6 / Le siècle qui commence annonce un type d'antagonisme qui était de toute façon prévisible: celui de l'homme contre l'homme.
L'ennemi, qui encombre le chemin de l'homme que veut la civilisation du Capital et qui retarde son avènement, c'est l'homme tel qu'il est encore pour partie, celui qui s'est fait homme par sa faculté singulière et personnelle de penser son existence et son destin. Et cela a tout prix. Maintenant, c'est lui, cet homme antique désormais, l'homme de la pensée, qu'il faudra détruire, d'une manière ou d'une autre. Et c'est Dieu qui fait retour, Dieu porté en triomphe comme sauveur des intérêts de la finance internationale et de toutes les mafias réunies. Un Dieu dont tous attendent qu'il accueille l'horreur intime de l'homme pour l'homme, que son rétablissement rende à nouveau possible une figure extérieure de la haine où puisse venir s'accrocher la pulsion de mort. Seul le rétablissement d'un tel Dieu, peut faire que des hommes se transforment en bombes humaines et qu'il s'en produise à une échelle maintenant quasi industrielle. Seule l'invocation d'un tel Dieu avec la complicité de tous et au nom de la tolérance peut faire aussi qu'il soit acquis pour certains de ses adorateurs que d'autres peuples adorateurs n'aient pas leur place sur terre. Et que les formes les plus sauvages de colonisation, de prédation, de rançonnage et de domination puissent s'abriter derrière une rhétorique de la foi dans les arguties s'ornent sans honte de références innombrables à l'amour universel, que l'écrasement d'un peuple par un autre prétende à la bénédiction.
Comment est-il possible d'accepter une telle capitulation de la raison devant l'indécence omniprésente de la religion et des croyances? Comment supporter que soit ramené à un vocabulaire de religieux, à des idéaux et des références mystiques, ce qu'incarnait jadis le combat de la résistance palestinienne? Comment supporter que le religieux permette à ce point de masquer la nudité d'un processus d'instauration de pouvoirs absolus à l'échelle planétaire? Comment expliquer cela sinon par la peur qu'inspire à chacun le fait de penser et de regarder en face ce qui est l'évidence même?
Aujourd'hui, 1 septembre 2004, un groupe se proclamant Armée islamique en Irak menace d'exécuter deux journalistes français si n'est pas abrogée dans les 24 heures la récente loi qui restreint en France l'exhibition par les femmes de leur soumission à Dieu. De cet incident seul, tout peut être réduit et pensé à propos de la nature des temps qui viennent et sur la responsabilité de ceux qui y contribuent sans chercher à s'en cacher. Aussi une autre question se pose: que signifie écrire, penser, proposer quelque exercice critique de l'intelligence et de la raison quand la peur est suffisamment installée chez tous pour que plus rien ne soit audible, lisible supportable? A quoi sert d'insister sur les évidences qui nous sont jetées aux yeux si la panique empêche de les accepter comme telles? Peut-être tout simplement à ceci, à cette condition de survie: à manifester qu'il existe aussi en chacun la possibilité d'un souverain mépris pour la peur et qu'existe encore, quoi qu'on en dise ou veuille en montrer, le goût de ne pas vivre sous cette humiliante condition. L'un et l'autre faut-il le rappeler, étant à l'origine même de ce qui mérite le nom de civilisation.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire