Cela fait suite à la réflexion sur la mort qui s'est entamé après la projection de La séance curieuse N°35
1563, 18 aout Montaigne assiste à la mort de son ami Etienne de La Boétie Partie 1
Un pamphlet contre la tyrannie
En aout 1563, Etienne de la
Boétie est mourant. Il a trente-deux ans. Les médecins ont prescrit divers
remèdes contre les violents maux d’estomac et la diarrhée qui affligent le
magistrat bordelais, mais les symptômes ne font qu’empirer et ses proches ne
tardent pas à désespérer de sa guérison. Pour un homme de la Renaissance, une
maladie grave ne relevait qu’en partie de la médecine : la douleur, la
peur et la préparation à la mort constituaient des faits moraux aux yeux des
témoins comme des malades. C’est ainsi qu’au plus profond de son angoisse et de
son chagrin, Montaigne, au chevet de son ami, lit les évènements qui se déroulent
sous ses yeux comme une série de signes, une succession de scènes dont le
protocole répond d’une manière à la fois apaisante et douloureuse à son
attente. « Je prévoyais bien, écrit Montaigne à son père, qu’il ne lui
échapperait rien, en une telle nécessité, qui ne fut grand et plein de bon
exemple » (« extrait d’une lettre que Monsieur le conseiller de
Montaigne écrit à Monseigneur de Montaigne son père, concernant quelques
particularités qu’il remarqua en la maladie et mort de feu Monsieur de La
Boétie » 1563 ?, in œuvres complètes p 1046). Les circonstances d’une
mort peuvent bien sur interdire au malade ce type d’attitude exemplaire, par
exemple lorsqu’elles lui ôtent la possibilité de s’exprimer, mais quand elles
ne le font pas, le vivant et le mourant peuvent se rejoindre dans une intense
admiration réciproque. « Ainsi, dit Montaigne, je m’en prenais le plus
garde que je pouvais. »
Dans le récit de Montaigne,
ce sentiment est porté à un degré exceptionnel. Il regrette que de plus nombreux
témoins n’aient pu assister aux derniers moments de son ami. Celui-ci a , en
effet, fait preuve d’un courage qui, dit-il « servirait d’exemple pour
jouer ce même rôle à son tour. » Mais la mort de La Boétie n’est pas
seulement l’objet d’une mise en scène sur laquelle de futures représentations
du même drame pourront se calquer, elle procède aussi d’un scénario que les
deux amis avaient réglé entre eux, au cours de leurs études et de leurs
conversations humanistes. Une bonne mort (dans un monde qui ne disposait d’aucune
des protections que nous connaissons aujourd’hui contre les horreurs de l’agonie)
est une mort qui scelle, au plus secret de l’individu, l’authenticité d’une
philosophie. Elle permet aussi de donner à cette philosophie une place d’honneur
qui affirmera aux yeux du monde la gloire à l’individu. Montaigne publiera le
compte rendu qu’il avait fait à son père de la mort de La Boétie à la fin de l’édition
des « œuvres » de son ami en 1570 : cette mort devenait ainsi la
dernière et peut-être la plus sublime des œuvres de la Boétie.
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