements, les grandes entreprises scientifiques ? Qui
veillerait à ce que le capital social soit conservé et augmenté
afin de le léguer enrichi et amélioré à l'humanité à venir ?
Qui empêcherait que les forêts soient dévastées et le sol
exploité de façon irrationnelle et donc appauvri ?
Qui
serait mandaté pour prévenir et réprimer les crimes, autrement dit
les actes antisociaux ? Et ceux qui manqueraient à la loi de
solidarité en ne voulant pas travailler ? Et ceux qui causeraient
une épidémie dans tout le pays en refusant de se soumettre aux
règles d'hygiène que la science reconnaît utiles ? Et si jamais
certains voulaient, dans leur folie ou sans être fous, brûler les
récoltes, violer les enfants, abuser de leur force physique envers
les plus faibles qu'eux ?
Détruire
la propriété individuelle et abolir les gouvernements qui existent
actuellement sans mettre sur pied un nouveau gouvernement qui
organiserait la vie collective et garantirait la solidarité,
sociale, ce ne serait pas abolir les privilèges ; ce ne serait pas
apporter au monde la paix ni le bien-être : ce serait briser tout
lien social, ramener l'humanité à la barbarie et au règne du
chacun pour soi qui est le triomphe d'abord de la force brutale et
ensuite du privilège économique.
Telles
sont les objections que nous font les autoritaires, même quand ils
sont socialistes, autrement dit des gens qui veulent abolir la
propriété individuelle et le gouvernement de classe qui en découle.
Répondons
à ces objections.
Tout
d'abord, il n'est pas vrai que la nature et le rôle du gouvernement
changeraient si les conditions sociales étaient changées. L'organe
et la fonction sont des données inséparables. Otez sa fonction à
un organe : l'organe meurt, ou bien sa fonction se reconstitue.
Faites entrer une armée dans un pays où il n'y ait aucune cause de
guerre, intestine ou avec l'extérieur, ni aucune peur à ce sujet :
l'armée provoquera la guerre ou elle se dispersera si elle n'y
arrive pas. Là où il n'y aurait ni crimes à découvrir ni
délinquants à arrêter, une police provoquera et inventera crimes
et délinquants ou bien elle disparaîtra. Il existe en France,
depuis des siècles, une institution rattachée aujourd'hui à
l'administration des eaux et forêts, la Louveterie2, dont les
fonctionnaires sont chargés de veiller à la destruction des loups
et autres bêtes nuisibles. Personne ne s'étonnera d'apprendre que
s'il y a encore des loups en France qui font des dégâts importants
au moment des grands froids, c'est précisément à cause de cette
institution. Les gens ne s'occupent guère des loups, puisque les
louvetiers sont là pour y penser ; et les louvetiers font
bien la chasse aux loups, mais ils la font
de
façon intelligente : pour ne pas risquer de faire disparaître
une espèce aussi intéressante, ils ne touchent pas aux endroits où
se fait la reproduction, afin de lui donner le temps de se faire. Et
de fait, les paysans français ont une confiance très limitée en
ces louvetiers et les considèrent plutôt comme des gardiens
des loups dont ils assurent la conservation de l'espèce. Ce qui se
comprend très bien : que feraient les "lieutenants de
louveterie" s'il n'y avait plus de loups ?
Le
gouvernement, c'est un certain nombre de personnes chargées de faire
les lois et habilitées à se servir de la force de tous pour obliger
chacun à les respecter : il constitue déjà, de ce fait, une classe
privilégiée et séparée du peuple. Comme tout corps constitué, il
cherchera instinctivement à élargir ses attributions, à se
soustraire au contrôle du peuple, à imposer ses propres tendances
et à faire prédominer ses propres intérêts particuliers. Placé
dans une situation privilégiée, le gouvernement se trouve déjà en
antagonisme avec la masse, dont il détourne la force pour en
disposer.
D'ailleurs,
même s'il le voulait, un gouvernement ne pourrait pas contenter tout
le monde, à supposer qu'il arrive à en contenter quelques-uns. Il
lui faudrait se défendre contre les mécontents et donc
co-intéresser une partie du peuple pour en obtenir l'appui. Et ce
serait à nouveau la vieille histoire de la classe privilégiée qui
se constitue avec la complicité du gouvernement et qui, cette fois,
ne s'emparerait pas de la terre mais accaparerait sans aucun doute
des situations de faveur, tout spécialement créées pour elle, et
qui n'oppresserait et n'exploiterait pas moins que la classe
capitaliste.
Habitués
comme ils le sont à commander, les gouvernants entendraient bien ne
pas retourner à l'anonymat de la foule et au cas où ils ne
pourraient pas garder le pouvoir en mains propres, ils s'assureraient
au moins des positions privilégiées en prévision du moment où il
leur faudrait le faire passer en d'autres mains. Ils utiliseraient
tous les moyens dont dispose le pouvoir pour que ce soient leurs amis
à eux qui soient élus pour leur succéder, afin d'être appuyés et
protégés par eux, à leur tour. Ainsi le gouvernement passerait et
repasserait dans les mêmes mains et la démocratie, ou prétendu
gouvernement de tous, finirait comme toujours en oligarchie,
gouvernement d'un petit nombre, gouvernement d'une classe.
Et
quelle oligarchie toute-puissante, oppressive et dévoreuse celle qui
aurait à sa charge, c'est à- dire à sa disposition, tout le
capital social, tous les services publics, depuis l'approvisionnement
jusqu'à la fabrication des allumettes, depuis l'université jusqu'au
théâtre d'opérette !!!
***
Supposons
maintenant que le gouvernement ne constitue pas déjà en lui-même
une classe privilégiée ; supposons qu'il puisse vivre sans créer
autour de lui une classe nouvelle de privilégiés et en restant le
représentant, le serviteur si l'on veut, de toute la société. A
quoi servirait-il donc ? En quoi et comment pourrait-il accroître la
force, l'intelligence, l'esprit de solidarité, le souci du bien-être
de tous et de l'humanité future qui se trouvent exister à un moment
donné dans une société donnée ?
C'est
toujours cette vieille histoire de l'homme aux deux jambes attachées
qui a réussi à vivre malgré ses chaînes et qui s'imagine que s'il
vit, c'est grâce à elles. Nous sommes habitués à vivre sous un
gouvernement qui accapare toutes les forces, toutes les intelligences
et toutes les volontés qu'il peut orienter vers ses fins à lui ; et
qui entrave, paralyse, supprime toutes celles qui ne lui sont pas
utiles ou qui lui sont hostiles ; et nous nous imaginons que tout ce
qui se fait dans la société se fait grâce au gouvernement et que
s'il n'y avait plus de gouvernement, il n'y aurait plus dans la
société ni force, ni intelligence, ni bonne volonté. De la même
façon, comme nous l'avons déjà dit, le propriétaire qui s'est
emparé de la terre la fait cultiver à son profit particulier, en ne
laissant au travailleur que le strict nécessaire pour qu'il puisse
et veuille continuer à travailler ; et le travailleur asservi
s'imagine que, sans le patron, il ne pourrait pas vivre, comme si
c'était le patron qui créait la terre et les forces de la nature.
Qu'est-ce
que le gouvernement peut bien apporter en lui-même aux forces
morales et
matérielles
qui existent dans telle ou telle société ? Est-ce que, par hasard,
il serait comme le Dieu de la Bible qui crée à partir du néant ?
