1563, 18 aout Montaigne assiste à la mort de son ami Etienne de La Boétie Partie 4
La voix sévère que, dans ce projet initial, Montaigne envisageait de joindre à la sienne était celle d'un champion de la liberté qui se refusait à tout compromis. La Boétie commence son "Discours" en demandant comment il se fait que les hommes et les femmes de son temps consentent à se laisser abuser et opprimer, pourquoi ils remettent sans broncher les fruits de leur labeur à des maitres indignes, pourquoi la servitude est devenue la loi universelle. le fait de poser ces questions est déjà remarquable par lui-même: il présuppose une grande âme qui a pris ses distances par rapport au cynisme du pouvoir, qui s'est refusé à souscrire sans broncher aux compromis trop faciles de la vie quotidienne. de toute évidence, c'est à son éducation humaniste, bien qu'elle ne soit pas nécessairement synonyme d'engagement intellectuel, que La Boétie doit de dénoncer les arguments théologiques et politiques en faveur de la soumission et de jeter sur l'ordre social de son époque un regard singulièrement décapant : "Qui le croirait, s'il ne faisait que l'ouïr dire et non le voir? C'est le peuple qui s'asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d'être serf ou d'être libre, quitte sa franchise et prend le joug"
Si le texte de la Boétie est un plaidoyer contre la tyrannie (plusieurs de ces plaidoyers, imités des modèles antiques, circulaient à l'époque), il va au delà de la critique traditionnelle des mauvais princes. "Il existe, écrit froidement La Boétie, trois sortes de tyrans : les uns ont le royaume par l'élection du peuple, les autres par la force des armes, les autres par succession de leur race". Selon cette définition, même les monarques dits légitimes sont en fait des tyrans; et ils le sont même si leurs sujets acceptent docilement leur loi au nom de l'obéissance à la coutume ou au droit. Cette acceptation par des hommes potentiellement libres de vivre à genoux est précisément ce qui fascine et consterne La Boétie.
Alors que Montaigne est particulièrement sensible à la richesse des faits sociaux, à l'infini variété des coutumes et des croyances, La Boétie démystifie cette plénitude, dépasse la diversité superficielle des pratiques légitimantes pour révéler la vérité honteuse d'une soumission presque universelle à une exploitation sans merci. les gouvernants modernes ne valent pas mieux que les empereurs romains: ils ne "font guère mal aucun, même de conséquence, qu'ils ne fassent passer devant quelque joli propos du bien public et soulagement commun". Il se trouve toujours des sujets assez naïfs pour se laisser leurrer par ces hypocrisies; mais la "servitude volontaire" peut aussi être cultivée par des moyens qui flattent l'amour-propre ou exaltent l'appétit pour les plaisirs. "Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes étranges, les médailles, les tableaux et autres telles drogueries, c'étaient aux peuples anciens les appâts de la servitude". des appâts semblables sont utilisés pour endormir le peuple à l'époque de La Boétie.
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