BEAUX-ARTS
(Administration des). Nous lisons, dans la Grande Encyclopédie :
«
L'Administration des Beaux l'accroissement de nos richesses
artistiques, d'autre part, l'enseignement de tous les arts ou plutôt
une sorte de direction élevée et impartiale laissant à l'art, la
liberté sans laquelle il ne saurait s'épanouir ».
Voilà,
dira-t-on, une administration vraiment utile. Elle le serait si tout
cela n'était pas qu'une
façade ; mais en fait, l'Administration des Beaux-Arts n'est que ce
que sont toutes les administrations de l'État, et celle-ci est
d'autant plus malfaisante qu'elle s'occupe des choses de l'esprit. En
fait, comme l'écrivait Octave Mirbeau : « L'État possède un
ministère spécial où il cuisine et triture l'art comme en d'autres
ministères on triture et cuisine la justice, les finances, l'armée,
les élections, car si les plats diffèrent, la cuisine est partout
la même », Par ce ministère, l'État exerce son pouvoir sur tout
ce qui est de l'art et se rattache à l'art : travaux d'art et
musées, enseignement et manufactures nationales, monuments
historiques, théâtres, palais nationaux, etc... Il a
pour cela un Conseil supérieur des Beaux-Arts, avec une foule de
conseils spéciaux, de commissions, de sous-commissions, de comités,
de sous de conservateurs, de bibliothécaires, de professeurs,
d'archivistes, d'inspecteurs, de contrôleurs, de surveillants,
etc... Et au-dessus de toute cette hiérarchie plane l'Institut.
«
L'Institut, a écrit encore Octave Mirbeau, voilà la grande plaie
dont souffrent, s'étiolent et meurent les Beaux-Arts. On ne le dira,
on ne le criera jamais assez haut. L'État ne peut s'habituer à
considérer l'Institut pour ce qu'il est réellement, c'est-à-dire
un étroit groupement de personnalités intrigantes, vaniteuses et
médiocres, un syndicat solidement organisé d'âpre commerce et de
peu avouables intérêts de caste, qui s'est donné la mission
malfaisante et productive de maintenir l'art au plus bas niveau ― à
son niveau ― afin d'en rester, sans conteste, le seul bénéficiaire.
L'État, qui ne croit plus en Dieu, croit encore à l'Institut ; il
croit du moins ― ignorance ou snobisme, marchandage peut-être ―
que l'Institut est une force éducatrice, moralisatrice, le refuge du
goût, une élégance décorative dans l'État. Lui qui a chassé le
moine de ses écoles, le crucifix de ses prétoires, qui tente de
briser l'omnipotence corruptrice de l'Église, tout au moins de la
réduire à son minimum de danger social, il n'a que des respects, un
vrai culte pour l'Institut, et il ne se montre à lui que dans la
posture humiliée du plus servile agenouillement, car il espère bien
en être, un jour ou l'autre,
dans la personne de ses représentants, frotter sa roture aux blasons
percés des ducs, et coudre les palmes vertes aux manches de l'habit
de ses ministres. Et non seulement il le respecte, le flatte, le
courtise, mais il lui assure une ingérence officielle, une véritable
prépondérance administrative, dans l'État. Dès que le plus
médiocre des mortels, par intrigue ou corruption, parce qu'il est
riche, dévot ou bellâtre, aimé des femmes et de l'Église, parce
qu'il possède un beau nom, un château historique, des collections
historiques, tout cela généralement faux, comme l'histoire, et pour
des raisons encore plus basses et quelques-unes très sinistres, dès
que ce mortel est élu membre de l'Institut, on le présente avec
pompe au Président de la République, qui le confirme académicien
et le consacre immortel, au nom de l'État. Afin de lui valoir sur
tous ses contemporains, dans les choses de l'esprit, une supériorité
protocolaire indiscutable, que son manque de mérites, son absence
totale de talents n'avaient pu lui conférer jusqu'ici, on l'affuble
comme dans les pompes funèbres et les opérettes parodistes, mais
avec infiniment moins de pittoresque, d'un costume assez ridicule et
qui en impose toujours aux barbares. Il a des broderies de soie verte
au collet de son habit, des plumes frisées à son chapeau ; à son
côté bat une similiépée à poignée de nacre. De même qu'un
homme de peine sous un fardeau, il plie, sue et halète sous le poids
des décorations, brochettes, écharpes, crachats, cravates, carcans,
rouges, jaunes, bleus ou verts, qui lui étranglent le cou, lui
étouffent la poitrine, lui courbent le dos, empêtrent sa marche,
car il a des croix qui lui descendent jusqu'au bas des reins,
jusqu'entre les jambes. C'est vraiment le dernier personnage de la
dernière opérette. De ce fait, il a le pas sur tous les autres ; sa
place est marquée au premier rang, dans toutes les cérémonies
publiques et dans tous les dîners en ville. Il défile en tête de
tous les cortèges officiels. M. Camille Doucet avant Molière, M.
Albert Vandal avant Michelet, M. Coppée avant Baudelaire, M. Bourget
avant Flaubert et Balzac. »
C'est
sous la tutelle de cet Institut, que l'Administration des Beaux-Arts
se manifeste par son armée de ronds de cuir sans compétences, aussi
malfaisants sinon aussi ridicules, dont la suffisance interchangeable
s'accommode de tous les emplois, comme celle de ses ministres, et
qui, rendant inutiles les efforts des rares artistes égarés parmi
eux, s'appliquent à étouffer toute manifestation d'art qui n'a pas
reçu l'approbation de l'Institut. On la voit exercer sa dictature
néfaste sur les musées, sur les bibliothèques, sur les théâtres,
sur les écoles, partout où l'art, s'appuyant sur les richesses du
passé, pourrait se vivifier, s'enrichir encore, se renouveler et
trouver cette « liberté sans laquelle il ne saurait s'épanouir ».
Elle
manifeste une hostilité hargneuse à tout artiste nouveau,
supérieur, qui n'a pas été couvé
par l'Institut et apporte une œuvre originale. Les plus grands
artistes contemporains ont été poursuivis par elle et, lorsqu'on
veut connaître leur oeuvre, c'est à l'étranger qu'il faut aller la
chercher. L'Administration des Beaux-Arts n'a d'autre objectif que
de réaliser cette formule de M. Leygues, quand il était son chef,
comme ministre : « L'État ne peut autoriser qu'un certain degré
d'art », et elle s'acharne dans cette bêtise incurable et
inamovible. Ce sera la tâche de l'art révolutionnaire de la
déboulonner de son rond de cuir.
Edouard
ROTHEN.
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