De
même que rien ne se crée dans le monde qu'on appelle généralement
matériel, rien ne se crée non plus dans cette forme plus compliquée
du monde matériel qu'est le monde social. C'est pourquoi les
gouvernants ne peuvent disposer que des forces qui existent dans la
société, moins toutes celles que l'action gouvernementale paralyse
et détruit - et elles sont très nombreuses -, moins les forces
rebelles, et moins encore toutes celles qui se consument dans les
heurts provoqués par un mécanisme aussi artificiel et qui sont
nécessairement très nombreuses. Si jamais ils apportent en
eux-mêmes quelque chose, c'est en tant qu'hommes, et non pas en tant
que gouvernants qu'ils peuvent le faire. Et ce n'est qu'une partie
extrêmement réduite de toutes les forces matérielles et morales à
disposition du gouvernement qui est destinée à quelque chose de
réellement utile à la société. Tout le reste est consumé dans
des activités de répression pour tenir en bride les forces
rebelles, ou bien détourné de ce but qu'est l'intérêt commun pour
être utilisé au bénéfice d'un petit nombre et au préjudice de la
majorité des hommes.
Quelle
est la part respective de l'initiative individuelle et de l'action
sociale dans la vie et dans le progrès de la société humaine ? On
a tenu là-dessus de grands discours tant et si bien que grâce aux
artifices habituels du langage métaphysique, on est arrivé à tout
embrouiller : affirmer comme certains le font que c'est grâce à
l'initiative individuelle que le monde des hommes peut fonctionner,
c'est passer désormais pour audacieux. Alors que c'est là une
vérité de bon sens, qui apparaît comme évidente dès qu'on
cherche à savoir ce que les mots signifient. Ce qui existe
réellement, c'est l'homme, c'est l'individu : la société ou
collectivité - et l'État ou gouvernement qui prétend la
représenter - ne peuvent être que des abstractions vides si elles
ne sont pas des ensembles d'individus. C'est de l'organisme de chaque
individu que tirent nécessairement leur origine toutes les pensées
et tous les actes des hommes, pensées et actes qui d'individuels
deviennent collectifs quand ils sont ou deviennent communs à
beaucoup d'individus. L'action sociale n'est donc ni la négation, ni
le complément de l'initiative individuelle : elle est la résultante
des initiatives, des pensées et des actions de tous les individus
qui composent la société ; résultante qui, toutes choses égales
par ailleurs, est plus ou moins grande selon que les forces de chacun
concourent toutes au même but, ou divergent et s'opposent. Et si, au
contraire, on entend par action sociale l'action du gouvernement,
comme le font les autoritaires, elle est bien encore la résultante
de forces individuelles, mais seulement de celles des individus qui
font partie du gouvernement ou qui sont en position d'influer sur la
conduite du gouvernement.
Dans
la lutte séculaire entre la liberté et l'autorité, ou en d'autres
termes entre le socialisme et l'État de classe, la question n'est
donc pas vraiment de modifier les rapports entre la société et
l'individu ; la question n'est pas d'accroître l'indépendance
individuelle aux dépens de l'ingérence de la société, ou celle-ci
aux dépens de celle-là. Il s'agit plutôt d'empêcher que quelques
individus puissent opprimer les autres ; de donner les mêmes droits
et les mêmes moyens d'action à tous les individus ; et d'en finir
avec la seule initiative d'un petit nombre qui entraîne
nécessairement l'oppression de tous les autres. En somme, il s'agit
encore et toujours de détruire la domination et l'exploitation de
l'homme par l'homme, de façon à ce que tous soient intéressés au
bien-être commun et qu'au lieu d'être supprimées, ou de se
combattre et de s'éliminer tour à tour, les forces individuelles
trouvent la possibilité de se développer totalement et de
s'associer les unes aux autres pour le plus grand profit de tous. Il
résulte de tout ce que nous avons dit que l'existence d'un
gouvernement - serait-ce même le gouvernement idéal des socialistes
autoritaires, pour poursuivre notre hypothèse - serait bien loin de
produire une augmentation des forces productives, des forces
d'organisation et de protection de la société. Au contraire, elle
les amoindrirait terriblement en restreignant l'initiative à un
petit nombre et en donnant à ce petit nombre le droit de tout faire,
sans pour autant leur donner le don de tout savoir, naturellement, ce
qui n'est pas en son pouvoir. Et, de fait, si vous enlevez de la
législation et de ce qui est l'oeuvre d'un gouvernement tout ce qui
est destiné à défendre les privilégiés et qui représente la
volonté de ces mêmes privilégiés, que reste-t-il sinon le
résultat de l'activité de tous ? Comme disait Sismondi, "
L'État est
toujours
un pouvoir conservateur qui authentifie, régularise, organise les
conquêtes du progrès (et l'Histoire montre encore qu'il les
dirige à son propre profit et au profit de la classe privilégiée -
note de Malatesta) mais ne les inaugure jamais. Elles ont toujours
leur origine dans le bas. Elles naissent dans le fond de la société,
de la pensée individuelle, qui se divulgue ensuite, devient opinion,
majorité, mais doit toujours rencontrer sur ses pas et combattre
dans les pouvoirs constitués la tradition, l'habitude, le privilège
et l'erreur. "
Du
reste, pour comprendre comment une société peut vivre sans
gouvernement, il suffit d'observer un peu en profondeur ce qui se
passe dans la société telle qu'elle est aujourd'hui. On y verra
qu'en réalité la plus grande partie, la partie essentielle de la
vie sociale s'accomplit même aujourd'hui en dehors de l'intervention
du gouvernement ; que le gouvernement n'intervient que pour exploiter
les masses et défendre les privilégiés et que, pour le reste, il
ne fait qu'entériner, bien inutilement, tout ce qui se fait sans
lui, et souvent malgré lui et contre lui. Les hommes travaillent,
procèdent aux échanges, étudient, voyagent, suivent comme ils
l'entendent les règles de la morale et de l'hygiène, profitent des
progrès de la science et de l'art, entretiennent entre eux une
infinité de rapports, sans ressentir le besoin que quiconque leur
impose la façon de se conduire. Au contraire, c'est précisément là
où il n'y a pas ingérence du gouvernement que les choses vont le
mieux, qu'elles prêtent le moins à contestation et qu'elles
s'arrangent, par la volonté de tous, de façon à ce que tous y
trouvent leur utilité et leur plaisir.
Le
gouvernement n'est pas davantage nécessaire aux grandes entreprises
ni aux services publics qui requièrent le concours régulier d'un
grand nombre de personnes de pays et de condition différents. Des
milliers de ces entreprises sont, aujourd'hui même, le fait
d'associations privées librement constituées et, de l'aveu même de
tous, ce sont celles qui réussissent le mieux. Sans parler des
associations de capitalistes ; bien qu'organisées dans le but
d'exploiter, elles démontrent assez combien la libre association est
possible et puissante, et comment elle peut aller jusqu'à concerner
des gens de tous les pays et des intérêts aussi innombrables que
variés. Parlons plutôt de ces associations qui s'inspirent de
l'amour pour les autres, nos semblables, ou de la passion de la
science, ou encore du désir simplement de se divertir ou de se faire
applaudir : ce sont elles qui préfigurent le mieux ce que seront les
groupements dans une société où la propriété individuelle ayant
été abolie et où la lutte intestine entre les hommes n'existant
plus, chacun trouvera son intérêt dans l'intérêt de tous et sa
plus grande satisfaction à faire le bien et à faire plaisir aux
autres. Les sociétés et les congrès scientifiques, l'Association
Internationale de Sauvetage, l'association de la Croix-Rouge, les
sociétés géographiques, les organisations ouvrières, les corps de
volontaires qui organisent rapidement les secours dans les grandes
catastrophes publiques, voilà quelques exemples, entre des milliers
d'autres, de cette puissance de l'esprit d'association, lequel se
manifeste toujours lorsqu'il s'agit d'un besoin ou d'une passion
réellement ressenti et que les moyens ne manquent pas. Si
l'association volontaire ne recouvre pas le monde entier et si elle
n'embrasse pas toutes les branches de l'activité matérielle et
morale, c'est à cause des obstacles qu'y mettent les gouvernements,
à cause des antagonismes que crée la propriété privée, à cause
de cette impuissance et de cet avilissement auxquels l'accaparement
des richesses par un
petit
nombre réduit la grande majorité des hommes. Le gouvernement se
charge, par exemple, du service des postes, des chemins de fer, etc.
