dimanche 31 décembre 2017

Beaux-arts 2 Encyclopedie Anarchiste de Sébastien Faure

BEAUX-ARTS (Administration des). Nous lisons, dans la Grande Encyclopédie :
« L'Administration des Beaux l'accroissement de nos richesses artistiques, d'autre part, l'enseignement de tous les arts ou plutôt une sorte de direction élevée et impartiale laissant à l'art, la liberté sans laquelle il ne saurait s'épanouir ».
Voilà, dira-t-on, une administration vraiment utile. Elle le serait si tout cela n'était pas qu'une façade ; mais en fait, l'Administration des Beaux-Arts n'est que ce que sont toutes les administrations de l'État, et celle-ci est d'autant plus malfaisante qu'elle s'occupe des choses de l'esprit. En fait, comme l'écrivait Octave Mirbeau : « L'État possède un ministère spécial où il cuisine et triture l'art comme en d'autres ministères on triture et cuisine la justice, les finances, l'armée, les élections, car si les plats diffèrent, la cuisine est partout la même », Par ce ministère, l'État exerce son pouvoir sur tout ce qui est de l'art et se rattache à l'art : travaux d'art et musées, enseignement et manufactures nationales, monuments historiques, théâtres, palais nationaux, etc... Il a pour cela un Conseil supérieur des Beaux-Arts, avec une foule de conseils spéciaux, de commissions, de sous-commissions, de comités, de sous de conservateurs, de bibliothécaires, de professeurs, d'archivistes, d'inspecteurs, de contrôleurs, de surveillants, etc... Et au-dessus de toute cette hiérarchie plane l'Institut.
« L'Institut, a écrit encore Octave Mirbeau, voilà la grande plaie dont souffrent, s'étiolent et meurent les Beaux-Arts. On ne le dira, on ne le criera jamais assez haut. L'État ne peut s'habituer à considérer l'Institut pour ce qu'il est réellement, c'est-à-dire un étroit groupement de personnalités intrigantes, vaniteuses et médiocres, un syndicat solidement organisé d'âpre commerce et de peu avouables intérêts de caste, qui s'est donné la mission malfaisante et productive de maintenir l'art au plus bas niveau ― à son niveau ― afin d'en rester, sans conteste, le seul bénéficiaire. L'État, qui ne croit plus en Dieu, croit encore à l'Institut ; il croit du moins ― ignorance ou snobisme, marchandage peut-être ― que l'Institut est une force éducatrice, moralisatrice, le refuge du goût, une élégance décorative dans l'État. Lui qui a chassé le moine de ses écoles, le crucifix de ses prétoires, qui tente de briser l'omnipotence corruptrice de l'Église, tout au moins de la réduire à son minimum de danger social, il n'a que des respects, un vrai culte pour l'Institut, et il ne se montre à lui que dans la posture humiliée du plus servile agenouillement, car il espère bien en être, un jour ou l'autre, dans la personne de ses représentants, frotter sa roture aux blasons percés des ducs, et coudre les palmes vertes aux manches de l'habit de ses ministres. Et non seulement il le respecte, le flatte, le courtise, mais il lui assure une ingérence officielle, une véritable prépondérance administrative, dans l'État. Dès que le plus médiocre des mortels, par intrigue ou corruption, parce qu'il est riche, dévot ou bellâtre, aimé des femmes et de l'Église, parce qu'il possède un beau nom, un château historique, des collections historiques, tout cela généralement faux, comme l'histoire, et pour des raisons encore plus basses et quelques-unes très sinistres, dès que ce mortel est élu membre de l'Institut, on le présente avec pompe au Président de la République, qui le confirme académicien et le consacre immortel, au nom de l'État. Afin de lui valoir sur tous ses contemporains, dans les choses de l'esprit, une supériorité protocolaire indiscutable, que son manque de mérites, son absence totale de talents n'avaient pu lui conférer jusqu'ici, on l'affuble comme dans les pompes funèbres et les opérettes parodistes, mais avec infiniment moins de pittoresque, d'un costume assez ridicule et qui en impose toujours aux barbares. Il a des broderies de soie verte au collet de son habit, des plumes frisées à son chapeau ; à son côté bat une similiépée à poignée de nacre. De même qu'un homme de peine sous un fardeau, il plie, sue et halète sous le poids des décorations, brochettes, écharpes, crachats, cravates, carcans, rouges, jaunes, bleus ou verts, qui lui étranglent le cou, lui étouffent la poitrine, lui courbent le dos, empêtrent sa marche, car il a des croix qui lui descendent jusqu'au bas des reins, jusqu'entre les jambes. C'est vraiment le dernier personnage de la dernière opérette. De ce fait, il a le pas sur tous les autres ; sa place est marquée au premier rang, dans toutes les cérémonies publiques et dans tous les dîners en ville. Il défile en tête de tous les cortèges officiels. M. Camille Doucet avant Molière, M. Albert Vandal avant Michelet, M. Coppée avant Baudelaire, M. Bourget avant Flaubert et Balzac. »
C'est sous la tutelle de cet Institut, que l'Administration des Beaux-Arts se manifeste par son armée de ronds de cuir sans compétences, aussi malfaisants sinon aussi ridicules, dont la suffisance interchangeable s'accommode de tous les emplois, comme celle de ses ministres, et qui, rendant inutiles les efforts des rares artistes égarés parmi eux, s'appliquent à étouffer toute manifestation d'art qui n'a pas reçu l'approbation de l'Institut. On la voit exercer sa dictature néfaste sur les musées, sur les bibliothèques, sur les théâtres, sur les écoles, partout où l'art, s'appuyant sur les richesses du passé, pourrait se vivifier, s'enrichir encore, se renouveler et trouver cette « liberté sans laquelle il ne saurait s'épanouir ».
Elle manifeste une hostilité hargneuse à tout artiste nouveau, supérieur, qui n'a pas été couvé par l'Institut et apporte une œuvre originale. Les plus grands artistes contemporains ont été poursuivis par elle et, lorsqu'on veut connaître leur oeuvre, c'est à l'étranger qu'il faut aller la chercher. L'Administration des Beaux-Arts n'a d'autre objectif que de réaliser cette formule de M. Leygues, quand il était son chef, comme ministre : « L'État ne peut autoriser qu'un certain degré d'art », et elle s'acharne dans cette bêtise incurable et inamovible. Ce sera la tâche de l'art révolutionnaire de la déboulonner de son rond de cuir.

Edouard ROTHEN.

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