Mais en quoi aide-t-il réellement au bon fonctionnement de ces
services ? Quand le peuple est mis en mesure d'en bénéficier et
qu'il ressent le besoin des services en question, il pense à les
organiser
et les techniciens n'ont pas besoin d'un brevet du gouvernement pour
se mettre au travail. Et plus le besoin est général et urgent, plus
il y aura de volontaires pour s'en occuper. Si le peuple avait la
possibilité de penser lui-même à la production et à
l'alimentation, n'ayez aucune crainte ! , il ne se laisserait pas
mourir de faim en attendant qu'un gouvernement ait fait des lois
là-dessus. S'il devait y avoir un gouvernement, là encore il serait
tout simplement obligé d'attendre que le peuple ait tout organisé
pour venir ensuite, avec ses lois, entériner et exploiter ce qui a
déjà été fait. Il est démontré que le grand moteur de toutes
les activités, c'est l'intérêt personnel : eh bien, quand
l'intérêt de tous sera l'intérêt de chacun (et il le sera
nécessairement si la propriété individuelle n'existe pas), tous
agiront et ce qui se fait
aujourd'hui
bien que n'intéressant qu'un petit nombre se fera d'autant plus et
d'autant mieux que tous seront concernés. Si bien qu'on a peine à
comprendre pourquoi certains croient que le bon fonctionnement des
services publics indispensables à la vie sociale sera mieux assuré
s'il se fait sous les ordres d'un gouvernement, plutôt que
directement par les travailleurs ayant, par libre choix personnel ou
sur la base d'accords pris avec d'autres, choisi ce genre de travail
et l'exécutant sous le contrôle immédiat de tous les intéressés.
Il ne fait aucun doute que, pour tout grand travail collectif, il
faut une division du travail, une direction technique, une
administration, etc. Mais les autoritaires jouent vraiment un peu
trop sur les mots quand ils voient dans la nécessité bien réelle
d'organiser le travail la raison d'être du gouvernement. Le
gouvernement - il est bon de le répéter - c'est l'ensemble des
individus qui ont reçu ou qui se sont donnés le droit et les moyens
de faire les lois et de forcer les gens à obéir ; l'administrateur,
l'ingénieur, etc., sont au contraire des hommes qui sont chargés de
faire un certain travail ou qui s'engagent à le faire et qui le
font. Gouvernement, cela veut dire délégation du pouvoir,
c'est-à-dire abdication de l'initiative et de la souveraineté de
tous dans les mains d'un petit nombre ; administration, cela veut
dire délégation de travail, c'est-à-dire charge qui a été donnée
et acceptée, échange libre de services fondé sur des accords
libres. Le gouvernement est un privilégié : il a le droit de
commander aux autres et de se servir des forces des autres pour faire
triompher ses propres idées et ses propres désirs particuliers ;
l'administrateur, le directeur technique, etc., sont des travailleurs
comme les autres quand il s'agit, bien sûr, d'une société où tous
ont des moyens égaux de se développer, ou tous sont ou peuvent être
en même temps des travailleurs intellectuels et des travailleurs
manuels, où les seules différences qui subsistent entre les hommes
sont celles qui découlent de la diversité naturelle des aptitudes
et où tous les genres de travail et de fonction donnent un droit
égal à jouir des avantages sociaux. Il ne faut pas confondre le
rôle qui est celui du gouvernement et le rôle d'administration des
choses : ils sont fondamentalement différents et si, aujourd'hui,
ils se trouvent souvent confondus, c'est à cause du privilège
économique et politique.
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